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accoutumé de travailler tellement tous ses ouvrages, qu'il ne se contentoit presque jamais de ses premières pensées, quelque bonnes qu'elles parussent aux autres; et qui a refait souvent, jusqu'à huit ou dix fois, des pièces que tout autre que lui trouvoit admirables dès la première.

Après qu'il leur eut fait voir quelles sont les preuves qui font le plus d'impression sur l'esprit des hommes, et qui sont les plus propres à les persuader, il entreprit de montrer que la religion chrétienne avoit autant de marques de certitude et d'évidence que les choses qui sont reçues dans le monde pour les plus indubitables.

Il commença d'abord par une peinture de l'homme, où il n'oublia rien de tout ce qui le pouvoit faire connoître et au-dedans et au-dehors de lui-même, et jusqu'aux plus secrets mouvements de son cœur. Il supposa ensuite un homme qui, ayant toujours vécu dans une ignorance générale, et dans l'indifférence à l'égard de toutes choses, et surtout à l'égard de soi-même, vient enfin à se considérer dans ce tableau, et à examiner ce qu'il est. Il est surpris d'y découvrir une infinité de choses auxquelles il n'a jamais pensé; et il ne sauroit remarquer, sans étonnement et sans admiration, tout ce que Pascal lui fait sentir de sa grandeur et de sa bassesse, de ses avantages et de ses foiblesses, du peu de lumières qui lui reste, et des ténèbres qui l'environnent presque de toutes parts, et enfin de toutes les contrariétés étonnantes qui se trouvent dans

sa nature. Il ne peut plus après cela demeurer dans l'indifférence, s'il a tant soit peu de raison; et quelque insensible qu'il ait été jusqu'alors, il doit souhaiter, après avoir ainsi connu ce qu'il est, de connoître aussi d'où il vient et ce qu'il doit devenir.

Pascal, l'ayant mis dans cette disposition de chercher à s'instruire sur un doute si important, l'adresse premièrement aux philosophes, et c'est là qu'après lui avoir développé tout ce que les plus grands philosophes de toutes les sectes ont dit sur le sujet de l'homme, il lui fait observer tant de défauts, tant de foiblesses, tant de contradictions, et tant de faussetés dans tout ce qu'ils en ont avancé, qu'il n'est pas difficile à cet homme de juger que ce n'est pas là où il doit s'en tenir.

Il lui fait ensuite parcourir tout l'univers et tous les âges, pour lui faire remarquer une infinité de religions qui s'y rencontrent; mais il lui fait voir en même temps,par des raisons si fortes et si convaincantes, que toutes ces religions ne sont remplies que de vanité, de folies, d'erreurs, d'égarements et d'extravagances, qu'il n'y trouve rien encore qui le puisse satisfaire.

Enfin il lui fait jeter les yeux sur le peuple juif; et il lui en fait observer des circonstances si extraordinaires, qu'il attire facilement son attention. Après lui avoir représenté tout ce que ce peuple a de singulier, il s'arrête particulièrement à lui faire remarquer un livre unique par lequel il se gouverne, et qui comprend tout ensemble

son histoire, sa loi et sa religion. A peine a-t-il ouvert ce livre, qu'il y apprend que le monde est l'ouvrage d'un Dieu, et que c'est ce même Dieu qui à créé l'homme à son image, et qui l'a doué de tous les avantages du corps et de l'esprit qui convenoient à cet état. Quoiqu'il n'ait ́ rien encore qui le convainque de cette vérité, elle ne laisse pas de lui plaire; et la raison seule suffit pour lui faire trouver plus de vraisemblance dans cette supposition, qu'un Dieu est l'auteur 'des hommes et de tout ce qu'il y a dans l'univers, que dans tout ce que ces mêmes hommes se sont imaginé par leurs propres lumières. Ce qui l'arrête en cet endroit, est de voir, par la peinture qu'on lui a faite de l'homme, qu'il est bien éloigné de posséder tous ces avantages qu'il a dû avoir lorsqu'il est sorti des mains de son auteur;` mais il ne demeure pas long-temps dans ce doute; car dès qu'il poursuit la lecture de ce même livre, il y trouve qu'après que l'homme eut été créé de Dieu dans l'état d'innocence, et avec toute sorte de perfections, sa première action fut de se révolter contre son créateur, et d'employer à l'offenser tous les avantages qu'il en avoit reçus.

