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XIV

MALADIE DE LA VIGNE.

Emploi du soufre pour la destruction de l'oïdium.

La maladie de la vigne, qui, on peut le dire, a disparu entièrement du nord de la France, continue de sévir avec violence dans nos régions méridionales. Depuis cinq ans, le funeste oïdium a pris possession des riches vignobles de ces contrées. Une diminution notable de l'intensité du mal fut observée, il est vrai, en 1855, dans les vignobles du midi; mais il ne faudrait pas compter d'une manière absolue sur cet heureux pronostic. Aussi est-il important de répandre promptement la connaissance des résultats vraiment remarquables qui viennent d'être acquis à l'agriculture, concernant la puissante efficacité du soufre contre ce terrible fléau. M. H. Marès, secrétaire de la Société d'agriculture du département de l'Hérault, a publié, au mois de mai 1856, un important mémoire dans lequel l'efficacité curative du soufre contre l'oïdium est démontrée avec évidence1. Nous allons exposer, à propos de ce travail, les faits qui établissent l'excellence du soufre pour la destruction de l'oïdium. Nous avons la conviction que cet agent, employé d'une manière générale, doit avoir pour résultat d'anéantir, dans un temps donné, la maladie qui désole, dans notre pays, la propriété viticole, et nous dé

1. Mémoire sur la maladie de la vigne, par M. H. Marès, brochure in-8, mai 1856.

sirons vivement contribuer à répandre la connaissance d'une méthode qui nous apparaît comme un bienfait public.

Ce n'est plus maintenant une difficulté de prouver que la maladie de la vigne a un cause tout extérieure. L'idée d'une dégénérescence, d'une pléthore, d'une maladie interne du cep, ne saurait plus être admise aujourd'hui, en présence des faits innombrables qui ont établi que la cause de la maladie est absolument externe, et qu'elle tient uniquement à la présence d'un végétal parasite, l'oïdium Tuckeri. Engendré par des circonstances particulières, dans une serre chaude de l'Angleterre, il s'est reproduit, a pullulé dans une proportion inouïe, et a couvert de ses sporules destructeurs la plus grande partie de l'Europe. Quelles que soient les causes qui aient donné naissance à ce parasite, il est certain qu'il détermine seul la maladie. Détruire l'oïdium sur place partout où il se montre doit donc suffire pour amener la guérison des vignes affectées, et par suite la disparition totale de ce mal redoutable. Or, de tous les moyens pratiques qui ont été essayés depuis cinq années en France, un seul a donné des résultats irréprochables: le soufre est aujourd'hui reconnu comme le véritable remède spécifique à opposer à l'oïdium.

Comme, dans une question de cette importance, il est juste de rapporter à chacun le mérite et l'honneur de ses travaux, nous résumerons par un court historique la série des tentatives faites jusqu'à ces derniers temps, relativement à l'emploi du soufre comme moyen curatif de la maladie de la vigne.

Un jardinier anglais de Leyton, nommé Kyte, est le premier auteur des essais du soufre en poudre. Le mode d'emploi proposé par le jardinier de Leyton consistait à mouiller les feuilles et les grappes, et à les saupoudrer de fleur de soufre. Cependant ce procédé fit peu de bruit jus

qu'au moment où M. Gontier, de Montrouge, eut imaginé de lancer la fleur de soufre contre les treilles, au moyen d'une sorte de pompe cylindrique. Projetée sur les grappes à l'aide de l'appareil Gontier, la fleur de soufre eut, dans les jardins, d'excellents résultats pour la préservation du raisin de table; un grand nombre de treilles furent ainsi guéries.

Un agent chimique à base de soufre fut proposé, vers la même époque, et employé pour la première fois par M. Grison, jardinier à Versailles. C'était la dissolution de sulfure de chaux. On lavait, avec cette dissolution, les grappes malades, en renouvelant les lotions toutes les fois que l'oïdium reparaissait. Le champignon parasite ne résiste pas à l'action vénéneuse du sulfure de chaux. Ce procédé a permis, deux années de suite, dans les jardins de Versailles, de sauver toutes les treilles menacées. La mixture était d'ailleurs économique et facile à préparer : on prend 200 grammes de fleur de soufre et un volume égal de chaux récemment éteinte; on fait bouillir ce mélange avec 3 litres d'eau dans une marmite de fonte ou de terre vernissée. La liqueur, refroidie et décantée, constitue la dissolution de sulfure de chaux.

