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tube de verre fermé. Par la simple action de la chaleur, il subit une modification moléculaire, qui lui donne des propriétés tout autres que celles qu'il possédait.

Les caractères du phosphore rouge firent penser à M. Chevallier qu'on pourrait avantageusement l'employer, en remplacement du phosphore ordinaire, dans les allumettes chimiques. Le peu d'hésitation qu'il éprouvait cessa lorsqu'il apprit qu'en 1850 M. le professeur Bussy, expérimentant sur un chien le phoshore nouveau, avait reconnu que son action toxique est complétement nulle. Deux grammes de phosphore rouge avaient été, en effet, administrés par M. Bussy à un chien, sans que l'animal en ressentît aucun effet. Or, un ou deux grammes seulement de phosphore ordinaire suffisent pour donner la mort à un chien.

M. Chevallier s'adressa alors à MM. Lassaigne et Reynal, d'Alfort, qu'il pria de répéter l'expérience de M. Bussy c'est ce qu'ils firent sur une chienne de TerreNeuve, qui put prendre impunément 5 grammes de phosphore rouge. Des oiseaux, à qui les mêmes expérimentateurs administrèrent 3 centigrammes de la même substance, n'en éprouvèrent aucun accident. Le phosphore ordinaire, administré à un chien à la dose de 3 grammes et à des oiseaux à la dose de 3 centigrammes, faisait, au contraire, périr très-promptement ces animaux.

Ainsi, l'innocuité du phosphore rouge était constatée. Il ne restait plus qu'à savoir si elle ne disparaîtrait pas quand le phosphore rouge se trouverait uni au chlorate de potasse, qui, mélangé au phosphore, sert à la fabrication des allumettes chimiques.

Pour s'en assurer, M. Chevallier remit à M. Lassaigne des allumettes préparées avec du phosphore rouge et du chlorate de potasse. M. Lassaigne administra à un chien une pâte composée de chlorate de potasse, de phosphore

rouge et de gomme, pâte qui avait été détachée de 133 allumettes chimiques, et pesait 1 gramme 53 centigrammes l'animal n'en éprouva aucun dérangement dans sa santé.

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A la suite de ces expériences concluantes, M. Chevallier, le 12 septembre 1854, présenta à l'Académie de médecine son rapport sur le mémoire de M. Caussé. Il déclarait, dans ce rapport, que le travail du médecin d'Albi attirait, avec raison, l'attention publique sur une question fort grave; que la lecture de ce mémoire l'avait amené à étudier les propriétés du phosphore rouge, dont il avait constaté la parfaite innocuité; - que la substitution de ce phosphore au phosphore ordinaire ne pouvait offrir aucune difficulté, puisque le prix de revient des allumettes ainsi préparées serait toujours le même, et qu'elles s'enflammaient avec la même rapidité; - enfin, que plusieurs avantages résulteraient de cette substitution, savoir: l'impossibilité d'employer la pâte phosphorée des allumettes dans un but criminel, et la faculté de soustraire les ouvriers qui fabriquent les allumettes à la nécrose (carie) des os maxillaires, qui atteint trop souvent les personnes employées dans ces fabriques. Quant aux pâtes phosphorées dont on fait usage pour détruire les animaux nuisibles, ajoutait M. Chevallier, elles pourront être composées de phosphore ordinaire, additionné de kermès préparé par la méthode de Fabroni, et dont le prix est peu élevé; ce kermès donnera à la pâte une couleur brune, diminuera les chances d'emploi de cette pâte pour l'empoisonnement criminel; et, de plus, on pourra, dans le cas où elle aurait été employée comme toxique, constater dans les organes la présence d'un composé d'antimoine.

Le rapport de M. Chevallier fut reçu avec une grande faveur. L'Académie de médecine en adopta les conclusions, et le renvoya au ministre du commerce, qui seul pouvait ordonner la substitution du phosphore rouge au

phosphore ordinaire dans la fabrication des allumettes chimiques.

Malgré l'importance de ce travail et la nécessité pressante de parer aux dangers qui s'y trouvent signalés, le rapport de M. Chevallier, et ses excellentes conclusions, avaient été un peu perdus de vue depuis l'époque de sa publication. On doit donc savoir gré à MM. Orfila neveu et Rigout, qui, dans une série d'expériences présentées en 1856 à l'Académie des sciences, ont ramené l'attention sur le sujet qui avait été précédemment éclairé de si utiles lumières par MM. Caussé et Chevallier. Nous rapporterons ici le résultat des expériences de MM. Orfila et Rigout, qui établissent d'une manière tout à fait évidente l'innocuité absolue du phosphore rouge ingéré dans l'économie.

