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on est frappé de la divinité des écritures; on admire l'accomplissement des prophéties; on voit naître et s'élever sur des fondements inébranlables la religion chrétienne, qui est la fin et le complé ment de celle que Dieu avoit donnée aux Juifs pour un temps limité dans ses décrets.

Pascal ne regardoit pas seulement la religion chrétienne comme vraie, il la croyoit nécessaire aux hommes pour fixer leur incertitude, pour adoucir les maux de la vie, et surtout pour nous consoler dans ces derniers moments où l'âme, dénuée de tout appui, est prête à tomber dans les abimes de l'éternité. Aussi a-t-il établi sur la connoissance du cœur humain plusieurs arguments en faveur de la religion, Il pensoit même que, pour le commun des hommes, il vaut mieux s'attacher à la faire aimer et désirer que de chercher à la prouver par des raisonnements dont tous les esprits ne peuvent pas sentir la force et les conséquences'.

Les premiers éditeurs de ce recueil en avoient rejeté plusieurs pensées très intéressantes, et même des dissertations assez étendues et complètes dans leur genre: tels sont un écrit sur l'autorité en matière de philosophie, des réflexions sur la géométrie en général, un petit traité de l'art de persua der, plusieurs pensées morales détachées, etc.

1 Nous supprimons ici plusieurs passages cités des Pensées, pour éviter de répéter de longs morceaux qui se trouvent dans le cours de l'ouvrage.

Tous ces morceaux sont infiniment précieux par la justesse, la saine raison et les vues nouvelles qui y régnent. J'ai réparé le tort qu'on avoit eu de les supprimer. Les manuscrits de l'auteur nous ayant été conservés par M. l'abbé Périer, son neveu, je m'en suis procuré une copie exacte; et c'est d'après cette copie qu'on a inséré dans la collection complète des OEuvres de Pascal, imprimée en 1779, un très grand nombre de choses qui ne sont point dans l'édition de Port-Royal, ni même dans le supplément publié par le P. Desmolets.

Tout ce qui reste de notre auteur montre en général la préférence qu'il donnoit à la méthode des géomètres sur les autres moyens de chercher la vérité. L'avantage de cette méthode consiste en ce qu'elle définit clairement toutes les choses obscures ou inconnues; qu'elle n'emploie jamais dans ses définitions que des termes justes et bornés à la seule acception qu'on leur attribue; qu'elle évite soigneusement la redondance des mots et des idées, ayant soin de faire connoître chaque objet par une seule propriété. Si on appliquoit ces règles à plusieurs questions de métaphysique ou de théologie, on couperoit la racine à bien des disputes : mais alors de quoi s'occuperoit-on dans un grand nombre d'écoles?

L'ouvrage que Pascal destinoit à la défense du christianisme étoit l'expression d'une foi active et constante qui lui faisoit pratiquer toutes les austérités de la morale évangélique. Nous avons pour témoin madame Périer, sa sœur nous la

ici

prendrons pour guide dans cette partie de son histoire. On a déjà fait remarquer, et ce récit montrera encore mieux l'injustice de ceux qui accusent la géométrie de nous porter à l'incrédulité et au déréglement. Pourquoi, en effet, imputer à cette science même l'erreur coupable de certains géomètres qui, ne distinguant pas assez les différentes sortes de preuves dont chaque sujet est susceptible, méprisent ou affectent de mépriser celles de la religion? N'y a-t-il pas dans tous les genres des hommes qui abusent de leurs lumières ? Les poëtes, les orateurs, les peintres, etc., sont-ils, en général, plus croyants, plus dévots que les savants proprement dits? Ne seroit-il pas raisonnable de penser que l'étude des sciences exactes, peu destinée à exciter les applaudissements de la multitude, nous prépare aux vertus chrétiennes, en inspirant le goût de la réflexion, l'amour du travail, le mépris des honneurs et de la fortune, en humiliant même l'orgueil humain par les difficultés insurmontables que l'esprit trouve à chaque pas dans ses recherches, et qui lui font sentir combien il est borné?

Pascal remplissoit tous les devoirs du Chrétien comme le plus simple et le plus humble des Fidèles. Il ne manquoit jamais d'assister aux offices divins de sa paroisse, à moins que ses infirmités ne l'en empêchassent absolument. Dans la vie privée, il étoit sans cesse occupé à mortifier ses sens, et à élever son âme à Dieu. Il avoit pour maxime de renoncer à tout plaisir, à toute superfluité. Il

retranchoit avec tant de soin ce qui lui paroissoit inutile, dit madame Périer, qu'il finit par faire ôter de sa chambre toutes les tapisseries, comme des meubles de luxe, uniquement destinés à réjouir la vue. Quand on l'obligeoit de faire pour sa santé quelque chose qui pouvoit flatter ses sens, il avoit soin d'en distraire son esprit, et d'en écarter toute idée de plaisir. Il ne pouvoit souffrir qu'on louât en sa présence la bonne chère : il vouloit qu'on mangeât uniquement pour satisfaire l'appétit, et non pour contenter le goût. Dès le commencement de sa retraite, il avoit examiné la quantité d'aliments nécessaire pour son estomac; il ne la passoit jamais, et quelque dégoût qu'il y trouvât, il la mangeoit toujours: méthode respectable par son principe, mais souvent bien contraire à l'état physique et variable du corps

humain.

Sa charité étoit extrême : il regardoit les pauvres comme ses véritables frères : l'affection qu'il leur portoit alloit si loin, qu'il ne pouvoit jamais leur refuser l'aumône, quoiqu'il la fît souvent sur son nécessaire : car il avoit peu de bien, et ses infirmités l'obligeoient à des dépenses qui surpassoient son revenu. Lorsqu'on lui faisoit des représentations sur ses excès en ce genre, il répondoit: J'ai remarqué que, quelque pauvre qu'on soit, on laisse toujours quelque chose en mourant.

Il n'approuvoit point ces projets de règlements que certains particuliers proposent quelquefois pour prévenir tous les besoins des malheureux :

il disoit que ces projets généraux regardent l'administration, et que l'homme privé doit chercher à servir les pauvres pauvrement, c'est-à-dire, selon son pouvoir actuel, sans se livrer à des idées spéculatives et infructueuses, dont la recherche n'est pour l'ordinaire que l'aliment de l'oisiveté ou de l'avarice.

Quelque temps avant sa mort, il logeoit dans sa maison un pauvre homme et son fils, uniquement par commisération chrétienne; car il n'en retiroit aucune espèce de service. L'enfant fut attaqué de la petite vérolé, et on ne pouvoit guère le transporter ailleurs sans danger. Pascal étoit déjà lui-même très malade : il avoit un besoin continuel des secours de madame Périer, que des affaires de famille, et surtout le désir de voir son frère, avoient amenée à Paris depuis un certain temps. Et comme elle habitoit une maison particulière, avec ses enfants, qui n'avoient pas eu la petite vérole, Pascal ne voulut pas qu'elle s'exposât au danger de la leur apporter. Il prononça contre lui-même en faveur du pauvre : il quitta sa maison pour ne plus y rentrer, et vint occuper, chez madame Périer, un petit appartement, peu commode pour son état.

Nous citerons un autre trait non moins remarquable de sa charité. Un matin, en revenant de Saint-Sulpice, où il avoit entendu la messe, il rencontra une jeune fille de la campagne, très belle, qui lui demanda l'aumône. Frappé du danger auquel elle étoit exposée, et ayant appris que

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