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graphes nés depuis cent ans, et plus que toute la nouvelle génération néologiste, qui, au rebours de Béranger, a voulu rompre et a rompu en effet avec la langue du dix-septième siècle.

Dans l'époque moderne, il faut placer après Béranger P.-L. Courier, comme réformateur et rénovateur de la langue, et de Surville, malgré son imitation outrée du vieux langage. Ces deux auteurs, prenant la phrase pour ainsi dire par tous les bouts, ont surtout cherché à lui rendre de la souplesse et de la variété, et aux mots de la naïveté et de la force; ou, pour m'exprimer autrement, ils ont cherché à rajeunir la langue, en lui ôtant de sa platitude et de sa roideur.

Courier avait surtout placé ses espérances dans sa traduction d'Hérodote, dont il n'a donné que des fragments; la mort l'a interrompu dans son œuvre. Je crois que si cette traduction eût été finie, elle serait demeurée pour la France le modèle des traductions poétiques; car Hérodote, dans sa simplicité de style, est presque un poëte. Elle a la perfection du genre qui consiste à prendre le ton et le mouvement de l'auteur, et en même tems un milieu clair et net entre les allures et les locutions de l'original et celles de la langue du traducteur. Les traductions faites de cette manière sont un des plus puissants moyens d'enrichissement d'une langue; mais si ces traductions dominaient dans une littérature, elles écraseraient enfin la langue, en étouffant son originalité. Nos traducteurs, qui perdent leur tems à traduire Homère et tous les anciens en style de Fléchier, ne feraient-ils pas mieux, en les calquant avec justesse et délicatesse, d'enrichir notre langue de tours et d'expressions poétiques et utiles aux orateurs ? Des traductions ainsi faites, à la façon d'Amyot, de Courier et de Chateaubriant, faites surtout sur les classiques grecs et latins, contribueraient de la manière la plus efficace à réparer notre langue littéraire, si sèche, si tordue et si usée. Elles donneraient à la langue, et au public blasé, de nouvelles métaphores, de nouveaux mouvements de style, et rendraient de l'avenir à la littérature, comme à la langue; du reste, il faut de la mesure en tout. Mais

nos traductions, loin d'avoir assoupli la langue, semblent avoir contribué à lui donner de la roideur, tant elles sont peignées et oratoires.

Il faut se remettre à l'étude, je dirais volontiers à l'imitation des historiens et des orateurs de la Grèce et de Rome; ils nous seraient plus profitables qu'aux écrivains des deux derniers siècles, puisqu'aujourd'hui nous avons, comme les Grecs et les Romains, la vie publique, inconnue à nos pères.

Ce que j'ai dit de l'effet des traductions peut s'étendre à toutes les parties de la littérature. Une philosophie judicieuse donne à la langue la précision; les grammairiens, la sévérité et la régularité; les orateurs, la facilité et la noblesse; les poëtes, la richesse, la beauté et la variété. La poésie, par son inspiration et son rithme, a surtout de l'efficacité, quand la langue s'use, pour la renouveler et en rouvrir la source; c'est à elle de recréer le mouvement et les détails du style; ainsi, au crépuscule comme à l'aurore d'une littérature, la poésie est l'école des prosateurs. Aussitôt qu'une locution du style simple vieillit, elle tombe dans le domaine de la poésie ; le poëte est ainsi non-seulement créateur, mais conservateur, et la plus grande faute qu'il puisse faire, c'est de chercher à interrompre les usages de la langue. Et de plus, comme la langue est l'instrument de la pensée, on peut dire qu'un poëte élégant, quelque frivole qu'il soit, est un homme utile pour l'intelligence, par cela seul qu'il entretient la langue dans un état sain. Il n'y a donc pas seulement des moyens grammaticaux pour conserver la langue; une langue est généralement saine dans une partie de la littérature, lorsque le genre fleurit; l'inspiration est toujours le meilleur guide dans le style.

La poésie légère est presque nulle aujourd'hui, parce qu'il n'y en a plus dans les esprits, parce que la vraie poésie vient de la vie, et que notre vie est fort prosaïque, quoique très-agitée. Il n'y a plus de poésie légère et épique que dans les rangs inférieurs du peuple, qui lit les vieux romans chevaleresques, et chante ses amours et Napoléon.

Aussi, dans la belle littérature, le style est faussé, malade, perdu, et la prose y est peut-être encore plus gâtée que la poésie ; on manque de naturel, parce qu'on a de faux principes, de mauvaises habitudes, des exemples dangereux, et parce qu'on vise aux effets extraordinaires. Mais heureusement on s'est lassé des hommes qui ont tant fait pour nous blaser et pour corrompre le goût; on commence à ne plus suivre des parleurs qui n'ont pas même foi en leur honnêteté. Quand une littérature en est là, le seul bon parti pour tout le monde, c'est de faire ce que font les jeunes gens sensés d'aujourd'hui, de revenir au simple et au naturel. Les journaux, les écrits périodiques ont beaucoup rendu notre littérature flasque par la prolixité; on devrait oublier qu'on écrit à tant la colonne. Nous aurions besoin d'aliments sains et d'un régime fortifiant. Il n'y a point de salut dans les matières de goût sans la justesse, le naturel et la simplicité. Que l'on me permette, à cette occasion, de rapporter sur le naturel une page d'Andrieux; elle est elle-même un modèle de netteté, d'aisance et de simplicité.

