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Agents chimiques proposés pour combattre les incendies. Verre soluble. Phosphate d'ammoniaque. Chlorure de calcium. Tube respiratoire et appareil de sauvetage de M. Thibout. respiratoire de Pilâtre des Rosiers.

Tube

Dans un intervalle de temps assez court, trois grands théâtres, dans différentes villes de l'Europe, ont été la proie d'incendies: à Londres, à Bruxelles et à Bourges. Ces catastrophes répétées ont attiré l'attention des expérimentateurs sur les moyens à employer, soit pour prévenir les incendies dans les théâtres, soit pour en arrêter les progrès dans les divers lieux où ils peuvent éclater. Un savant belge, M. Henri Masson, a présenté en 1856, au Collège des bourgmestres et échevins de la ville de Bruxelles, un mémoire intéressant dans lequel, après avoir passé en revue les divers agents chimiques qui ont été proposés pour prévenir les incendies dans les théâtres, il fait connaître les avantages qu'offrirait, au point de vue de cette application, l'emploi du chlorure de calcium. Nous allons résumer les faits principaux contenus dans ce travail.

Mais, avant d'aller plus loin, établissons bien quelle idée il faut se former de l'emploi d'un agent chimique comme moyen de s'opposer aux progrès d'un incendie.

On ne peut évidemment se proposer de prévenir au moyen d'aucune substance chimique, la destruction par le feu des matières combustibles. Rien ne saurait empêcher une matière organique, placée dans un foyer, de s'y détruire par l'action décomposante du calorique. Mais il est un artifice que l'on peut employer pour rendre infiniment moins graves les effets de l'incendie, et pour l'empêcher de se propager à distance. On peut recouvrir les objets exposés à devenir la proie des flammes, d'une couche d'un sel inaltérable au feu. Cette couche saline, enveloppant

dans toutes ses parties la matière combustible, la préserve du contact de l'air. Dès lors, la matière combustible, qui se trouve soumise à l'action du foyer, est sans doute détruite par l'effet de la chaleur; mais, comme elle se trouve soustraite au contact de l'air extérieur par l'enveloppe saline qui la protége, elle ne peut se combiner à l'oxygène atmosphérique; elle ne peut brûler dans l'acception chimique du mot, elle ne peut brûler avec flammes. La combustion intérieure qu'elle subit, ne donnant pas lieu à un dégagement de flammes, ne peut propager la combustion. à distance, et l'incendie est, dès lors, bien plus facile à arrêter. Voilà dans quel sens il faut entendre l'emploi d'un agent chimique pour combattre les incendies. D'après cela, un tissu incombustible n'est pas un tissu mis à l'abri de toute altération par le feu; c'est tout simplement un tissu qui, revêtu d'une couche saline, ne peut brûler avec flammes.

Un grand nombre de tentatives ont été faites pour rendre incombustibles les matières exposées à l'incendie. Ces tentatives, même, ne sont point récentes, comme on se l'imagine. Les architectes de la Grèce et de Rome connaissaient la propriété qu'ont les solutions de sels alcalins et alumineux, de rendre le bois non inflammable. Aulu-Gelle raconte que Sylla, assiégeant le Pirée, ne put, malgré tous ses efforts, parvenir à brûler une tour en bois construite par Archelaüs il se trouva que le bois de cette tour était recouvert d'alun. En 1740, J. Faggot communiqua à l'Académie des sciences de Stockholm, des observations sur le moyen de garantir le bois de l'action du feu et de la pourriture. Ce moyen consistait à imprégner le bois d'une eau dans laquelle on avait dissous de l'alun, du sulfate de fer ou un autre sel astringent. Salberg, en 1744, donna encore de plus grands développements sur cette question.

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C'est en 1820, à l'occasion de l'incendie d'un grand théâtre de l'Allemagne, que Fuchs, chimiste bavarois, s'oc

cupa de rechercher, par un grand nombre d'essais, la meilleure substance qu'il conviendrait d'employer pour revêtir d'un enduit incombustible les pièces de bois toiles, etc., employées dans les théâtres. Fuchs s'arrêta, pour cet objet, à l'emploi du silicate de potasse, composé que l'on désigne aussi sous le nom de verre soluble, pour rappeler sa ressemblance de composition avec le verre ordinaire, dont il diffère par sa solubilité dans l'eau, propriété qui tient à son extrême richesse en alcali.

Le verre soluble, proposé par Fuchs comme moyen préservateur de l'incendie, fut employé, en 1820, au théâtre de Munich, alors en construction: toutes les toiles, décors, pièces de charpente, etc., furent revêtus d'une couche épaisse de silicate de potasse.

