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ceptes, se sont privez de la gloire de leurs bien faitz (1), et nous dufruict de l'immitation d'iceux : et par mesme moyen nous ont laissé nostre langue si pauvre et nue, qu'elle a besoing des ornementz, (et s'il fault ainsi parler) des plumes d'autruy.

Mais qui voudroit dire que la greque et romaine eussent tousjours eté en l'excellence qu'on les a vues du tens d'Homere et de Demosthene, de Virgile et de Ciceron? Et si ces aucteurs eussent jugé que jamais pour quelque diligence et culture qu'on y eust peu faire, elles n'eussent sceu produyre plus grand fruict, se feussent ilz tant eforcez de les mettre au point ou nous les voyons maintenant? Ainsi puys-je dire de nostre langue, qui commence encores à fleurir sans fructifier, ou plus tost, comme une plante et vergette, n'a point encores fleury, tant se fault qu'elle ait apporté tout le fruict qu'elle pouroit bien produyre. Cela certainement non pour le default de la nature d'elle, aussi apte à engendrer que les autres, mais pour la coulpe de ceux qui l'ont euë en garde, et ne l'ont cultivée à suffisance: ains comme une plante sauvaige, en celuy mesme desert ou elle avoit commencé à naitre, sans jamais l'arrouser, la tailler, ny defendre des ronces et epines qui luy faisoint umbre, l'ont laissée envieillir et quasi mourir. Que si les anciens Romains eussent cté aussi negligens à la culture de leur langue quand premierement elle commença à pululer, pour certain en si peu de tens elle ne feust devenue si grande. Mais eux, en guise de bons agriculteurs, l'ont premierement transmuée d'un lieu sauvaige en un domestique; puis affin que plus tost et mieux elle peust fructifier, coupant à l'entour les inutiles rameaux, l'ont pour echange d'iceux restaurée de rameaux francz et domestiques magistralement tirez de la langue greque, les quelz soudainement se sont si bien entez et faiz semblables à

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(1) « Optumus quisque facere quam dicere, sua ab aliis benefacta laudari, quam ipse aliorum narrare malebat. »

SALLUST. Bell, Catil., ch. 8.

leur tronc, que desormais n'apparoissent plus adoptifz, mais naturelz. De la sont nées en la langue latine ces fleurs et ces fruictz colorez de cete grande eloquence, avec ces nombres et cete lyaison si artificielle, toutes les quelles choses, non tant de sa propre nature que par artifice, toute langue a coutume de produyre.

Donques si les Grecz et Romains, plus diligens à la culture de leurs langues que nous à celle de la nostre, n'ont peu trouver en icelles, sinon avecques grand labeur et industrie, ny grace, ny nombre, ny finalement aucune eloquence, nous devons nous emerveiller si nostre vulgaire n'est si riche comme il pourra bien estre, et de la prendre occasion de le mepriser comme chose vile et de petit prix? Le tens viendra, peut estre, et je l'espere moyennant la bonne destinée francoyse, que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie, et que nostre langue (si avecques Francoys n'est du tout ensevelie la langue francoyse) qui commence encor' à jeter ses racines, sortira de terre, et s'elevera en telle hauteur et grosseur, qu'elle se poura egaler aux mesmes Grecz et Romains, produysant comme eux des Homeres, Demosthenes, Virgiles et Cicerons, aussi bien que la France a quelquesfois produit des Pericles, Nicies, Alcibiades, Themistocles, Cesars et Scipions.

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CHAPITRE IV. Que la Langue francoyse n'est si pauvre que beaucoup l'estiment.

Je n'estime pourtant nostre vulgaire, tel qu'il est maintenant, estre si vil et abject, comme le font ces ambicieux admirateurs des langues greque et latine, qui ne penseroint, et feussent ilz la mesme Pithô déesse de persuasion, pouvoir rien dire de bon, si n'etoit en langaige etranger et non entendu du vulgaire. Et qui voudra de bien pres y regarder, trouvera que nostre langue francoyse n'est si pauvre qu'elle ne puysse rendre fidelement ce qu'elle

emprunte des autres; si infertile, qu'elle ne puysse produyre de soy quelque fruict de bonne invention, au moyen de l'industrie et diligence des cultiveurs d'icelle, si quelques uns se treuvent tant amys de leur pays et d'eux mesmes qu'ilz s'y veillent employer.

Mais à qui, apres Dieu, rendrons nous graces d'un tel benefice, sinon à nostre feu bon roy et pere Francoys premier de ce nom et de toutes vertuz ? Je dy premier, d'autant qu'il a en son noble royaume premierement restitué tous les bons ars et sciences en leur ancienne dignité; et si à nostre langaige, au paravant scabreux et mal poly, rendu elegant, et si non tant copieux, qu'il poura bien estre pour le moins fidele interprete de tous les autres. Et qu'ainsi soit, philosophes, historiens, medicins, poëtes, orateurs grecz et latins ont appris à parler francois.