« Le naturel doit se trouver dans tous les genres: c'est la vérité des expressions, des images, des sentiments, mais une vérité parfaite, et qui paraît n'avoir coûté à l'écrivain aucune peine, aucun effort. La moindre affectation détruit ce naturel si précieux; dès qu'une expression recherchée, une image forcée, un sentiment exagéré se présentent, le charme est détruit.

» Le défaut le plus ennemi du naturel, et celui dans lequel nous autres Français nous tombons le plus aisément, c'est de vouloir montrer de l'esprit mal à-propos. Nous cherchons des traits brillants où il ne faudrait que de la justesse.

>> Les anciens ont eu plus de naturel que les modernes ; c'est un naturel admirable et enchanteur, qui donne un si grand prix aux chefs-d'œuvre d'Homère, de Théocrite, de Sophocle; il semblerait que, dans ces temps reculés, les hommes fussent plus près de la nature, et qu'ils la sentissent mieux; ils n'avaient pas besoin de pensées si fines, ni d'expressions si recherchées; ils ne vou

laient que des sentiments vrais, des images fidèles ; leurs langues se prêtaient aux plus simples détails, et admettaient des expressions communes dans le style le plus relevé; leur extrême simplicité nous paraîtrait peut-être trop nue; il nous faut plus de recherche, plus d'ornements: notre langue est dédaigneuse, et ne se plie qu'avec peine, dans le genre noble, à l'expression naïve des choses ordinaires; elle rejette même de ce genre beaucoup de termes comme trop bas, en sorte qu'il faut user de périphrases : Voltaire disait assez plaisamment que notre langue est une gueuse fière, à qui il faut faire l'aumône malgré elle.

>> On peut dire que le naturel est, dans les ouvrages de littérature des anciens, et surtout des Grecs, ce qu'il est dans leurs belles statues, une imitation fidèle de la nature, sans recherches, sans efforts; la pose de la plupart des figures antiques est simple, vraie; leur expression souvent tout unie; rien d'affecté, rien d'extraordinaire; les artistes, comme les poëtes, comme les orateurs, ne voulaient pas alors faire des tours de force, et courir mal à propos après de grands effets. » (ANDRIEUX, Journal de l'École Polytechnique, t. IV, pag. 115 et 116 (1810).

Pour bannir de notre littérature les pensées fauses et le faux goût, le ton apprêté, les tirades indigestes et incohérentes, pour y ramener la vie et le naturel, il faut une renaissance intellectuelle et une réforme morale chez les littérateurs : les auteurs et leurs œuvres périront bientôt, si la probité et l'instruction leur manquent. Il y a aujourd'hui, au lieu de ces qualités, la vanité, la morgue et la cupidité. Mais on devrait sans cesse se répéter ά cette vérité: Bien vivre apprend à bien penser, bien penser bien parler; et réciproquement: Bien parler apprend à bien penser, et même, à la longue, penser avec justesse conduit à des principes honnêtes. On a besoin d'une langue pour penser; et plus l'instrument est en bon état, mieux on travaille.

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Lorsqu'un peuple, pur de tout contact avec des nations corrompues, est dans sa première jeunesse, n'ayant à combattre que sa grossièreté et son ignorance, chacun, rempli pour ainsi dire de la sève nationale, suit la pente de son caractère et de son génie, et contribue, sans s'en rendre compte, à la force de la vie commune. Une nation semblable, dans les mœurs, la politique et la littérature, a un long et bel avenir. Mais quand un peuple a vieilli parmi les courtisanes et sous le joug des despotes; quand il n'est arrivé à la liberté que peu à peu et par des crises violentes, la foi est usée, le scepticisme règne, et la nation est énervée. Cependant, chez ce peuple vieilli se trouve un certain nombre d'hommes énergiques, purs, qui, frappés du tableau que leur présente la société, s'écartent du torrent, cherchent dans le passé de saints exemples, et placent dans l'avenir de dignes espérances; d'autres, enchaînés par la volupté, attestant le plaisir et la faiblesse de l'homme, se plongent dans la vieille corruption et dans une ignoble mollesse. Ainsi, dans cette société, l'on voit d'un côté d'infâmes hontes, et de l'autre des vertus héroïques. Telle était Rome sous ses empereurs; telle a toujours été la France mais les voix de Pascal, de Fénelon et de La Bruyère, de Massillon, de Voltaire et de Rousseau, les cris des amis de l'humanité ont été entendus; mais nous avons encore l'Évangile et la presse libre. Aujourd'hui, de toutes parts, les hommes qui ne sont point avilis ou sans foi convient les cœurs nobles et les mains pures à l'œuvre commune, à la régénération nationale. Là est l'avenir de notre littérature; c'est là une œuvre digne des intelligences supérieures, l'emploi des conducteurs de l'humanité. Que le cri de réforme se fasse entendre de toutes parts! Expliquant aux Français et à tous les hommes les droits du citoyen, montrons que leur exercice est un devoir, leur négligence une

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