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fait en réalité qu'un et demi, causant ainsi une énorme perte de conducteur télégraphique.

Le commandant du Tartare se rendit à bord du Dutchman, où se trouvait M. Brett, et exprima tous ses regrets de ce malheur. Il ajouta qu'à bord de son bâtiment tout le monde s'était réjoui, la nuit précédente, du bonheur avec lequel on avait franchi les plus grandes profondeurs d'eau, et que chacun s'était flatté de toucher, dès le matin, à la côte d'Afrique. Malheureusement, ces prévisions avaient été trompées, et cela par l'erreur si regrettable commise dans l'appréciation de la vitesse du déroulement de l'appareil, et par l'action des courants qui avaient fait dévier le navire de la route qu'il aurait dû suivre.

Un conseil fut tenu alors entre le commandant du Tartare, M. Kell, capitaine du Dutchman, M. de La Marche et M. Brett. Le commandant du navire français, ayant assuré qu'il serait presque impossible de trouver à Bône un chaland ou une bouée convenable pour retenir le bout du câble à cette profondeur, proposa d'aller immédiatement jusqu'à Alger pour y chercher ces objets, qu'il pourrait rapporter dans cinq jours.

On passa donc le câble de la poupe à la proue, en l'amarrant de manière à n'avoir à craindre aucune avarie pour le bâtiment. Pendant les deux jours suivants, le temps fut beau. Le câble était en parfait état; on put envoyer et recevoir plusieurs dépêches jusqu'à Londres.

Les 16, 17, 18 et 19 août, le Dutchman resta toujours au même point, attendant avec anxiété le retour du Tartare; mais celui-ci, qui aurait pu se procurer le chaland, soit à la Calle, qui n'était qu'à 50 milles, soit à Bône, qui était à 80 milles, soit enfin à Cagliari, qui n'était qu'à 100 milles, avait préféré, comme nous l'avons dit, pousser jusqu'à Alger, qui se trouvait à 200 milles de distance, sans songer qu'en de telles circonstances, la perte d'une heure seulement pouvait devenir fatale.

L'événement ne justifia que trop ces craintes. Dans les premiers jours, le bâtiment ni le câble conducteur, dont l'extrémité était attachée à sa proue, n'éprouvèrent rien de la mer. Mais, le 18, le baromètre ayant baissé tout d'un coup, un orage se déclara, et imprima au navire de violents mouvements d'agitation. Cette tempête dura toute la journée et la nuit suivante; le lendemain, quatrième jour de l'arrivée, le câble était encore en parfait état, transmettant des dépêches jusqu'à neuf heures du matin; on reçut encore des dépêches de Paris et de Londres.

Le navire continuant à rouler énormément, le capitaine donna l'ordre d'allumer les feux de crainte d'accident. Mais, à neuf heures et demie, une mer furieuse battait le navire; elle faisait relever et redescendre la proue avec de terribles secousses, ce qui fit redouter que le câble ne cassât au fond de la mer.

Ayant appliqué au bout du câble l'appareil électrique, M. Brett reconnut, en effet, avec désespoir, que le conducteur télégraphique s'était rompu dans les profondeurs de la mer. Sur la partie du câble retirée et examinée, tout, à l'exception du point de la cassure, était en bon état, et on reconnut que la rupture avait eu lieu par suite du frottement contre des rochers, pendant le roulis qu'avait eu à subir le navire durant ces deux jours de tempête.

Quelques heures après, le Tartare arrivait d'Alger avec un bon bateau flottant du port de 100 tonneaux, muni de grelins, de bouées, etc. Malheureusement, il était trop tard.

Il résulte de ce récit qu'on ne saurait imputer à M. Brett la responsabilité de ce malheur. Si l'on en excepte la faute commise par M. Brett de n'avoir pas fait disposer à bord du Dutchman un appareil propre à repêcher le câble en cas de besoin, il faut reconnaître que le reste des dispositions prises par lui était irréprochable, et que l'échec éprouvé a

tenu à des circonstances qu'il n'était pas possible de prévoir. Ces circonstances sont les indications erronées données par le capitaine du navire français, et l'action des courants qui ont fait dévier le navire de la route qu'il devait suivre. Disons néanmoins que, malgré toutes ces entraves, l'opération aurait certainement réussi, si l'on n'eût perdu un temps des plus précieux en allant chercher jusqu'à Alger ce que l'on aurait pu aisément se procurer à la Calle, à Bône ou à Cagliari.

Le câble télégraphique ainsi perdu était assuré par une compagnie anglaise. M. Brett va s'occuper d'en faire construire un nouveau, qui sera posé suivant la même direction, et bien probablement, cette fois, avec un succès complet.

Pose d'une partie du télégraphe transatlantique.