Cependant, l'emploi de liquides chimiques destinés à tuer, sur l'arbuste, le champignon qui l'a envahi, ne pouvait réussir qu'à la condition d'être répété autant de fois que la maladie reparaît. C'est pour avoir méconnu ce fait qu'on échoua dans une grande et belle expérience, qui fut tentée en 1852 par le docteur Turrel sur des vignobles des environs de Toulon. Cet agriculteur avait entrepris l'expérience sur dix hectares de vignes. On obtint tout d'abord un résultat inespéré; les feuilles et les grappes se débarrassèrent de leur couche farineuse, et, quinze jours après l'application du sulfure de chaux, les raisins avaient sensiblement grossi et montraient une belle apparence. Mais deux mois après, la température, qui avait été jusque-là

chaude et sèche, était devenue orageuse, la maladie reparut avec une intensité extrême, et les lotions avec le sulfure de chaux n'ayant pas été renouvelées, toute la récolte fut perdue.

Mais les sulfures alcalins en dissolution ont un grave inconvénient leur forme liquide se prête mal aux opérations de l'agriculture: aussi a-t-on été conduit, par la pratique, à abandonner l'usage des lotions avec le sulfure de chaux, pour en revenir à l'emploi du soufre en poudre.

En 1850, M. Bergmann, jardinier en chef du baron de Rothschild, à Ferrières, avait déjà obtenu des résultats très-heureux dans les serres, en répandant de la fleur de soufre sur les tuyaux des thermosiphons qui servent à y maintenir la chaleur. Ces tuyaux atteignent quelquefois une chaleur də 45 à 50 degrés, qui suffit pour vaporiser une certaine quantité de soufre, et provoquer ainsi une émanation constante de vapeurs ces vapeurs, venant se condenser sur les parties vertes de la vigne, y détruisent le parasite.

En 1853, M. Rose Charmeux eut l'idée de répandre sur les vignes la fleur de soufre à sec, soit à la main, soit au soufflet. Cette idée rendait l'usage du soufre applicable aux grands vignobles. Elle fut essayée à Thomery, en 1853, sur 120 hectares de vignes plantés en chasselas. Les résultats obtenus furent assez remarquables pour que la Société d'horticulture en confiât l'examen à une commission, qui fit, à ce sujet, un rapport des plus favorables. Ce rapport fut publié par la Société d'horticulture, sous forme d'instruction, sous ce titre: Sur la maladie de la vigne: moyen de sauver la récolte. La commission conseillait de pratiquer un premier soufrage entre le 15 mai et le 15 juin, de recommencer la même opération après la floraison et lorsque le grain est gros comme un plomb de chasse, si l'oïdium avait reparu; enfin de jeter une troi

sième fois du soufre, lorsque les grains auraient acquis la grosseur des petits pois1.

M. Victor Rendu, inspecteur général d'agriculture, président et rapporteur d'une commission chargée, par le ministre de l'agriculture, d'examiner les vignes de Thomery, fit, le 7 mars 1854, un rapport favorable sur le soufrage à sec. M. Victor Rendu citait, dans la Gironde, MM. Duchâtel, de Seze et Pescatore, dont les vignes, soufrées à sec, avaient conservé leur récolte. Il recommandait l'emploi du soufrage à sec dans les jardins et la petite culture. Il espérait aussi qu'on pourrait, dans la suite, l'appliquer également aux grands vignobles.

En 1854, après ces deux rapports et sur leurs indications, le soufrage à sec fut mis en pratique sur divers points de la France viticole; mais on n'en obtint d'abord que des résultats contradictoires. C'est surtout dans le midi, où la maladie sévissait de la manière la plus cruelle, qu'il importait de bien élucider la question de l'action curative du soufre employé dans les grands vignobles. Or, l'opinion des cultivateurs les plus éclairés fut trèspartagée sur son efficacité; aussi, jusqu'à l'année 1855, le soufre avait-il été peu en faveur dans le midi de la France.

C'est à cette époque et lorsque l'emploi du soufre donnait des résultats très-irréguliers, que quelques agricul– teurs instruits se sont livrés, dans le midi de la France, à des expériences sérieuses sur cette question. Parmi eux, nous citerons M. Jules Bouscaren, membre de la Société d'agriculture de l'Hérault, qui, en 1854, constata dans ses vignobles, partiellement soumis au soufrage, l'efficacité de ce moyen curatif 2.

1. Annales de la Société d'horticulture, 1854; rapport de M. Rousselin. 2. Voy. Observations sur l'emploi du soufre, imprimées en 1853 dans le Bulletin de la Société d'agriculture de l'Hérault. Rapport à M. Rendu, inspecteur général d'agriculture sur l'efficacité du soufre 1854). Rapport au préfet de l'Hérault sur le même sujet (1855).

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