MM. Orfila et Rigout ont pu administrer à des chiens jusqu'à 50 grammes de phosphore rouge, et prolonger plusieurs jours la même dose sans occasionner le moindre trouble dans la santé de l'animal. Ils ont ainsi mis entièrement hors de doute le fait de l'innocuité absolue du phosphore rouge ingéré dans l'économie.

On comprend que la question étant aussi nettement résolue, et l'emploi du phosphore rouge reconnu d'ailleurs aussi avantageux que celui du phosphore ordinaire pour la confection des allumettes chimiques, le conseil de salubrité et l'administration à laquelle il se rattache, songent sérieusement à transporter ces faits dans la pratique. Espérons que le conseil de salubrité hâtera son travail. Les faits ont toute l'évidence possible; et pour la sécurité publique, les mesures administratives qu'il importe de prendre ne doivent pas être retardées.

XIII

MÉDECINE ET PHYSIOLOGIE.

1

Le typhus observé au Val-de-Grâce.

Le typhus, ou la maladie des camps, qui ne s'était jamais manifesté jusqu'ici que dans les armées en campagne, a été observé, dans les premiers mois de l'année 1856, au sein même de Paris. Comment a-t-il apparu dans nos hôpitaux militaires? Quels ont été pour la médecine les résultats de l'étude attentive de cette affection? Peut-on assimiler le typhus des camps à notre fièvre typhoïde ? Telles sont les diverses questions qui ont été abordées dans un mémoire lu à l'Académie de médecine, par M. le docteur Godélier, professeur de clinique à l'Ecole de médecine du Val-de-Grâce. Nous allons résumer les faits les plus importants qui résultent des nombreuses observations du savant médecin militaire.

On aurait difficilement prévu, il y a quelques années, que l'occasion serait offerte à la médecine d'observer le typhus des armées. Grâce aux progrès de la civilisation et aux tendances générales vers des idées de paix universelle, il semblait que le retour des grandes guerres entre les peuples était devenu impossible, et que, par conséquent, le typhus, avec les affreux ravages qu'il traîne à sa suite, ne serait plus connu que comme un triste souvenir du passé.

Cet espoir a été déçu. En 1855, de grandes armées se

sont réunies, des rassemblements considérables de troupes se sont agglomérés au même point, et dès lors, le typhus, ce compagnon presque inséparable des camps, qui n'avait plus été observé depuis les guerres de l'empire, s'est de nouveau manifesté à la suite des souffrances, des privations et de l'encombrement qui sont toujours la conséquence des grands rassemblements de soldats. Le typhus s'est donc montré en Crimée et à Constantinople, sur le littoral de la mer Noire et sur le Bosphore. Il était permis d'espérer que cette affection, engendrée dans des contrées lointaines, ne parviendrait pas jusqu'à la France. Cependant, le germe morbide que des régiments emportaient avec eux, à leur retour d'Orient, est venu éclore à Marseille et sur quelques points du midi de la France.

Pendant les mois de décembre et de janvier derniers, quand les premiers régiments rappelés de Crimée touchérent le sol de la France, rien ne faisait soupçonner que des hommes, embarqués bien portants sur la mer Noire, débarqueraient avec le typhus. Ces troupes, que les voies de fer ou les marches rapides éloignèrent aussitôt de Marseille, y laissèrent pourtant quelques typhiques, en déposérent quelques autres sur leur passage, et apportèrent, au lieu de leur destination définitive, des hommes chez lesquels la maladie devait se développer plus tardivement.

C'est ainsi qu'un certain nombre de cas de typhus des armées a pu se produire au sein même de notre capitale. Presque tous ont été fournis par le même régiment, qui envoyait ses malades au Val-de-Grâce, et c'est ainsi que M. Godélier, professeur de clinique à cet hôpital, a trouvé, presque seul avec ses collègues, l'occasion, très-inattendue, de voir à Paris, en 1856, le typhus qui s'y était montré à la fin des guerres de l'empire, et qui, disparaissant avec elles, n'y avait plus reparu depuis 1814.

Mais, cette fois, cette apparition du typhus n'aura été que très-passagère: au bout de quatre mois, il n'en res

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