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nombres depuis zéro jusqu'à neuf, lesquelles vont en sens contraires, de sorte que la somme de deux chiffres correspondans forme toujours neuf; ensuite on fait tourner, par un même mouvement, tous ces barillets de gauche à droite, et les chiffres dont on a besoin pour les différentes opérations de l'arithmétique paroissent à travers de petites fenêtres percées dans la face supérieure. La machine est composée d'ailleurs de roues et de pignons qui s'engrènent ensemble, et qui font leurs révolutions par un mécanisme à peu près semblable à celui d'une montre ou d'une pendule. Il n'est pas possible d'en donner ici une explication plus détaillée. L'idée de cette machine a paru si belle et si utile, qu'on a cherché plusieurs fois à la perfectionner et à la rendre plus commode dans la pratique. Leibnitz s'est occupé long-temps de ce problème; et il a trouvé effectivement une machine plus simple que celle de Pascal. Malheureusement toutes ces machines sont coûteuses, un peu embarrassantes par le volume, et sujettes à se déranger. Ces inconvéniens font plus que compenser leurs avantages. Aussi les mathématiciens préfèrent-ils généralement les tables des logarithmes, qui changent les opérations les plus compliquées de l'arithmétique en de simples additions ou soustractions, aux

1 Voyez-en la description par M. Diderot, dans l'Encyclopédie, ou dans le tome IV du recueil des OEuvres de Pascal.

quelles il suffit d'apporter une légère attention pour éviter les erreurs de calcul. Mais la découverte de Pascal n'en est pas moins ingénieuse en elle-même. Elle lui coûta de grands efforts de tête, tant pour l'invention que pour faire concevoir la combinaison des rouages aux ouvriers chargés de les exécuter. Ce travail opiniâtre et forcé affecta sa constitution physique, déjà foible et chancelante; et dès ce moment sa santé alla toujours en dépérissant.

La physique offrit bientôt après à sa curiosité active et inquiète l'un des plus grands phénomènes qui existent dans la nature: phénomène dont l'explication est principalement due à ses expériences et à ses réflexions. Les fontainiers de Côme de Médicis, grand-duc de Florence, ayant remarqué que, dans une pompe aspirante, où le piston jouoit à plus de trente-deux pieds au-dessus du réservoir, l'eau, après être arrivée à cette hauteur de trente-deux pieds dans le tuyau, refusoit opiniâtrément de s'élever davantage, consultèrent Galilée sur la cause de ce refus qui leur paroissoit fort bizarre. L'antiquité avoit dit : l'eau monte dans les pompes et suit le piston parce que la nature abhorre le vuide. Galilée, imbu de cette opinion reçue alors dans toutes les écoles, répondit à la question des fontainiers, que T'eau s'élevoit en effet d'abord parce que la nature ne peut souffrir le vuide, mais que cette horreur avoit une sphère limitée, et qu'au-delà de trente et deux pieds elle cessoit d'agir. On rit aujourd'hui de

cette explication: mais quelle force n'a pas une erreur de vingt siècles, et comment se soustraire tout d'un coup à sa tyrannie? Cependant Galilée sentit quelque scrupule sur la raison qu'il s'étoit; hâté de donner aux fontainiers : car, pour l'hon-. neur de la philosophie, il avoit cru devoir leur faire promptement une réponse bonne ou mauaise. Il étoit alors avancé en âge, et ses longs travaux l'avoient épuisé; il chargea Torricelli, son disciple, d'approfondir la question, et de réparer, s'il en étoit besoin, le scandale qu'il croyoit d'avoir causé aux philosophes, qui, comptant l'autorité pour rien, cherchent à puiser la vérité immédiatement au sein de la nature, comme lui-même l'avoit enseigné, par son exemple, en plusieurs autres occasions.

Torricelli joignoit à de profondes connoissances en géométrie le génie de l'observation dans les matières de physique. Il soupçonna que la pesanteur de l'eau étoit un des éléments d'où dépendoit son élévation dans les pompes, et qu'un fluide plus pesant s'y tiendroit plus bas. Cette idée, qui nous paroit aujourd'hui si simple, et qui fut alors la véritable clef du problème, ne s'étoit encore présentée à personne : et pourquoi, en effet, ceux qui admettoient l'horreur de la nature pour le vuide auroient-ils pensé que le poids du fluide pût la borner ou détruire son action? Il ne s'agissoit plus que d'interroger l'expérience. Torricelli remplit de mercure un tuyau de verre de trois pieds de longueur, fermé exactement en bas,

et ouvert en haut; il appliqua le doigt sur le bout supérieur, et, renversant le tube, il plongea ce bout dans une cuvette pleine de mercure; alors il retira le doigt, et après quelques oscillations, le mercure demeura suspendu dans le tube à la hauteur d'environ vingt et huit pouces au-dessus de la cuvette. Cette expérience est, comme on voit, celle que nous offre continuellement le baromètre. Torricelli la varia de plusieurs manières; et dans tous les cas le mercure se soutint à une hauteur qui étoit environ la quatorzième partie de celle de l'eau dans les pompes. Or, sous le même volume, le mercure pèse à peu près quatorze fois plus que l'eau ; d'où Torricelli inféra que l'eau dans les pompes, et le mercure dans le tube, devoient exercer des pressions égales sur une même base; pressions qui devoient être uécessairement contre-balancées par une même force fixe et déterminée. Mais quelle est enfin cette force? Torricelli, instruit par Galilée que l'air est un fluide pesant, crut et publia, en 1645, que la suspension de l'eau ou du mer ́cure, quand rien ne pèse sur sa surface intérieure, est produite par la pression que la pesanteur de l'air exerce sur la surface du réservoir ou de la cuvette. Il mourut peu de temps après, sans emporter, ou du moins sans laisser la certitude absolue que son opinion étoit réellement le secret de la

nature.

Aussi cette explication n'eut-elle d'abord qu'un succes médiocre parmi les savants. Le système de l'horreur du vuide étoit trop accrédité pour céder

ainsi sans résistance la place à une vérité qui, après tout, ne se présentoit pas encore avec ce degré d'évidence propre à frapper tous les yeux, et à réunir tous les suffrages. On crut expliquer les expériences des pompes et du tube de Torricelli en supposant qu'il s'évaporoit de la colonne d'eau ou de Mercure, une matière subtile, des esprits aériens, qui rétablissoient le plein dans la partie supérieure, et ne laissoient à l'horreur du vuide que l'activité suffisante pour soutenir la colonne.

Pascal, qui dans ce temps-là étoit à Rouen, ayant appris du père Mersenne le détail des expé riences dont je viens de parler, les répéta, en 1646, avec M. Petit, intendant des fortifications, et trouva de point en point les mêmes résultats qui avoient été mandés d'Italie, sans y remarquer d'ailleurs rien de nouveau. Il ne connoissoit pas encore alors l'explication de Torricelli. En réfléchissant simplement sur les conséquences immédiates des faits, il vit que la maxime admise partout, que la nature ne souffre pas le vuide, n'avoit aucun fon

dement solide. Néanmoins, avant que de la pros

crire entièrement, il crut devoir faire de nouvelles expériences, plus en grand, plus concluantes que celles d'Italie. Il employa des tuyaux de verre qui avoient jusqu'à cinquante pieds de hauteur, afin de présenter à l'eau un long espace à parcourir, de pouvoir incliner les tuyaux, et de faire prendre au fluide plusieurs situations différentes. D'après ses propres observations, il conclut que la partie su

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