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tres fautes où il est tombé. Le respect seul pour la vérité m'arrache cette réflexion; car je rends d'ailleurs hommage, comme je le dois, au génie éminent de Descartes, et je conviens qu'il a possédé à un très haut degré le don de l'invention. Si l'une de ses lettres, qui porte la date de l'année 1631, a été en effet écrite dans ce temps-là, on voit qu'il avoit alors, relativement à la pesanteur de l'air, à peu près les mêmes idées que Torricelli mit dans la suite au jour. Mais par malheur pour le philosophe françois, la plupart de ses idées en physique n'étoient que des systèmes hasardés sans preuves, et souvent contredits par la nature. Aussi la postérité ne s'est-elle guère informée des conjectures heureuses ou malheureuses qu'il peut avoir proposées touchant la cause qui élève la colonne de mercure ou d'eau dans le vuide; et les expériences que Torricelli a faites le premier sur ce sujet lui ont acquis une gloire solide, qu'on ne lui enlèvera jamais. La vérité n'appartient pas à celui qui ne fait que la toucher en tâtonnant, mais à celui qui la saisit et la montre. Quant au point particulier qui concerne l'expérience du Puy-deDôme, pour peu que l'on connoisse la marche de l'esprit humain, on n'hésitera pas un moment à regarder Pascal comme le véritable inventeur. En effet, ses premières expériences lui avoient démontré la fausseté de la maxime ordinaire, que la na

1 Lettres de Descartes (même édition), tome VI, page 439.

ture ne peut souffrir le vuide; il avoit reconnu, de plus, que la nature souffre avec la même facilité un grand vuide qu'un petit. Ces observations le disposoient à regarder comme également chimériques, et l'horreur de la nature pour le vuide, et la vertu qu'on prétendoit y attacher. Il trouvoit, au contraire, que le système de la pesanteur de l'air expliquoit sans aucune difficulté la suspension de l'eau ou du mercure. Une nouvelle expérience qu'il fit avant celle du Puy-de-Dôme le confirma dans ce sentiment. Ayant assemblé par les deux bouts opposés deux tubes de Torricelli, qui communiquoient ensemble au moyen d'une branche recourbée remplie de mercure, il trouva que, l'air venant à entrer dans la branche recourbée, le mercure, suspendu d'abord dans le tube inférieur, tombe dans la cuvette, et le mercure contenu dans la branche de jonction, s'élève dans le tube supérieur qui n'a point de communication avec l'air du dehors. Ces effets étoient presque une démonstration à ses yeux, que ce n'est pas l'horreur du vuide, mais la pesanteur de l'air qui soutient la colonne de mercure dans le tube de Torricelli; d'un autre côté, il savoit que, la surface supérieure d'un fluide étant toujours de niveau, l'atmosphère doit former autour de la terre une couche sphérique plus ou moins épaisse, à raison des inégalités plus ou moins grandes qui se trouvent à la surface du globe terrestre; enfin, d'a près le principe découvert par Galilée, que les poids sont proportionnels aux masses, il voyoit

que la pression d'une colonne d'air doit être plus ou moins grande, selon que, cette colonne, à base égale, est plus ou moins haute. Toutes ces notions, rapprochées les unes des autres, ne lui indiquoient-elles pas que le mercure, dans le tube, se tiendroit plus élevé au pied d'une haute montagne qu'au sommet? Ne suffisoient-elles pas du moins pour exciter dans son esprit la pensée de faire cette expérience? Descartes se présente avec bien moins d'avantage. Malgré ce qu'il en dit à M. de Carcavi, l'explication des expériences de Torricelli, par la pesanteur de l'air, n'est point une suite de ses principes; elle l'est si peu, que le père Noël expliquoit les mêmes expériences par la combinaison de l'horreur du vuide avec l'action d'une matière subtile semblable à celle de Descartes, laquelle pénétroit les pores du verre, tablissoit le plein dans la partie supérieure du tube. Il est donc très vraisemblable que Descartes n'a donné, ou même n'a pu donner à Pascal aucune vue nouvelle sur cette matière.

et ré

Qu'on me permette encore ici une réflexion. S'il s'agissoit de peser, entre deux hommes très inégaux, les prétentions réciproques à une même découverte importante, la probabilité, dans le silence des preuves rigoureuses, feroit pencher la balance pour le plus habile d'ailleurs. Mais contre un homme tel que Pascal, qui a réellement fait exécuter l'expérience du Puy-de-Dôme, Descartes ne doit pas se contenter de dire froidement, un an après : J'en ai donné l'idée; il doit le prouver,

et le simple témoignage qu'il rend lui-même dans sa propre cause ne peut être d'aucun poids.

La manière dont Pascal traita la question de la pesanteur de l'air mérite l'attention des philosophes. On voit qu'il marche à pas mesurés, s'appuyant toujours sur l'expérience, et n'abandonnant jamais les opinions des anciens que lorsqu'il y est forcé par l'évidence même, et qu'il est sûr de pouvoir mettre à leur place des vérités incontestables. Je n'estime pas, dit-il, qu'il nous soit permis de nous départir légèrement des maximes que nous tenons de l'antiquité, si nous n'y sommes obligés par des preuves indubitables et invincibles; mais en ce cas je tiens que ce seroit une extréme foiblesse d'eu faire le moindre scrupule. On a osé l'accuser de trop de timidité et de lenteur: on voudroit que du premier pas il eût proscrit le système de l'horreur du vuide. Mais écartons pour un moment le ridicule qu'on a jeté sur l'expression: pesons la chose en elle-même. Où est donc l'absurdité palpable de supposer que, lorsqu'un corps vient à étre déplacé, il existe dans la nature une puissance, une vertu active qui tend à rétablir le plein? Les phénomènes ne nous forcent-ils pas d'admettre aujourd'hui, entre tous les corps qui composent l'univers, une attraction réciproque non moins incompréhensible? Qui peut affirmer cependant que la cause de cette attraction demeurera toujours cachée, et qu'un jour on ne la rapportera pas à quelque mécanisme jusqu'ici absolument inconnu? Or si, par similitude d'hypothèse, on admet dans la nature

une tendance active au plein, pourquoi refuseroit-on d'attribuer à cette tendance l'élévation de l'eau dans les pompes, ou celle du mercure dans le tube de Torricelli, lorsque la partie supérieure du tuyau est vuide d'air grossier? La réserve de Pascal est donc celle d'un homme sage qui ne veut ni se tromper, ni s'exposer à tromper les autres. Il fait voir, par ses premières expériences, que la nature n'a pas d'horreur pour le vuide; mais, d'après l'expérience du Puy-de-Dôme, il prononce affirmativement que la suspension de l'eau dans les pompes, ou celle du mercure dans le tube de Torricelli, est produite par le poids de l'air. Rien n'est plus lié ni plus conséquent. Telle a été, quarante ans après, la méthode de Newton c'est ainsi que le philosophe anglois a enrichi de nombreuses découvertes toutes les parties de la physique. Descartes a suivi une route très différente. Nous avons déjà remarqué sa passion pour les systèmes. Infidèle lui-même aux excellents préceptes qu'il a donnés, dans sa Méthode, pour chercher la vérité, il songeoit moins à interroger qu'à deviner la nature. Son ambition étoit de fonder une secte; et pour y parvenir promptement, il détruisoit les opinions reçues, et proposoit les siennes sans examiner, avec trop de scrupule, si elles étoient conformes ou non aux phénomènes. Les erreurs où il est tombé ont égaré plusieurs savants; mais en le condamnant à cet égard, on est forcé d'avouer que son audace a été très utile au progrès de la philosophie : car, lorsqu'il parut,

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