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HISTOIRE

DES ORACLES.

Mon dessein n'est pas de traiter directement l'Histoire des Oracles: je ne me propose que de combattre l'opinion commune qui les attribue aux démons, et les fait cesser à la venue de Jésus-Christ; mais, en la combattant, il faudra nécessairement que je fasse toute l'histoire des oracles, et que j'explique leur origine, leur progrès, les différentes manières dont ils se rendaient, et enfin leur décadence, avec la même exactitude que si je suivais, dans ces matières, l'ordre naturel et historique.

Il n'est pas surprenant que les effets de la nature donnent bien de la peine aux philosophes. Les principes en sont si cachés, que la raison humaine ne peut presque, sans témérité, songer à les découvrir; mais, quand il n'est question que de savoir si les oracles ont pu être un jeu et un artifice des prêtres païens, où peut être la difficulté? Nous qui sommes hommes, ne savons-nous pas bien jusqu'à quel point d'autres hommes ont pu

être ou imposteurs ou dupes? Surtout quand il n'est question que de savoir en quel temps les oracles ont cessé, d'où peut naître le moindre sujet de douter? Tous les livres sont pleins d'oracles. Voyons en quel temps ont été rendus les derniers dont nous ayons connais

sance.

Mais nous n'avons garde de permettre que la décision des choses soit si facile nous y faisons entrer des préjugés qui y forment des embarras bien plus grands que ceux qui s'y fussent trouvés naturellement, et ces difficultés, qui ne viennent que de notre part, sont celles dont nous avons nous-mêmes le plus de peine à nous démêler.

L'affaire des oracles n'en aurait pas, à ce que je crois, de bien considérables, si nous ne les y avions mises. Elle était, de sa nature, une affaire de religion chez les païens; elle en est devenue une sans nécessité chez les chrétiens, et de toutes parts on l'a chargée de préjugés qui ont obscurci des vérités fort claires.

J'avoue que les préjugés ne sont pas communs d'euxmêmes à la vraie et aux fausses religions. Ils règnent nécessairement dans celles qui ne sont l'ouvrage que de l'esprit humain mais dans la vraie, qui est un ouvrage de Dieu seul, il ne s'y en trouverait jamais aucun, si ce même esprit humain pouvait s'empêcher d'y toucher et d'y mêler quelque chose du sien. Tout ce qu'il y ajoute de nouveau, que serait-ce que des préjugés sans fondement? Il n'est pas capable d'ajouter rien de réel et de solide à l'ouvrage de Dieu.

Cependant, ces préjugés, qui entrent dans la vraie religion, trouvent, pour ainsi dire, le moyen de se faire confondre avec elle, et de s'attirer un respect qui n'est dù qu'à elle seule. On n'ose les attaquer, de peur d'atta

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quer en même temps quelque chose de sacré. Je ne reproche point cet excès de religion à ceux qui en sont capables; au contraire, je les en loue mais enfin, quelque louable que soit cet excès, on ne peut disconvenir que le juste milieu ne vaille encore mieux, et qu'il ne soit plus raisonnable de démêler l'erreur d'avec la vérité que de respecter l'erreur mêlée avec la vérité.

Le christianisme a toujours été par lui-même en état de se passer de fausses preuves; mais il y est encore présentement plus que jamais, par les soins que de grands hommes de ce siècle ont pris de l'établir sur ses véritables fondements, avec plus de force que les anciens n'avaient jamais fait. Nous devons être remplis, sur notre religion, d'une confiance qui nous fasse rejeter de faux avantages qu'un autre parti que le nôtre pourrait ne pas négliger.

Sur ce pied-là, j'avance hardiment que les oracles, de quelque nature qu'ils aient été, n'ont point été rendus par des démons, et qu'ils n'ont point cessé à la venue de Jésus-Christ Chacun de ces deux points mérite bien une dissertation.

PREMIÈRE DISSERTATION.

Que les oracles n'ont point été rendus par les démons.

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Il est constant qu'il y a des démons, des génies malfaisants, et condamnés à des tourments éternels; la religion nous l'apprend. La raison nous apprend ensuite que ces

démons ont pu rendre des oracles, si Dieu le leur a per mis. Il n'est question que de savoir s'ils ont reçu de Dieu cette permission.

Ce n'est donc qu'un point de fait dont il s'agit; et, comme ce point de fait a uniquement dépendu de la volonté de Dieu, il était de nature à nous devoir être révélé, si la connaissance nous en eût été nécessaire.

Mais l'Écriture sainte ne nous apprend en aucune manière que les oracles aient été rendus par des démons, et dès lors nous sommes en liberté de prendre parti sur cette matière; elle est du nombre de celles que la sagesse divine a jugées assez indifférentes pour les abandonner à nos disputes.

Cependant les avis ne sont point partagés; tout le monde tient qu'il y a eu quelque chose de surnaturel dans les oracles. D'où vient cela? La raison en est bien aisée à trouver, pour ce qui regarde le temps présent. On a cru, dans les premiers siècles du christianisme, que les oracles étaient rendus par des démons : il ne nous en faut pas davantage pour le croire aujourd'hui. Tout ce qu'ont dit les anciens, soit bon, soit mauvais, est sujet à être bien répété; et ce qu'ils n'ont pu eux-mêmes prouver par des raisons suffisantes se prouve à présent par leur autorité seule. S'ils ont prévu cela, ils ont bien fait de ne se pas donner toujours la peine de raisonner si exactement.

Mais pourquoi tous les premiers chrétiens ont-ils cru que les oracles avaient quelque chose de surnaturel? Recherchons-en présentement les raisons, nous verrons ensuite si elles étaient assez solides.

I

Première raison pourquoi les anciens chrétiens ont cru que les oracles étaient rendus par les démons. Les histoires surprenantes qui couraient sur le fait des oracles et des génies.

L'antiquité est pleine de je ne sais combien d'histoires surprenantes et d'oracles qu'on croit ne pouvoir attribuer qu'à des génies. Nous n'en rapporterons que quelques exemples, qui représenteront tout le reste.

Tout le monde sait ce qui arriva au pilote Thamus Son vaisseau étant un soir vers de certaines îles de la mer Égée, le vent cessa tout à fait. Tous les gens du vaisseau étaient bien éveillés; la plupart même passaient le temps à boire les uns avec les autres, lorsqu'on entendit tout d'un coup une voix qui venait des îles, et qui appelait Thamus. Thamus se laissa appeler deux fois sans répondre; mais à la troisième il répondit. La voix lui commanda que, quand il serait arrivé à un certain lieu, il criât que le grand Pan était mort. Il n'y eut personne dans le navire qui ne fût saisi de frayeur et d'épouvante. On délibérait si Thamus devait obéir à la voix mais Thamus conclut que si, quand ils seraient arrivés au lieu marqué, il faisait assez de vent pour passer outre, il ne fallait rien dire; mais que, si un calme les arrêtait là, il fallait s'acquitter de l'ordre qu'il avait reçu. Il ne manqua point d'être surpris d'un calme à cet endroit-là, et aussitôt il se mit à crier de toute sa force que le grand Pan était mort. A peine avait-il cessé de parler, que entendit de tous côtés des plaintes et des gémissements, comme d'un grand nombre de personnes surprises et affligées de cette nouvelle. Tous ceux qui étaient dans le

l'on

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