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CHAPITRE IV

PHILOSOPHIE DES FLEURS.

Le vrai sage prend conseil de tout ce qu'il voit.

(PROV.)

I

Au printemps, après le silence de la nuit, lorsque le soleil commence à darder ses premiers feux, on voit dans la coupole du firmament cette innombrable armée des étoiles du ciel se retirer lentement et s'effacer: mais alors les étoiles de la terre se montrent aussitôt pour les remplacer; car la nature s'avance dès le matin parée d'une armée de fleurs qui boivent les larmes de la rosée et dont l'éclat et le parfum portent l'âme attentive aux plus sérieuses réflexions de sagesse philosophique.

A la vue de tant de merveilles qui viennent chaque matin renouveler la parure de la terre, l'homme du monde, peu soucieux de ses destinées d'outre-tombe, se contentera peut-être du délicieux tableau d'un jardin artistement tracé et richement pourvu des plus belles variétés de plantes et d'arbustes; il se promènera avec

plaisir dans les sentiers d'une prairie émaillée de fleurs; il respirera volontiers les parfums dont l'air est embaumé; mais toute l'élévation de ses sentiments n'ira probablement que jusqu'à croire qu'il se trouve en un jour de frairie où la population est en belle humeur.

Or s'arrêter là, c'est-à-dire à l'écorce des choses, c'est la part des yeux plus que celle du cœur; c'est ignorer le premier mot de la véritable philosophie des choses de Dieu l'homme sérieux va plus loin; il sait

Qu'il doit de plus, exempt d'une ardeur puérile,
S'instruire à chaque instant, mais pour se rendre utile;
Et, dans tout observant et le bien et le mal,
Rattacher ce qu'il voit à l'ordre général.

C'est ainsi que le philosophe chrétien, pour qui le monde de la grâce est tout, éprouve le besoin d'élever son cœur et son intelligence vers celui qui, en faisant les fleurs si belles, a voulu lui offrir autant de perspectives enchanteresses de la véritable utilité des fleurs: il saisit alors cette occasion pour écouter le langage de ces élégantes créatures et il croit entendre une voix mystérieuse qui lui dit:

D'un Dieu si bon pour toi vois donc la bienveillance,
Bénis tout ce qui vit, et qui sent ou qui pense,
Comprends même les fleurs dans ce plan merveilleux,
Plus tu les aimeras, plus tu seras heureux.

Pour nous, nous éprouvons sans doute du plaisir à jouir du spectacle d'un beau parterre dont les contours sont tracés avec art et qui est dans sa première verdure; mais, s'il est privé de fleurs, nos regards n'y feront pas un long séjour, car ce n'est encore là que le dessin ébauché et l'esquisse d'un tableau qui attend le coloris.

Or, voilà que l'on commence à apercevoir de tous cotés des bourgeons prêts à s'ouvrir, mais qui ne sont encore que des promesses et des révélations anticipées des richesses qui vont bientôt arriver. Ce coup d'oeil plaît déjà davantage.

Le printemps au front vert, aux riantes couleurs,
Offre déjà l'espoir d'une masse de fleurs.

A la vue de ces gradations naissantes, il ne faut pas un grand effort de philosophie pour voir dans ces débuts de la nature une riche figure de cette première enfance qui donne à la patrie l'espoir d'une belle virilité. Que de joie, que de gaieté, que de vie dans ces premières apparitions qui font naître tant d'espérance! Non, le ciel n'a pas de plus belles étoiles. Vraiment, après la triste monotonie de l'hiver, on croit sortir de l'exil.

Pour nos yeux enchantés, la terre est rajeunie;
La fraîcheur des jardins, les bosquets, la prairie,
La voûte d'un beau ciel, le zéphyr caressant,
Tout porte le bonheur dans un cœur innocent.

Nous sommes en plein avril. Ce mot vient du latin aperire qui signifie ouvrir, parce qu'alors une douce chaleur, qui contraste avec les froids et les grandes bises que nous venons de traverser, fait épanouir une infinité de feuilles et de boutons qui éclosent comme par enchanment; mais nous ne devons pas encore nous croire exempts de ces brusques variations de l'atmosphère toujours bien contrariantes pour la délicatesse de certaines fleurs, et qui trop souvent viennent mettre les regrets à la place de l'espérance.

Ces recrudescences de froid subit, ces grêles inattendues, ces grésils, ces giboulées d'avril, sont autant d'allégories philosophiques sous lesquelles on ne peut s'empêcher de voir les premiers débuts de cette frétillante enfance, si souvent entremêlés de rougeoles, de scarlatines et de petites véroles qui enlèvent ou défigurent tant de jeunes gens au moment où ils donnaient les plus riantes espérances. Ces tristes circonstances, qui inspirent toujours aux fleuristes et aux horticulteurs de si vives inquiétudes, ne sont que les prémisses de la philosophie du printemps qui vient instruire la pauvre humanité. Combien de fois, en pareil cas, la tendresse maternelle ne semblait-elle pas crier à la mort:

Cueille encor, si tu veux, cette fleur fraîche éclose;
Mais laisse le bouton à côté de la rose.

Hélas! l'impitoyable mort fait la sourde oreille, et elle n'en prélève pas moins sur l'humanité naissante son tribut du printemps. Combien de fleurs vivantes qui, nées avec cette belle saison, doivent finir avec elle!

Fort et frais au matin de sa belle journée,

L'enfant succombe; ainsi la fleur est moissonnée.

Comptez, en effet, si vous le pouvez, les fleurs du premier âge qui succombent sous le coup de la crise qui les sépare de l'adolescence et dont la langueur précoce n'arrivera pas à l'hiver prochain. Un vent d'orage va les abattre sans retour, comme cela est déjà arrivé si souvent autour de nous à tant de jeunes personnes que la mort a arrachées à la tendresse d'une famille: pour elles cependant, ce n'était ni l'automne ni l'hiver, et c'était déjà la fin de leur course au milieu du printemps. Dans ces larmes qui tombaient de leurs yeux et que l'on voyait briller sur leurs joues, comme des gouttes de rosée sur les fleurs du printemps, on entrevoyait déjà les préludes d'une vie qui ne devait durer que ce que durent les fleurs, et l'on croyait même les entendre consoler leurs parents éplorés, et leur dire avec tout le calme d'une sainte espérance : « Je vous quitte; mais ne pleurez pas, ce n'est pas pour toujours. »

Tombe, tombe, feuille éphémère !
Couvre, hélas! ce triste chemin,

MARIE DANS LES FLEURS.

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