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inertie funeste. O vous, hommes de cœur et de raison, démasquez dans son égoïsme et flétrissez, sous sa couronne de roses, la doctrine du plaisir; montrez à nu le cœur séché et rongé par elle; appliquez un fer brûlant sur les bouches vénales: alors la France renaîtra comme une digne fille de Dieu, et notre littérature sera un mets divin pour les hommes.

Depuis les premiers bégaiements de notre poésie jusqu'au roman de la Rose, depuis le roman de la Rose jusqu'à Désaugiers, la galanterie et la moquerie sont le fond et la vie de la plupart de nos poésies et de nos romans aussi que de fadeur, que de libertinage et de scepticisme dans toute notre littérature! Si ces qualités y régnaient sans partage, ne faudrait-il pas la condamner au feu comme pernicieuse à l'humanité ? Heureusement il s'est trouvé dix justes pour conjurer la colère du ciel; mais ces dix justes morts, que deviendra la cité coupable? Est-ce la théorie de l'art pour l'art, et le scepticisme romantique, sous son manteau catholique, qui ramènera les mœurs et le bon goût? Sont-ce des hommes chez qui est mort tout amour pour les enfants, pour l'épouse, pour la patrie, qui feront une langue saine, qui composeront des poëmes fortifiants et doux au cœur, qui dans leurs écrits feront reluire la vérité ?

Concluons que pour relever la langue il faut aujourd'hui relever la littérature, si enfoncée dans l'ornière et le bourbier, rongée de ses vieux ulcères.

Rappelons aux journalistes que l'ignorance et le pédantisme sont funestes et ridicules; que la légèreté des jugements est condamnable; que la camaraderie sans bornes a égaré le public et perdu les auteurs: l'homme est si faible, que la louange qu'il a fait préparer lui-même l'empoisonne. Il faut de la fraternité, mais non des coteries: sans doute l'amitié est sainte, mais la justice l'est encore plus.

L'avidité des libraires a fait porter depuis vingt ans le charlatanisme littéraire à un degré honteux et inouï; à force d'abuser le public, ils l'ont dégoûté, et ils ont tué du même coup la librairie et

la littérature. Que les auteurs s'instruisent par l'étude, se réfrènent sur la vanité et l'avidité, qui leur fait composer un volume par mois, le trouvant toujours trop bon pour un public arrogamment méprisé par eux, mais qui leur rend bien leur mépris. Que les auteurs qui sont dans le besoin cherchent à côté de la littérature des moyens d'existence et une conscience indépendante: aujourd'hui, il ne faut plus être homme de lettres par état, si l'on ne veut pas s'exposer à vendre sa plume et son honneur.

Il est toujours ignoble, il est odieux, au milieu des profondes misères qui nous entourent, de faire de l'or son dieu, et de la volupté sa religion; la vie de plaisir et l'exercice sérieux du talent sont même incompatibles;

Qui studet optatam cursu contingere metam,
Multa tulit fecitque puer, sudavit et alsit,
Abstinuit venere et vino.

(HOR., De Arte Poet., v. 412-414.)

La mission est grande et belle, non moins que celle du prêtre chrétien et du philosophe de l'antiquité; mais quel compte à rendre! La renommée est une seconde obligation d'être vertueux. Tout homme dont le nom est répété est exposé aux regards et aux discours du public; plus un auteur a de talent et de réputation, plus il est dangereux ou bienfesant. Ses écrits vont entretenir les pensées intimes de l'homme et de la mère de famille, les causeries du jeune homme et les rêveries de la jeune fille; corrompu et au fond de l'abîme, il ne peut y rester seul; il y fait descendre par des chemins glissants et rapides les ames faibles et passionnées; il a vécu pour la ruine morale ou pour le salut de tous ceux qui l'ont lu. L'écrivain est donc responsable pour lui et pour plusieurs des exemples qu'il donne et des principes qu'il professe. Qu'est-ce que les lettres, quel est leur prix, si elles ne servent à nous rendre meilleurs et plus respectables ? Ne doivent-elles pas faire grandir la moralité de l'auteur et du public? Qu'il y ait, je l'accorde, quel

ques esprits badins et frivoles, dont les récits ou les productions amusent dans les moments perdus; mais qu'ils soient en petit nombre dans une littérature, et surtout qu'ils soient amusants !

