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contre la pomme de terre, sur la longue liste des erreurs et des maux dont le progrès des lumières a affranchi le genre humain.

Puisqu'il est reconnu qu'un aliment salubre, fortifiant, économique, se perd en France par millions de kilogrammes, et qu'il existe, sur le même sol, des millions d'individus n'ayant qu'une nourriture insuffisante, et dont l'intelligence et le moral s'altèrent nécessairement par suite de leurs mauvaises conditions alimentaires, il faut se hâter de mettre à leur disposition cette ressource précieuse, et encourager de toutes manières ce qui aurait pour résultat d'en répandre l'usage parmi les autres peuples de l'Europe.

Si elle avait été mise en possession de cet aliment, l'Irlande n'aurait peut-être pas offert au monde le spectacle navrant de tout un peuple arraché par la faim à la terre de ses ancêtres.

VIII

LES INONDATIONS EN 1856.

L'année 1856 laissera en France de néfastes souvenirs. Des inondations terribles ont ravagé un nombre immense de nos contrées, semant la destruction sur leur passage. Ce serait sortir du cadre de ce livre que de donner l'indication détaillée des innombrables localités atteintes par les eaux par suite des débordements du Rhône, de la Loire et de leurs divers affluents. Mais ce qu'il importe de consigner ici avec le plus grand soin, c'est l'exposé des diverses études auxquelles la science s'est livrée à cette occasion, pour rechercher la cause de ces funestes désastres, et pour s'efforcer d'en prévenir le retour. Nous allons en conséquence présenter une analyse étendue des principaux travaux ou mémoires scientifiques qui ont été publiés en 1856, sur les causes des inondations et les moyens d'en prévenir le retour.

Les travaux qui ont été les plus remarqués et qui méritaient, en effet, d'attirer plus particulièrement l'attention publique, sont les suivants :

1° Un Mémoire de M. le commandant Rozet, sur la cause de la formation des torrents, et sur les travaux à exécuter aux sources des fleuves pour empêcher ces cours d'eau de devenir des torrents dévastateurs.

2° Un Mémoire de M. Dausse, inspecteur des ponts et chaussées, où l'auteur fait ressortir avec une grande force l'insuffisance et les dangers de l'endiguement des fleuves.

3. Une note de M. Vallée, inspecteur en retraite des ponts et chaussées, sur un moyen de prévenir les inondations dans la vallée du Rhône au moyen d'un grand barrage destiné à retenir les eaux de ce fleuve dans le lac de Genève.

Nos savants se sont encore occupés d'étudier l'influence du déboisement ou du gazonnement des montagnes, sinon pour prévenir les inondations, du moins pour en atténuer les effets. Nous ferons connaître les vues émises à ce sujet par M. de Gasparin, M. Tchihatchef, M. LambotMiraval, etc.'

Enfin, comme couronnement de ces diverses études, nous citerons, avec les commentaires qu'elle exige, la lettre publiée dans le Moniteur, et signée du nom du souverain de la France, dans laquelle les vues précédemment émises par les savants sont adoptées et revêtues d'une consécration solennelle.

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Mémoire de M. Rozet.

Le Mémoire que M. le commandant Rozet lut à l'Académie des sciences, dans la séance du 26 mai, prenait un intérêt de triste actualité en présence des désastres qui, dans ce moment même, accablaient plusieurs contrées de la France. Ce travail se rapporte aux moyens de forcer les torrents des Alpes à rendre à l'agriculture une grande partie du sol qu'ils ravagent aujourd'hui. Les études de M. Rozet ont été commencées en 1843, dans les Alpes dauphinoises, et poursuivies en 1851 et 1852 dans les hautes et BassesAlpes. C'est donc surtout à ces contrées que s'appliquent les moyens indiqués dans son Mémoire, bien qu'ils soient susceptibles, comme nous le dirons plus loin, de s'approprier aussi à d'autres parties du territoire de l'Europe.

Les moyens proposés par M. Rozet pour prévenir les ravages causés par les torrents qui descendent des Alpes, reposent sur une étude attentive des conditions géologiques qui, en général, provoquent l'établissement et l'existence d'un torrent.

D'après M. Rozet, les grands torrents prennent généralement naissance dans des cirques, sur le fond desquels il existe toujours une quantité de débris pierreux tombés des escarpements. Ce sont ces débris emportés par les eaux qui vont ravager le sol des vallées.

Les parois des cirques sont sillonnées par de nombreux ravins qui viennent aboutir à un canal creusé dans le fond, qui sort du cirque par une gorge étroite comprise entre des rochers escarpés. L'ensemble de toutes les surfaces qui versent leurs eaux dans un cirque, et ce cirque luimême, se nomment bassin de réception. On appelle canal de réception celui du fond du cirque dans lequel viennent se réunir les eaux et les pierres; lit de déjection, un espace plus ou moins étendu au sortir de la gorge du cirque, sur lequel le torrent dépose en éventail une partie des matériaux qu'il charrie; enfin, lit d'écoulement, l'espace compris entre la fin du lit de déjection et la rivière. Sur chaque côté d'une rivière un peu considérable, il existe un certain nombre de torrents présentant chacun toutes ces parties.

Le lit d'une rivière dans les montagnes présente une suite d'étranglements et de renflements. Les étranglements sont des canaux étroits, souvent compris entre des rochers très-élevés, qui s'écartent en s'élevant. Les renflements offrent de grandes plages couvertes de cailloux et de quelques dépôts limoneux. Dans ces plages, la rivière suit rarement un canal unique : elle se divise ordinairement en plusieurs branches.

Dans les vallées des Alpes, pendant les chaleurs de l'été, les plages caillouteuses sont presque à sec; on n'y

voit que de minces filets d'eau, qui n'empêchent pas le piéton de passer; les grandes rivières elles-mêmes, la Durance, le Drac, le Verdon, etc., laissent alors à découvert une grande étendue de terrain, qu'elles inondent à la première grande pluie.

Lors de la fonte des neiges et des pluies ordinaires, les eaux, se rendant d'une manière continue dans le canal de réception, s'y divisent en filets à travers les débris qui l'encombrent et dont elles n'emportent qu'une petite quantité. Mais, comme une rivière un peu étendue reçoit les eaux d'un grand nombre de torrents, il se trouve encore une assez grande quantité de cailloux dans son lit.

Dans les orages il tombe subitement, souvent en moins d'une heure, une grande quantité d'eau dans le bassin de réception; cette eau, accumulée dans le cirque, dont la gorge étroite retarde son écoulement, forme une masse d'une grande épaisseur, dont la poussée entraîne les débris pierreux qui sortent, mêlés d'eau et de boue, par la gorge, avec une grande vitesse. En s'étalant sur le lit de déjection, le liquide dépose une partie des matériaux qu'il charrie, et emporte le reste dans la rivière, dont le niveau s'élève alors subitement.

Cette explication donnée par M. Rozet, du mode de formation des torrents, est indispensable à l'intelligence des moyens qu'il propose pour prévenir leur production dans les Alpes. La constitution générale des Alpes présente, en effet, des roches marneuses à la partie inférieure, et des roches solides au-dessus. Or, il est clair qu'il ne doit exister de torrents que dans les endroits où les talus marneux sont à découvert sur une grande élévation, et qu'en facilitant l'empierrement de ces talus on attaquera véritablement le mal à sa source. C'est, du reste, ce dont il est facile de se convaincre en parcourant la vallée d'une rivière alimentée par des torrents ceux-ci n'existent jamais sur les points où le pied des escarpements calcaires descend

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