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avoir sur son centre: mais ses habitants ont besoin qu'il achève ce tout en peu de temps; car apparemment, brûlés comme ils sont par un grand poêle ardent suspendu sur leurs têtes, ils soupirent après la nuit. Ils sont éclairés, pendant ce temps-là, de Vénus et de la terre, qui leur doivent paraître assez grandes. Pour les autres planètes, comme elles sont au delà de la terre, vers le firmament, ils les voient plus petites que nous ne les voyons, et n'en reçoivent que bien peu de lumière.

Je ne suis pas si touchée, dit la marquise, de cette perte-là que font les habitants de Mercure que de l'incommodité qu'ils reçoivent de l'excès de la chaleur. Je voudrais bien que nous les soulageassions un peu. Donnons à Mercure de longues et d'abondantes pluies qui le rafraîchissent, comme on dit qu'il en tombe ici dans les pays chauds pendant des quatre mois entiers, justement dans les saisons les plus chaudes.

Cela se peut, repris-je, et même nous pouvons rafraîchir encore Mercure d'une autre façon. Il Ꭹ a des pays dans la Chine qui doivent être très-chauds par leur situation, et où il fait pourtant de grands froids pendant les mois de juillet et d'août, jusque-là que les rivières se gèlent. C'est que ces contrées-là ont beaucoup de salpêtre; les exhalaisons en sont fort froides, et la force de la chaleur les fait sortir de la terre en grande abondance. Mercure sera, si vous voulez, une petite planète toute de salpêtre, et le soleil tirera d'elle-même le remède au mal qu'il lui pourrait faire. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la nature ne saurait faire vivre les gens qu'où ils peuvent vivre, et que l'habitude, jointe à l'ignorance de quelque chose de meilleur, survient et les y fait vivre agréablement. Ainsi, on pourrait même se passer, dans Mercure, du salpêtre et des pluies.

Après Mercure, vous savez qu'on trouve le soleil. Il n'y a pas moyen d'y mettre d'habitants. Le pourquoi non? nous manque là. Nous jugeons par la terre, qui est habitée, que les autres corps de la même espèce doivent l'être aussi; mais le soleil n'est point un corps de la même espèce que la terre, ni que les autres planètes. Il est la source de toute cette lumière que les planètes ne font que se renvoyer les unes aux autres, après l'avoir reçue de lui. Elles en peuvent faire, pour ainsi dire, des échanges entre elles; mais elles ne la peuvent produire. Lui seul tire de soi-même cette précieuse substance; il la pousse avec force de tous côtés de là, elle revient à la rencontre de tout ce qui est solide; et, d'une planète à l'autre, il s'épand de longues et vastes traînées de lumière qui se croisent, se traversent et s'entrelacent en mille façons différentes, et forment d'admirables tissus de la plus riche matière qui soit au monde. Aussi le soleil est-il placé dans le centre, qui est le lieu le plus commode d'où il puisse la distribuer également, et animer tout par sa chaleur. Le soleil est donc un corps particulier; mais quelle sorte de corps? on est bien embarrassé à le dire. On avait toujours cru que c'était un feu trèspur; mais on s'en désabusa au commencement de ce siècle, qu'on aperçut des taches sur sa surface. Comme on avait découvert, peu de temps auparavant, de nouvelles planètes, dont je vous parlerai, que tout le monde philosophe n'avait l'esprit rempli d'autre chose, et qu'enfin les nouvelles planètes s'étaient mises à la mode, on jugea aussitôt que ces taches en étaient; qu'elles avaient un mouvement autour du soleil, et qu'elles nous en cachaient nécessairement quelque partie, en tournant leur moitié obscure vers nous. Déjà les savants faisaient leur cour de ces prétendues planètes aux princes de l'Europe.

Les uns leur donnaient le nom d'un prince, les autres d'un autre, et peut-être y aurait-il eu querelle entre eux à qui serait demeuré le maître des taches pour les nommer comme il eût voulu.

