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à te la dedier, que la grandeur de ton nom : afin qu'elle se cache (comme soubz le bouclier d'Ajax) contre les traictz envenimez de ceste antique ennemye de vertu, soubz l'umbre de tes esles; de toy dy-je, dont l'incomparable scavoir, vertu, et conduyte, toutes les plus grandes choses, de si long tens de tout le monde sont experimentées, que je ne les scauroy' plus au vif exprimer, que les couvrant (suyvant la ruse de ce noble peintre Tymante) soubz le voyle de silence, pource, que d'une si grande chose il vault trop myeux, comme de Carthage disoit T. Live, se taire du tout, que d'en dire peu. Recoy donques avecques ceste accoutumée bonté, qui ne te rend moins amyable entre les plus petiz que ta vertu et auctorité venerable entre les plus grands, les premiers fruictz, ou pour myeulx dire, les premieres fleurs du printens de celuy, qui, en toute reverence et humilité, bayse les mains de ta R. S.; priant le Ciel te departir autant d'heureuse et longue vie, et à tes haultes entreprises estre autant favorable, comme envers toy il a eté libéral, voyre prodigue de ses graces. A Dieu, de Paris ce. 15. de Fevrier, 1549.

LA DEFENSE ET ILLUSTRATION

DE

LA LANGUE FRANCOYSE.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE I. De l'Origine des Langues.

Si la Nature (dont quelque personnaige de grand'renommée non sans rayson a douté si on la devoit appeller mere ou maratre) eust donné aux hommes un commun vouloir et consentement, outre les innumerables commoditez qui en feussent procedées, l'inconstance humaine n'eust eu besoing de se forger tant de manieres de parler; laquéle diversité et confusion se peut à bon droict appeller la Tour de Babel.

Donques les Langues ne sont nées d'elles mesmes en façon d'herbes, racines et arbres, les unes infirmes et debiles en leurs espéces, les autres saines et robustes et plus aptes à porter le faiz des conceptions humaines; mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortelz. Cela, ce me semble, est une grande raison pourquoy on ne doit ainsi louer une langue, et blamer l'autre, veu qu'elles viennent toutes d'une mesme source et origine, c'est la fantasie des hommes; et ont eté formées d'un mesme jugement, à une mesme fin, c'est pour signifier entre nous les conceptions et intelligences de l'esprit. Il est vray que par succession de tens, les unes, pour avoir eté plus curieusement reiglées, sont devenues plus riches que les autres : mais cela ne se doit attribuer à la felicité desdites langues, ains au seul artifice et industrie des hommes. Ainsi doncques toutes les choses

que la nature a crées, tous les ars et sciences, en toutes les quatre parties du monde, sont chacune endroict soy une mesme chose ; mais pource que les hommes sont de divers vouloir, ilz en parlent et ecrivent diversement.

A ce propos, je ne puis assez blamer la sotte arrogance et temerité d'aucuns de notre nation, qui n'etans rien moins que Grecz ou Latins, deprisent et rejetent d'un sourcil plus que stoïque toutes choses ecrites en francois; et ne me puys assez emerveiller de l'etrange opinion d'aucuns scavans, qui pensent que nostre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et erudition, comme si une invention pour le languaige seulement devoit estre jugée bonne ou mauvaise. A ceux la je n'ay entrepris de satisfaire ; à ceux-cy je veux bien, s'il m'est possible, faire changer d'opinion par quelques raisons, que brefvement j'espere deduyre: non que je me sente plus cler voyant en cela ou autres choses qu'ilz ne sont, mais pource que l'affection qu'ilz portent aux langues estrangieres, ne permet qu'ilz veillent faire sain et entier jugement de leur vulgaire.