Que diray-je des Hebreux ? Les saintes lettres donnent ample temoingnaige de ce que je dy. Je laisseray en cest endroict les superstitieuses raisons de ceux qui soutiennent que les mysteres de la theologie ne doyvent estre decouverts et quasi comme prophanez en langaige vulgaire, et ce que vont alleguant ceux qui sont d'opinion contraire; car ceste disputation n'est propre à ce que j'ay entrepris, qui est seulement de montrer que nostre langue n'a point eu à sa naissance les dieux et les astres si ennemis qu'elle ne puisse un jour parvenir au poinct d'excellence et de perfection, aussi bien que les autres, entendu que toutes sciences se peuvent fidelement et copieusement traicter en icelle, comme on peut voir en si grand nombre de livres grecz et latins, voire bien italiens, espaignolz et autres, traduictz en francoys par maintes et excellentes plumes de nostre tens.

CHAPITRE V.

- Que les Traductions ne sont suffisantes pour donner perfection à la langue francoyse.

Toutesfois ce tant louable labeur de traduyre ne me semble moyen unique et suffisant pour elever nostre vulgaire à l'egal et parangon des autres plus fameuses langues; ce que je pretens prouver si clerement, que nul n'y vouldra, ce croy je, contredire, s'il n'est manifeste calumniateur de la verité.

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Et premier, c'est une chose accordée entre tous les meilleurs aucteurs de rethorique, qu'il y a cinq parties de bien dire, l'invention, l'eloquution, la disposition, la memoire et la pronuntiation. Or pour autant que ces deux dernieres ne s'aprennent tant par benefice des langues, comme elles sont données à chacun selon la felicité de sa nature, augmentées et entretenues par studieux exercice et continuelle diligence; pour autant aussi que la disposition gist plus en la discretion et bon jugement de l'orateur qu'en certaines reigles et preceptes, veu que les evenementz du tens, la circunstance des lieux, la condition des personnes et la diversité des occasions, sont innumerables: je me contenteray de parler des deux premiers, scavoir de l'Invention et de l'Eloquution.

L'office donques de l'orateur est de chacune chose proposée elegamment et copieusement parler. Or ceste faculté de parler ainsi de toutes choses ne se peut acquerir que par l'intelligence parfaite des sciences, les queles ont eté premierement traitées par les Grecz, et puis par les Romains imitateurs d'iceux. Il fault donques necessairement que ces deux langues soint entendues de celuy qui veut acquerir cete copie et richesse d'invention, premiere et principale piece du harnoys de l'orateur. Et quand à ce poinct, les fideles traducteurs peuvent grandement servir, et soulaiger ceux qui n'ont le moyen unique de vacquer aux langues estrangeres.

Mais quand à l'Eloquution, partie certes la plus difficile et sans la quelle toutes autres choses restent comme inutiles et sembla

bles à un glayve encores couvert de sa gayne, l'eloquution, dy je, par la quelle principalement un orateur est jugé plus excellent, et un genre de dire meilleur que l'autre, comme celle dont est apellée la mesme eloquence, et dont la vertu gist aux motz propres, usitez et non aliénes du commun usaige de parler, aux metaphores, alegories, comparaisons, similitudes, energies, et tant d'autres figures et ornemens, sans les quelz tout oraison et poëme sont nudz, manques et debiles : je ne croyray jamais qu'on puisse bien apprendre tout cela des traducteurs, pour ce qu'il est impossible de le rendre avecques la mesme grace dont l'autheur en a usé; d'autant que chacune langue a je ne scay quoy propre seulement à elle, dont si vous efforcez exprimer le naïf en une autre langue, observant la loy de traduyre, qui est n'espacier point hors des limites de l'aucteur, vostre diction sera contrainte, froide est [et] de mauvaise grace. Et qu'ainsi soit, qu'on me lyse un Demosthene et Homere latins, un Ciceron et Vergile francoys, pour voir s'ilz vous engendreront telles affections, voire ainsi qu'un Prothée vous transformeront en diverses sortes, comme vous sentez, lisant ces aucteurs en leur langues: il vous semblera passey [passer] de l'ardente montaigne d'Aetne sur le froid sommet de Caucase. Et ce que je dy des langues latine et greque, ce [se] doit reciproquement dire de tous les vulgaires, dont j'allegueray seulement un Petrarque, duquel j'ose bien dire, que si Homere et Virgile renaissans avoint entrepris de le traduyre, ilz ne le pouroint rendre avecques la mesme grace et naïfveté, qu'il est en son vulgaire toscan. Toutesfois quelques uns de notre tens ont entrepris de le faire parler francoys.

Voyla en bref les raisons, qui m'ont fait penser que l'office et diligence des traducteurs, autrement fort utile pour instruire les ignorans des langues etrangeres en la congnoissance des choses, n'est suffisante pour donner à la nostre ceste perfection, et comme font les peintres à leur tableaux, ceste derniere main que nous desirons. Et si les raisons que j'ay alleguées ne semblent assez fortes, je produiray pour mes garans et deffenseurs les anciens.

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