Je ne trouve point cela bon, interrompit la marquise. Vous me disiez, l'autre jour, qu'on avait donné aux différentes parties de la lune des noms de savants et d'astronomes, et j'en étais fort contente. Puisque les princes prennent pour eux la terre, il est juste que les savants se réservent le ciel, et y dominent; mais ils n'en devraient point permettre l'entrée à d'autres. Souffrez, répondis-je, qu'ils puissent du moins, en cas de besoin, engager aux princes quelque astre ou quelque partie de la lune. Quant aux taches du soleil, ils n'en purent faire aucun usage. Il se trouva que ce n'était point des planètes, mais des nuages, des fumées, des écumes, qui s'élèvent sur le soleil. Elles sont tantôt en grande quantité, tantôt en petit nombre, tantôt elles disparaissent toutes; quelquefois elles se mettent plusieurs ensemble, quelquefois elles se séparent, quelquefois elles sont plus claires, quelquefois plus noires. Il y a des temps où l'on en voit beaucoup; il y en a d'autres, et même assez longs, où il n'en paraît aucune. On croirait que le soleil est une matière liquide, quelques-uns disent de l'or fondu, qui bouillonne incessamment et produit des impuretés que la force de son mouvement rejette sur sa surface; elles s'y consument, et puis il s'en produit d'autres. Imaginezvous quels corps étrangers ce sont là. Il y en a tel qui est dix-sept cents fois plus gros que la terre; car vous saurez qu'elle est plus d'un million de fois plus petite que le globe du soleil. Jugez par là quelle est la quantité de cet or fondu, ou l'étendue de cette grande mer de lumière et de feu. D'autres disent, et avec assez d'apparence, que

les taches, du moins pour la plupart, ne sont point des productions nouvelles et qui se dissipent au bout de quelque temps, mais de grosses masses solides, de figure fort irrégulière, toujours subsistantes, qui tantôt flottent sur le corps liquide du soleil, tantôt s'y enfoncent ou entièrement ou en partie, et nous présentent différentes pointes ou éminences, selon qu'elles s'enfoncent plus ou moins et qu'elles se tournent vers nous de différents côtés. Peut-être font-elles partie de quelque grand amas de matière solide, qui sert d'aliment au feu du soleil. Enfin, quoi que ce puisse être que le soleil, il ne paraît nullement propre à être habité. C'est pourtant dommage : l'habitation serait belle on serait au centre de tout, on verrait toutes les planètes tourner régulièrement autour de soi; au lieu que nous voyons dans leurs cours une infinité de bizarreries, qui n'y paraissent que parce que nous ne sommes pas dans le lieu propre pour en bien juger, c'est-à-dire au centre de leur mouvement. Cela n'est-il pas pitoyable? Il n'y a qu'un lieu dans le monde d'où l'étude des astres puisse être extrêmement facile; et justement, dans ce lieu-là, il n'y a personne. Vous n'y songez pas, dit la marquise. Qui serait dans le soleil ne verrait rien, ni planètes, ni étoiles fixes. Le soleil n'efface-t-il pas tout? Ce seraient ses habitants qui seraient bien fondés à se croire seuls dans toute la nature.

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J'avoue que je m'étais trompé, répondis-je; je ne songeais qu'à la situation où est le soleil, et non à l'effet de sa lumière. Mais, vous qui me redressez si à propos, vous voulez bien que je vous dise que vous vous êtes trompée aussi les habitants du soleil ne le verraient seulement pas. Ou ils ne pourraient soutenir la force de sa lumière, ou ils ne la pourraient recevoir, faute d'en être à quelque distance, et, tout bien considéré, le soleil ne serait

qu'un séjour d'aveugles. Encore un coup, il n'est pas fait pour être habité. Mais voulez-vous que nous poursuivions notre voyage des mondes? Nous sommes arrivés au centre, qui est toujours le lieu le plus bas dans tout ce qui est roud; et je vous dirai, en passant, que, pour aller d'ici là, nous avons fait un chemin de trente-trois millions de lieues. Il faudrait, présentement, retourner sur nos pas, et remonter. Nous retrouverons Mercure, Vénus, la terre, la lune, toutes planètes que nous avons visitées. Ensuite, c'est Mars qui se présente. Mars n'a rien de curieux que je sache; ses jours sont de plus d'une demi-heure plus longs que les nôtres, et ses années valent deux de nos années, à un mois et demi près. Il est cinq fois plus petit que la terre; il voit le soleil un peu moins grand et moins vif que nous ne le voyons; enfin, Mars ne vaut pas trop la peine qu'on s'y arrête. Mais la jolie chose que Jupiter avec ses quatre lunes ou satellites! Ce sont quatre petites planètes, qui, tandis que Jupiter tourne autour du soleil en douze ans, tournent autour de lui comme notre lune autour de nous. Mais, interrompit la marquise, pourquoi y a-t-il des planètes qui tournent autour d'autres planètes qui ne valent pas mieux qu'elles? Sérieusement, il me paraîtrait plus régulier et plus uniforme que toutes les planètes, et grandes et petites, n'eussent que le même mouvement autour du soleil.

Ah! madame, répliquai-je, si vous saviez ce que

c'est

que les tourbillons de Descartes; ces tourbillons, dont le nom est si terrible et l'idée si agréable, vous ne parleriez pas comme vous faites. La tête me dût-elle tourner, ditelle en riant, il est beau de savoir ce que c'est que les tourbillons. Achevez de me rendre folle; je ne me ménage plus; je ne connais plus de retenue sur la philosophie.

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