Pascal lui fait alors comprendre que ce crime ayant été le plus grand de tous les crimes en toutes ces circonstances, il avoit été puni non-seulement dans ce premier homme, qui, étant déchu par-là de son état, tomba tout d'un coup dans la misère dans la foiblesse, dans l'erreur et dans l'aveuglement, mais encore dans tous ses descendants, à

qui ce même homme a communiqué et communiquera encore sa corruption dans toute la suite des temps.

Il lui montre ensuite divers endroits de ce livre où il a découvert cette vérité. Il lui fait prendre garde qu'il n'y est plus parlé de l'homme que par rapport à cet état de foiblesse et de désordre; qu'il y est dit souvent que toute chair est corrompue, que les hommes sont abandonnés à leurs sens, et qu'ils ont une pente au mal dès leur naissance. Il lui fait voir encore que cette première chute est la source, non-seulement de tout ce qu'il y a de plus incompréhensible dans la nature de l'homme, mais aussi d'une infinité d'effets qui sont hors de lui, et dont la cause lui est inconnue. Enfin il lui représente l'homme si bien dépeint dans tout ce livre, qu'il ne lui paroît plus différent de la prenière image qu'il lui en a tracée.

Ce n'est pas assez d'avoir fait connoître à cet homme son état plein de misère; Pascal lui apprend encore qu'il trouvera dans ce même livre de quoi se consoler. Et en effet, il lui fait remarquer qu'il y est dit que le remède est entre les mains de Dieu; que c'est à lui que nous devons recourir pour avoir les forces qui nous manquent; qu'il se laissera fléchir; et qu'il enverra même aux hommes un libérateur, qui satisfera pour eux, et qui suppléera à leur impuissance.

Après qu'il lui a expliqué un grand nombre de remarques très particulières sur le livre de ce peuple, il lui fait encore considérer que c'est le scul

Pensées. I.

ΙΟ

qui ait parlé dignement de l'Être souverain, et qui ait donné l'idée d'une véritable religion. II lui en fait concevoir les marques les plus sensibles qu'il applique à celles que ce livre a enseignées; et il lui fait faire une attention particulière sur ce qu'elle fait consister l'essence de son culte dans l'amour du Dieu qu'elle adore; ce qui est un caractère tout singulier, et qui la distingue visiblement de toutes les autres religions, dont la fausseté paroît par le défaut de cette marque si essentielle.

Quoique Pascal, après avoir conduit si avant cet homme qu'il s'étoit proposé de persuader insensiblement, ne lui ait encore rien dit qui le puisse convaincre des vérités qu'il lui a fait découvrir, il l'a mis néanmoins dans la disposition de les recevoir avec plaisir, pourvu qu'on puisse lui faire voir qu'il doit s'y rendre, et de souhaiter même de tout son cœur qu'elles soient solides et bien fondées, puisqu'il y trouve de si grands avantages pour son repos et pour l'éclaircissement de ses doutes. C'est aussi l'état où devroit être tout homme raisonnable, s'il étoit une fois bien entré dans la suite de toutes les choses que Pascal vient de représenter : il y a sujet de croire qu'après cela il se rendroit facilement à toutes les preuves que l'auteur apportera ensuite pour confirmer la certitude et l'évidence de toutes ces vérités importantes dont il avoit parlé, et qui font le fondement de la religion chrétienne, qu'il avoit dessein de persuader.

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