CHAPITRE II.-Que la Langue francoyse ne doit estre nommée barbare.

ils

Pour commencer donques à entrer en matiere, quand à la signification de ce mot Barbare: Barbares anciennement etoint nommez ceux- qui ineptement parloint grec. Car comme les etrangers venans à d'Athenes s'efforcoint de parler grec, tumboint souvent en ceste voix absurde ẞaplapas. Depuis les Grecz transportarent ce nom aux meurs brutaux et cruelz, appellant toutes nations, hors la Grece, Barbares; ce qui ne doit en rien diminuer l'excellence de notre langue, veu que ceste arrogance greque, admiratrice seulement de ses inventions, n'avoit loy ny privilege de legitimer ainsi sa nation, et abatardir les au

tres, comme Anacharsis disoit que les Scythes etoint barbares entre les Atheniens, mais les Atheniens aussi entre les Scythes. Et quand la barbarie des meurs de notz ancéstres eust deu les mouvoir à nous apeller Barbares, si est ce que je ne voy point pourquoy on nous doive maintenant estimer telz, veu qu'en civilité de meurs, equité de loix, magnanimité de couraiges, bref, en toutes formes et manieres de vivre, non moins louables que profitables, nous ne sommes rien moins qu'eux, mais bien plus, veu qu'ilz sont telz maintenant, que nous les pouvons justement apeller par le nom qu'ilz ont donné aux autres. Encores moins doit avoir lieu, de ce que les Romains nous ont appellez Barbares, veu leur ambition et insatiable faim de gloyre, qui tachoint non seulement à subjuger, mais à rendre toutes autres nations viles et abjectes aupres d'eux, principalement les Gauloys, dont ilz ont receu plus de honte et dommaige que des autres.

A ce propos, songeant beaucoup de foys d'ou vient que les gestes du peuple romain sont tant celebrés de tout le monde, voyre de si long intervale preferés à ceux de toutes les autres nations ensemble, je ne treuve point plus grande raison que ceste cy: c'est que les Romains ont eu si grande multitude d'ecrivains, que la plus part de leur [leurs] gestes (pour ne dire pis) par l'espace de tant d'années, ardeur de batailles, vastité d'Italie, incursions d'estrangers, s'est conservée entiere jusques à nostre tens. Au contraire les faiz des autres nations, singulierement des Gauloys, avant qu'ilz tumbassent en la puyssance des Francoys, et les faiz des Francoys mesmes, depuis qu'ilz ont donné leur nom aux Gaules, ont eté si mal recueilliz, que nous en avons quasi perdu non seulement la gloire, mais la memoyre (1). A quoy à bien aydé l'envie

« Atheniensium res gestæ, sicuti ego existumo, satis amplæ, magnifi.. cæque fuere; verum aliquànto minores tamen quam famâ feruntur. Sed quia provenere ibi scriptorum magna ingenia, per terrarum orbem Atheniensium facta pro maxumis celebrantur. Ita eorum qui ea fecere vir

des Romains, qui comme par une certaine conjuration conspirant contre nous, ont extenué en tout ce qu'ilz ont peu notz louanges belliques, dont ilz ne pouvoint endurer la clarté; et non seulement nous ont fait tort en cela, mais pour nous rendre encor' plus odieux et contemptibles, nous ont apellez brutaux, cruelz et Barbares. Quelqu'un dira, pourquoy ont-ilz exempté les Grecz de ce nom? pource qu'ilz se feussent fait plus grand tort qu'aux Grecz mesmes, dont ilz avoint emprunté tout ce qu'il avoint de bon, au moins quand aux sciences et illustration de leur langue. Ces raysons me semblent suffisantes de faire entendre à tout equitable estimateur des choses que nostre langue (pour avoir eté nommes Barbares ou de nož ennemis, ou de ceux qui n'avoint loy de nous bailler ce nom) ne doit pourtant estre deprisée mesmes de ceux aux quelz elle est propre et naturelle, et qui en rien ne sont moindres que les Grecz ou Romains.

CHAPITRE III. —Pourquoy la Langue francoyse n'est si riche que la greque et latine.

Et si nostre langue n'est si copieuse et riche que la greque ou latine, cela ne doit estre imputé au default d'icelle, comme si d'elle mesine elle ne pouvoit jamais estre sinon pauvre et sterile : mais bien on le doit attribuer à l'ignorance de notz majeurs, qui ayans (comme dict quelqu'un, parlant des anciens Romains) en plus grande recommandation le bien faire que le bien dire, et mieux aymans laisser à leur posterité les exemples de vertu que les pre

tus tanta habetur, quantum verbis eam potuere extollere præclara ingenia. At popolo romano nunquam ca copia fuit.»>

SALLUST., Bell. Catil., ch. 8.

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