Un résultat plus heureux a couronné le commencement de l'admirable entreprise qui consiste à relier par un conducteur sous-marin l'Europe et le nouveau monde. Le plan adopté pour établir une liaison de télégraphie électrique entre l'Europe et l'Amérique, consiste à poser un câble sous-marin dans l'océan Atlantique de l'Irlande à l'île de Terre-Neuve, et à compléter la communication en posant un deuxième câble sous-marin entre l'île de Terre-Neuve et le continent américain 1.

La première partie (la plus courte et la plus facile évidemment) de cette immense ligne sous-marine, a été posée avec un succès complet, au mois de juillet 1856. C'est ce que raconte avec tous les détails nécessaires la lettre suivante,

1. Voyez, pour les détails du plan et de l'exécution du télégraphe transatlantique, mon Histoire des découvertes scientifiques modernes, tome II, page 221 (4° édition).

écrite de New-York au Moniteur, à la date du 25 juillet, et qu'il nous suffira de reproduire :

Je suis heureux de vous annoncer que la Compagnie formée pour l'établissement d'un télégraphe électrique entre l'île de Terre-Neuve et le continent américain, a obtenu un plein succès dans la pose du câble sous-marin entre le cap Hay (île de Terre-Neuve) et la baie d'Aspey (cap Breton).

Vous vous rappellerez, sans doute, qu'un essai pareil avait déjà été tenté il y a quelques mois. L'opération de l'immersion du conducteur électrique, commencée alors sous de bons auspices, fut malheureusement interrompue et abandonnée par suite d'une tempête qui brisa le câble, dont la plus grande partie fut perdue.

La Compagnie, sans se laisser décourager par cet accident, fit aussitôt confectionner en Angleterre un nouveau câble, qui fut placé sur le steamer Propontis. C'est ce bâtiment qui vient de terminer si heureusement cette difficile entreprise.

Après être arrivé au cap Ray et avoir débarqué et relié la tête du câble à la station télégraphique, le Propontis a fait route pour le cap Breton le 9 juillet. Sa traversée du golfe SaintLaurent a été très-heureuse, et s'est effectuée en quinze heures, sans le moindre accident ni temps d'arrêt, le câble se déroulant avec la plus grande facilité du centre à la circonférence, à raison de 5 à 6 milles à l'heure. En plongeant vers les plus grandes profondeurs, de 150 à 200 brasses, il descendait à angle d'environ 25o, démontrant ainsi que son grand poids était plus que suffisant pour contre-balancer la marche progressive du navire. Pendant cette traversée, et tout en posant le câble, on a envoyé constamment des messages à terre, et aussitôt après l'arrivée au cap Nord, une station télégraphique, érigée provisoirement sous une tente, a permis d'inaugurer la complète communication entre les deux rives, séparées par une distance de 85 milles.

D'un autre côté, la ligne à travers les terres se poursuit de la manière la plus active. On espère que la communication entre New-York et Saint-Jean de Terre-Neuve sera complétement établie vers le mois de septembre prochain. On pourra alors, par la relâche d'un navire à Saint-Jean, avoir à New-York les nouvelles d'Europe plus fraîches de deux ou trois jours que par Halifax, c'est-à-dire qu'elles précéderont l'arrivée du navire dans le port de New-York d'environ quatre jours. Le rappro

chement des distances mettra désormais New-York à portée d'avoir les nouvelles d'Angleterre en moins de sept jours.

Cette première partie terminée, la Compagnie dite NewYork, New-Foundland and London Telegraphic Company doit procéder sans délai à l'immersion du câble immense qui doit relier Terre-Neuve à l'Irlande. C'est évidemment la partie la plus délicate et la plus problématique de cette œuvre gigantesque. Pour beaucoup de personnes, ce n'est qu'un rêve irréalisable; pour ceux qui ont sérieusement étudié la question, l'entreprise est devenue presque facile. Une étude scientifique du parcours a établi, en effet, que le fond de la mer offre partout une plaine sablonneuse, dans laquelle le câble s'enfoncera par son propre poids, sans avoir à craindre de rupture. De plus, une nouvelle exploration vient d'être ordonnée pour établir d'une manière définitive les bases du travail à faire, et tracer la ligne du parcours que le câble sous-marin doit suivre. A cet effet, le secrétaire de la marine des États-Unis a confié au lieutenant A. H. Berryman le commandement du navire Arctic, celui-là même qui vient de ramener le docteur Kane de son voyage à la recherche de sir John Franklin.

Sa mission est de vérifier l'exactitude des travaux du lieutenant Maury sur les courants et les vents de l'Atlantique septentrional. Il lui est recommandé d'étudier tout spécialement la nature du fond de la mer entre Terre-Neuve et l'Irlande, et la profondeur de l'eau. Il doit en même temps ne négliger aucune étude qui puisse éclairer le gouvernement sur la possibilité de réaliser les projets de la Compagnie du télégraphe sous-marin,

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