Mais l'expérience ne confirma point l'espoir que l'inventeur avait conçu des bons effets du verre soluble. Au bout de six mois, l'enduit salin était endommagé et avait besoin de nombreuses réparations. C'est que l'emploi de ce composé présente dans la pratique diverses difficultés. Il faut employer le silicate de potasse très-pur. Sans cela l'enduit devient efflorescent et se détache après un temps trèscourt. Si l'on veut obtenir un enduit durable, il ne faut pas employer la dissolution saline trop concentrée, sinon elle ne pénètre pas le bois, n'en fait pas sortir l'air et ne s'y attache pas solidement. Pour préserver de la combustion, la couche doit néanmoins être épaisse; on parvient à l'obtenir telle en appliquant un grand nombre de couches successives, et en ayant soin de maintenir la pièce qu'on veut enduire dans un air très-sec et chaud pendant un espace de vingt-quatre heures entre l'application de chaque couche. Si l'on ne suit pas strictement ces précautions, l'enduit se fendille, n'adhère pas et s'écaille.

Fuchs a reconnu que le verre soluble remplit mieux son objet quand il est mélangé à des poudres incombustibles; il proposait donc d'ajouter à ce composé de l'argile,

de la craie, des scories de fer, du feldspath, du spathfluor, etc. Mais ce chimiste ne dit pas lequel de ces corps semble préférable; tout ce qu'on sait, c'est qu'à Munich on a ajouté au verre soluble un dixième d'argile jaune.

L'inventeur avait sans doute fait prendre toutes les précautions qu'il indique minutieusement dans son mémoire; pourtant, au bout de six mois, comme nous l'avons dit, l'enduit était déjà sensiblement endommagé. D'ailleurs, le verre soluble avait encore l'inconvénient d'altérer les couleurs, ce qui empêchait de l'employer avec avantage pour préserver de la combustion les toiles et les rideaux de théâtre, qui sont, de tous les objets, les plus exposés au feu et les plus dangereux dans un cas d'incendie. C'est en raison de ces divers inconvénients que l'emploi du verre soluble a dû être abandonné.

En 1821, Gay-Lussac, qui étudia, en France, cette importante question, proposa, pour obtenir le résultat qui nous occupe, d'employer le phosphate et le borate d'ammoniaque, ou plutôt un mélange à parties égales de sél ammoniac (chlorhydrate d'ammoniaque) et de phosphate d'ammoniaque, ou bien un mélange de borate de soude et de sel ammoniac. Le phosphate d'ammoniaque, proposé par Gay-Lussac, agit de la manière suivante : par l'action. de la chaleur, ce sel est décomposé, l'ammoniaque se dégage, et l'acide phosphorique qui reste, étant fusible et non volatil, recouvre les objets combustibles d'une couche liquide incombustible qui les maintient à l'abri de l'air.

L'idée d'employer le phosphate d'ammoniaque pour préserver les corps de la combustion, date du siècle dernier; elle est due à un certain Arfirde, Saxon de naissance, 'qui en fit l'expérience en présence du duc Frédéric de Brunswick, en 1786. Cependant, malgré le conseil plus récent de Gay-Lussac, on n'en a jamais fait usage, à cause des nombreux inconvénients qu'il présente. En effet, ce sel altère les couleurs et les tissus. Exposé à la chaleur, il

se décompose, il est vrai, l'ammoniaque se volatilise, l'acide reste et préserve les matières de la combustion avec flammes. Mais il faut remarquer que, si le feu prend une très-grande intensité, et si la température du foyer s'élève considérablement, l'acide phosphorique peut lui-même se décomposer en présence du charbon laissé par les matières brûlées. C'est même sur cette décomposition de l'acide phosphorique par le charbon, qu'est fondé l'art de se procurer le phosphore dans les laboratoires, comme dans les fabriques de produits chimiques. Dès lors, l'acide phosphorique, bien loin de ralentir le feu, doit en augmenter l'ardeur, puisqu'il a pour résultat, en se décomposant, de produire du phosphore.

Malgré ces défauts, le phosphate d'ammoniaque serait peut-être encore, après le borate d'ammoniaque, le corps le plus précieux que nous connaissions jusqu'ici pour enduire les tissus et les bois, si son prix n'était pas un obstacle insurmontable. Il coûte, en effet, 1 fr. 50 c. l'once Quelle dépense n'occasionnerait pas l'usage de ce produit, puisqu'une toile bien préparée doit être imprégnée, d'après Gay-Lussac, du tiers de son poids du sel protecteur!

Quant au sulfate d'ammoniaque, il est loin de présenter tous les avantages que l'on recherche, car il se décompose par l'action de la chaleur, et ne laisse absolument aucun enduit préservateur.

Ajoutons, pour compléter ce court historique des substances qui ont été proposées pour rendre les bois et les tissus incombustibles, qu'en 1841, M. de Breza a fait connaître un mélange de sels dont voici la formule : 60 grammes d'alun, 60 grammes de sulfate d'ammoniaque et 30 grammes d'acide borique qu'on dissout dans 1 litre d'eau, à laquelle on ajoute 19 grammes de gélatine et 6 grammes d'empois. Non-seulement les objets imprégnés ou revêtus de cette composition ne sont plus inflammables, mais ils sont préservés de l'attaque des insectes sous tous les climats.

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