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Jamblique, autre platonicien, en dit autant; et, comme la plupart de ces choses-là sont vraies, les chrétiens reçurent le tout avec joie, et y ajoutèrent même un peu du leur, selon Tertullien, dans son Apologétique: par exemple, que les démons dérobaient, dans les écrits des prophètes, quelque connaissance de l'avenir, et puis s'en faisaient honneur dans leurs oracles.

Ce système des chrétiens avait cela de commode, qu'il découvrait aux païens, par leurs propres principes, l'origine de leur faux culte et la source de l'erreur où ils avaient toujours été. Ils étaient persuadés qu'il y avait quelque chose de surnaturel dans leurs oracles; et les chrétiens qui avaient à disputer contre eux ne songeaient point à leur ôter cette pensée. Les démons, dont on convenait de part et d'autre, servaient à expliquer tout ce surnaturel. On reconnaissait cette espèce de miracle ordinaire qui s'était fait dans la religion des païens : mais on leur en faisait perdre tout l'avantage par les auteurs auxquels on l'attribuait; et cette voie était bien plus courte et plus aisée que celle de contester le miracle même par une longue suite de recherches et de raisonnements.

Voilà comment s'établit, dans les premiers siècles de l'Église, l'opinion qu'on y prit sur les oracles des païens. Je pourrais, aux trois raisons que j'ai apportées, en ajouter une quatrième, aussi bonne peut-être que toutes les autres c'est que, dans le système des oracles rendus par les démons, il y a du merveilleux; et, si l'on a un peu étudié l'esprit humain, on sait quelle force le merveilleux a sur lui. Mais je ne prétends pas m'étendre sur cette réflexion : ceux qui y entreront m'en croiront bien, sans que je me mette en peine de la prouver, et ceux qui n'y entreront pas ne m'en croiraient pas peut-être après toutes mes preuves.

Examinons présentement, l'une après l'autre, les raisons qu'on a eues de croire les oracles surnaturels.

IV

Que les histoires surprenantes qu'on débite sur les oracles doivent être fort suspectes.

Il serait difficile de rendre raison des histoires et des oracles que nous avons rapportés, sans avoir recours aux démons; mais aussi tout cela est-il bien vrai? Assuronsnous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point.

Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici.

En 1595, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. Figurez-vous quelle consolation et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs. En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit encore l'histoire. Deux ans après, Ingolste

terus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfévre l'eut examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent avec beaucoup d'adresse; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfévre.

Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que, non-seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai. mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent trèsbien avec le faux.

De grands physiciens ont fort bien trouvé pourquoi les lieux souterrains sont chauds en hiver et froids en été. De plus grands physiciens ont trouvé depuis peu que cela n'était pas.

Les discussions historiques sont encore plus susceptibles de cette sorte d'erreur. On raisonne sur ce qu'ont dit les historiens; mais ces historiens n'ont-ils été, ni passionnés, ni crédules, ni mal instruits, ni négligents? Il en faudrait trouver un qui eût été spectateur de toutes choses, indifférent et appliqué.

Surtout quand on écrit des faits qui ont liaison avec la religion, il est assez difficile que, selon le parti dont on est, on ne donne à une fausse religion des avantages qui ne lui sont point dus, ou qu'on ne donne à la vraie de faux avantages dont elle n'a pas besoin. Cependant,

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on devrait être persuadé qu'on ne peut jamais ajouter de la vérité à celle qui est vraie, ni en donner à celles qui sont fausses.

Quelques chrétiens des premiers siècles, faute d'être instruits ou convaincus de cette maxime, se sont laissés aller à faire, en faveur du christianisme, des suppositions assez hardies, que la plus saine partie des chrétiens ont ensuite désavouées. Ce zèle inconsidéré a produit une infinité de livres apocryphes, auxquels on donnait des noms d'auteurs païens ou juifs; car, comme l'Église avait affaire à ces deux sortes d'ennemis, qu'y avait-il de plus commode que de les battre avec leurs propres armes, en leur présentant des livres, qui, quoique faits, à ce qu'on prétendait, par des gens de leur parti, fussent néanmoins très-avantageux au christianisme? Mais à force de vouloir tirer de ces ouvrages supposés un grand effet pour la religion, on les a empêchés d'en faire aucun. La clarté dont ils sont les trahit, et nos mystères y sont si nettement développés, que les prophètes de l'Ancien et du Nouveau Testament n'y auraient rien entendu auprès de ces auteurs juifs et païens. De quelque côté qu'on se puisse tourner pour sauver ces livres, on trouvera toujours, dans ce trop de clarté, une difficulté insurmontable. Si quelques chrétiens étaient bien capables de supposer des livres aux païens ou aux juifs, les hérétiques ne faisaient point de façon d'en supposer aux orthodoxes. Ce n'étaient que faux évangiles, fausses épîtres d'apôtres, fausses histoires de leurs vies; et ce ne peut être que par un effet de la Providence divine que la vérité s'est démêlée de tant d'ouvrages apocryphes qui l'étouffaient.

Quelques grands hommes de l'Église ont été quelquefois trompés, soit aux suppositions des hérétiques contre

les orthodoxes, soit à celles des chrétiens contre les païens ou les juifs, mais plus souvent à ces dernières. Ils n'ont pas toujours examiné d'assez près ce qui leur semblait favorable à la religion; l'ardeur avec laquelle ils combattaient pour une si bonne cause ne leur laissait pas toujours la liberté de choisir assez bien leurs armes. C'est ainsi qu'il leur arrive quelquefois de se servir des livres des sibylles, ou de ceux d'Hermès Trismégiste, roi d'Égypte.

On ne prétend point par là affaiblir l'autorité, ni attaquer le mérite de ces grands hommes. Après qu'on aura remarqué toutes les méprises où ils peuvent être tombés sur un certain nombre de faits, il leur restera une infinité de raisonnements solides et de belles découvertes, sur quoi on ne les peut assez admirer. Si avec les vrais titres de notre religion ils nous en ont laissé d'autres qui peuvent être suspects, c'est à nous à ne recevoir d'eux que ce qui est légitime, et à pardonner à leur zèle de nous avoir fourni plus de titres qu'il ne nous en faut.

Il n'est pas surprenant que ce même zèle les ait persuadés de la vérité de je ne sais combien d'oracles avantageux à la religion, qui coururent dans les premiers siècles de l'Église. Les auteurs des livres des sibylles et de ceux d'Hermès, ont bien pu l'être aussi de ces oracles; du moins il était plus aisé d'en supposer que des livres entiers. L'histoire de Thamus est païenne d'origine; mais Eusèbe et d'autres grands hommes lui ont fait l'honneur de la croire. Cependant elle est immédiatement suivie, dans Plutarque, d'un autre conte si ridicule, qu'il suffirait pour la décréditer entièrement. Démétrius dit dans cet endroit que la plupart des îles qui sont vers l'Angleterre sont désertes et consacrées à des démons et à des héros; qu'ayant été envoyé par l'empe

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