Page images
PDF
EPUB

perpétuer son nom, mais il lui a donné un bien inestimable, une compagne digne de lui. Sa piété filiale méritait bien ce bonheur. C'était à sa mère, atteinte par des revers de fortune, qu'il envoyait le produit de ses travaux; et, près de terminer sa carrière, cette mère a voulu d'une main défaillante constater toute l'étendue des sa crifices que son fils avait faits pour elle, et elle terminait par ces mots : « Dieu, pour te récompenser de ta piété filiale, mon cher fils, t'a fait le don le plus précieux, c'est ta femme. »

M. Vauchelle n'a pas seulement goûté ce bonheur, il en a ressenti un autre bien rare, celui d'avoir des amis. Des moralistes modernes ont prétendu que sous l'influence des liens de la famille, que le christianisme a rendus si intimes et si sacrés, nous ne pouvions plus rencontrer de ces amitiés fortes et durables dont l'antiquité nous avait offert des modèles. Ces assertions chagrines ont été démenties sous nos yeux, et nous avons pu voir que l'union la plus douce n'exclut point d'autres sentiments également profonds, éclos instinctivement dans la jeunesse soit par la sympathie, soit quelquefois même par le contraste des caractères, cimentés par une estime mutuelle et perpétués jusqu'au dernier jour par le désintéressement, la pureté et la chaleur de l'amitié.

Faut-il donc s'étonner que sa mort ait fait éprouver à des cœurs aimés la douleur que lui-même avait quelquefois ressentie? Faut-il s'étonner que sa perte ait été déplorée par tous les citoyens, depuis le plus élevé jusqu'au plus modeste, et que les classes populaires, qu'il n'a jamais flattées, aient voulu porter elles-mêmes sa dépouille mortelle au tombeau? Cette manifestation touchante a jusqu'ici, nous le pensons, été unique. Mais la noble et complète existence de celui qui en fut l'objet l'explique et la justifie. Versailles, cité nouvelle, ne peut se glorifier encore d'une longue suite de magistrats populaires; cependant, les noms de Richaud et de Jouvencel survivent, toujours illustrés par le courage intrépide contre les piques d'une émeute sanglante ou contre l'oppression de l'invasion étrangère. Tant que la fermeté du caractère, le patriotisme, l'intégrité, le dévouement infatigable seront ici considérés comme des vertus, le nom de Vauchelle y restera, et ses successeurs les plus éloignés se le rappelleront pour y trouver aussi un encouragement et un exemple.

LÉGENDE GALLO-GRECQUE "

PAR

E. COUGNY

MEMBRE TITULAIRE.

I

La fête lentement s'éteint: ainsi la joie

Sur un jeune visage où l'âme se déploie,

En fuyant, laisse encor s'épanouir des fleurs...

- La fête n'aura pas un lendemain de pleurs !...
Quel charme en son déclin ! comme elle danse encore,
La main pressant la main, sous l'yeuse que dore
Les longs rayons penchés dans les voiles du soir!...
Mais plus d'une et plus d'un, deux à deux, vont s'asseoir
Déjà, loin de la foule; et l'on cause à voix basse.
Un murmure d'amour avec la brise passe,

(1) Sujet tiré des Erotiques de Parthénius de Nicée, ch. VIII.

La brise qui ravit, légère, dans son vol,
A la fleur son parfum, son chant au rossignol,
Au cœur les vagues sons que la bouche soupire,
Alors que, sans parler, on a tout à se dire !....

Là-bas, dans le lointain, que dit l'écho des bois ?
Quels sont ces mots pareils aux accords du haut-bois ?
L'oreille, en s'emplissant de leur pure harmonie,
Reconnaît les chansons de la molle Ionie,

Les chansons du vieillard qui ne reçut des Dieux,
Durant quatre-vingts ans, que des jours radieux !

Tous les ans, brune hirondelle,
Tu reviens, hôte fidèle,
Suspendre à mon toit ton nid.
Puis, quand l'âpre hiver arrive,
Tu t'enfuis vers une rive
Où l'été point ne finit !

Tel, à la saison nouvelle,
L'amour vint, hôte fidèle,
Son nid en mon cœur bâtir:
La maison de sa couvée
Pleine bientôt s'est trouvée :
Il n'a plus voulu partir!...

Petit amour vient d'éclore:
Un autre en l'œuf vit encore
Ou s'en échappe à demi...
- Oh! la folâtre famille
Qui rit, qui jase et fourmille,
Où pas un n'est endormi!

[merged small][ocr errors][merged small]

Ainsi chante gaîment sous la verte feuillée,
En tenant à sa voix toute ōreille éveillée,
La belle Chélonis, la brune au teint de lait,
Le lys suave et pur des jardins de Milet.
Du doux Anacréon Chélonis tient la lyre;
Elle aime à s'égarer en cet heureux délire,
Où l'aimable poète ouvrait en souriant
L'aile de sa pensée aux souffles d'Orient.
Chélonis sait aussi les touchantes histoires

Et les contes piquants tout remplis des victoires
De l'amour, les récits auxquels chacun se plaît,
Et qu'on nomme déjà les Fables de Milet.

Son enfance a vécu de ces riants mensonges,
Et trop souvent, depuis, elle s'est vue en songes
Passant les mers, avec quelque prince inconnu,
Mais plus beau que le jour, et tout exprès venu
Pour l'emmener bien loin, bien loin, à mille lieues,
Par delà l'horizon de ses collines bleues...

Elle a rêvé souvent palais aux dômes d'or,

Bosquets pleins de mystère, où l'on aime, où l'on dort, Où l'on laisse sa vie, ô volupté suprême!

Fleur au milieu des fleurs, s'effeuiller d'elle-même,

Et s'en aller... au gré de tous ces flots charmants
Qu'on appelle plaisirs, amours, enchantements!...

(1) Traduction d'Anacreon.

Et pourtant Chélonis est épouse; elle est mère !
Mais tout devoir pour elle est tyran ou chimère :
Elle en rit ou détourne avec ennui les yeux...

Ses beaux yeux, où se peint l'azur changeant des cieux, Comme l'onde sont doux et douteux comme l'onde...

Et son petit enfant, amour à tête blonde,

N'en a tiré jamais un de ces longs regards,

Par qui du monde, au loin, embrassant les hasards
Une mère y choisit la place qu'elle nomme,

Où doit s'épanouir son frêle enfant fait homme...

Et l'époux! c'est Xanthos, le célèbre rhéteur,
Rhéteur, mais non de mots ridicule apprêteur!...
De la grande éloquence il s'est fait l'interprète.
Quand il parle, sa voix à tous donne une fête;
De ses doctes leçons cent disciples épris,
Sous lui, des beaux discours se disputent le prix.
Xanthos, depuis vingt ans, épanche dans ces âmes
Des nobles passions les généreuses flammes,
Et, pour payer ses soins, une large moisson
De richesse et de gloire a rempli sa maison...
Un jour, il avait vu la pensive sirène,

Et dès lors de son cœur Chélonis fut la reine.
Trois fois a reverdi la saison des amours
Depuis qu'à Chélonis il a voué ses jours;
Et croyant l'enlever au ciel menteur des rêves,
A la soif d'inconnu qui la brûle sans trêves,

Il verse, il verse à flots les fêtes, les plaisirs...
L'enivrante liqueur enflamme les désirs!

« PreviousContinue »