Enfin, souvenons-nous que l'homme marche avant le littérateur, mais aussi que le grand écrivain, comme le chef politique, par l'autorité de son exemple et de sa parole, vaut à lui seul plusieurs hommes. Il a aussi plus de mérite à vaincre son cœur que le simple citoyen, car quiconque a eu plus de combats à rendre, vainqueur recueillera plus de gloire et un bonheur inaltérable. Le public, toujours juste à la longue, tient compte aux hommes supérieurs par leur position et leurs talents, des périls qu'ils ont courus et surmontés; et les vertus des grands écrivains ont toujours reçu de la postérité leur tribu légitime d'hommages. Que cette gloire est encourageante! Quelle plus noble ambition que celle de conduire les hommes à la vertu en charmant leur esprit ?

Mais reconnaissons aussi que la philosophie, la religion et la liberté ne suffisent pas à former une bonne littérature; il faut y joindre l'imagination, le sentiment des convenances sociales et littéraires, et le tact grammatical, qui ne peut se développer que par l'étude du Bon Usage.

NOTE DU CHAPITRE IX.

J'ai parlé de la version des Psaumes par Conrart. Voici deux passages de cette version trop peu connue et trop peu appréciée ; on y reconnaîtra la belle langue du dix-septième siècle.

Psaume go.

Toujours, Seigneur, tu fus notre retraite,
Notre secours, notre sûre défense;

Avant qu'on vît des hauts monts la naissance,

Et même avant que la terre fût faite,

Tu fus toujours vrai Dieu comme tu l'es,

Et comme aussi tu dois l'être à jamais,

D'un mot tu peux nos faibles corps dissoudre,
Si tu nous dis: Créatures mortelles !
Cessez de vivre et retournez en poudre.
Mille ans à toi qui l'Éternel t'appelles

Sont comme à nous le jour d'hier qui fuit,

Ou seulement une veille en la nuit.

Dès que sur eux tu fais tomber l'orage,

Ils s'en vont tous comme un songe qui passe

Qu'avec le jour un prompt réveil efface;

Ou, comme aux champs, on voit un vert herbage,

Frais le matin, dans sa plus belle fleur,

Perdre le soir sa grâce et sa couleur.

Ces strophes montrent la grâce de l'inversion dans la poésie noble, et prouvent qu'il est possible, qu'il n'est pas choquant d'entrelacer des rimes féminines.

Psaume 104.

Il faut, mon âme, il faut avec ardeur

De l'Éternel célébrer la grandeur,

Dieu Tout-Puissant, seul digne de mémoire,

Je te contemple environné de gloire,
Ceint de lumière et paré richement
De ta splendeur comme d'un vêtement.
Pour pavillon à ta majesté sainte,

Ta main forma des cieux la vaste enceinte.

Ton haut palais est d'eaux tout lambrissé,
Pour toi la nue est un char exhaussé ;
Les vents ailés, lorsque tu te promènes,
Pour te porter redoublent leurs haleines,
De ces esprits aussi prompts que légers
Quand il te plaît tu fais tes messagers;
Et, si tu veux exercer ta justice,

Les feux brûlans sont prêts à ton service.

Tu fis la terre et l'assis fermement.
Son propre poids lui sert de fondement;
Rien ne l'ébranle, et l'on la voit paraître
Telle aujourd'hui qu'au jour qui la vit naître.
Auparavant d'un grand abîme d'eau

Tu la convrais comme d'un noir manteau.
Les eaux flottoient encor sur les montagnes
Comme elles font dans les basses campagnes.

Mais d'un seul mot, qu'il te plut proférer,
Toutes soudain tu les fis retirer;

Ta forte voix, qui forme le tonnerre,
Avec frayeur leur fit quitter la terre ;

Alors on vit mille monts se hausser,

Mille vallons à leurs pieds s'abaisser,

Tous se hâtant pour occuper la place

Qu'il t'avait plu leur marquer par ta grace.

La mer alors sous tes yeux se forma,
Et dans ses bords toute se renferma,
N'osant franchir les bornes éternelles
Qui de ses flots sont les gardes fidèles.
Entre les monts tu fis sourdre les eaux,
Tu fis partout couler mille ruisseaux,
Qui, descendant des plus hautes collines,
Vont réjouir les campagnes voisines.

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