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commentaire, notre histoire, vu que d'ordinaire il y a en cela plus du bien d'autrui que du leur.

Il étoit en vénération dans sa famille, à qui il avoit inspiré son goût pour les sciences, ses opinions théologiques, et surtout son amour pour la vertu. M. Périer, son beau-frère, mourut en 1672, avec la réputation d'un excellent magistrat et d'un saint les sciences conserveront le souvenir de ce qu'il fit pour elles, en secondant les vues de Pascal sur la pesanteur de l'air. Madame Périer mourut au mois d'avril 1687, à Paris, pendant un voyage qu'elle y fit, ayant rempli tous les devoirs d'une femme forte et d'une mère chrétienne. Jamais l'union de ces deux époux ne fut troublée, parce qu'elle avoit la religion pour base.

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Où l'on fait voir de quelle manière ces Pensées ont été écrites et recueillies; ce qui en a fait retarder l'impression; quel étoit le dessein de l'auteur dans cet ouvrage, et comment il a passé les dernières années de sa vie.

PASCAL, ayant quitté fort jeune l'étude des mathématiques, de la physique, et des autres sciences profanes, dans lesquelles il avoit fait un si grand progrès, commença, vers la trentième année de son âge, à s'appliquer à des choses plus sérieuses et plus relevées, et à s'adonner uniquement, autant que sa santé le put permettre, à l'étude de l'Écriture, des Pères, et de la morale chrétienne.

Mais quoiqu'il n'ait pas moins excellé dans ces sortes de siences, comme il l'a Bien fait paroitre par des ouvrages qui passent pour assez achevés en leur genre, on peut dire néanmoins que, si Dieu eût permis qu'il eût travaillé quelque temps à celui qu'il avoit dessein de faire sur la religion, et auquel il voulait employer tout le reste de sa vie, cet ouvrage eût beaucoup surpassé tous les autres qu'on a vus de lui; parce qu'en effet les vues qu'il avoit sur ce sujet étoient infiniment audessus de celles qu'il avoit sur toutes les autres choses.

Je crois qu'il n'y aura personne qui n'en soit facilement persuadé en voyant seulement le peu

que l'on en donne à présent, quelque imparfait qu'il paroisse; et principalement sachant la manière dont il y a travaillé, et toute l'histoire du recueil qu'on en a fait. Voici comment tout cela s'est passé.

Pascal conçut le dessein de cet ouvrage plusieurs années avant sa mort: mais il ne faut pas néanmoins s'étonner s'il fut si long-temps sans en rien mettre par écrit: car il avoit toujours accoutumé de songer beaucoup aux choses, et de les disposer dans son esprit avant que de les produire au-dehors, pour bien considérer et examiner avec soin celles qu'il falloit mettre les premières ou les dernières, et l'ordre qu'il leur devoit donner à toutes, afin qu'elles pussent faire l'effet qu'il désiroit. Et comme il avoit une mémoire excellente, et qu'on peut dire même prodigieuse, en sorte qu'il a souvent assuré qu'il n'avoit jamais rien oublié de ce qu'il avoit une fois bien imprimé dans son esprit; lorsqu'il s'étoit ainsi quelque temps appliqué à un sujet, il ne craignoit pas que les pensées qui lui étoient venues lui pussent jamais échapper; et c'est pourquoi il différoit assez souvent de les écrire, soit qu'il n'en eût pas le loisir, soit que sa santé, qui a presque toujours été languissante, ne fût lui perpas assez forte mettre de travailler avec application.

pour

C'est ce qui a été cause que l'on a perdu à sa mort la plus grande partie de ce qu'il avoit déjà conçu touchant son dessein; car il n'a presque rien écrit des principales raisons dont il vouloit se ser

vir, des fondements sur lesquels il prétendoit appuyer son ouvrage, et de l'ordre qu'il vouloit y garder; ce qui étoit assurément très considérable. Tout cela étoit parfaitement bien gravé dans son esprit et dans sa mémoire ; mais, ayant négligé de l'écrire lorsqu'il l'auroit peut-être pu faire, il se trouva, lorsqu'il l'auroit bien voulu, hors d'état d'y pouvoir du tout travailler.

Il se rencontra néanmoins une occasion il y a environ dix ou douze ans, en laquelle on l'obligea, non pas d'écrire ce qu'il avoit dans l'esprit sur ce sujet-là, mais d'en dire quelque chose de vive voix. Il le fit donc en présence et à la prière de plusieurs personnes très considérables de ses amis. Il leur développa en peu de mots le plan de tout son ouvrage : il leur représenta ce qui en devoit faire le sujet et la matière : il leur en rapporta en abrégé les raisons et les principes, et il leur expliqua l'ordre et la suite des choses qu'il y vouloit traiter. Et ces personnes, qui sont aussi capables qu'on le puisse être, de juger de ces sortes de choses, avouent qu'elles n'ont jamais rien entendu de plus beau, de plus fort, de plus touchant, ni de plus convaincant; qu'elles en furent charmées; et que ce qu'elles virent de ce projet et de ce dessein dans un discours de deux ou trois heures fait ainsi sur-le-champ, et sans avoir été prémédité ni travaillé, leur fit juger ce que ce pourroit être un jour, s'il étoit jamais exécuté et conduit à sa perfection par une personne dont elles connoissoient la force et la capacité; qui avoit

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