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D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE

N° 6

10 Février

Sommaire 20. PAVET DE COURTEILLE, Dictionnaire turk-oriental.
BERG, Particules latines. 22. WILLEMS, Antiquités romaines.

20.

1872

21. SAVELS23. GRION, La

Chronique de Dino Compagni. 24. STORM, Les peuples romans et leurs langues.

Dictionnaire turk-oriental, par M. PAVET DE COURTEILLE. Paris, Imprimerie impériale, 1870. Gr. in-8°. Prix: 12 fr.

Jusqu'à présent les savants qui se sont livrés en France à l'étude de la langue turke n'ont guère étendu leur horizon au-delà de la littérature et de l'idiome ottomans. Cette préoccupation exclusive se justifie et par le rôle que l'empire ottoman a joué dans l'histoire et par la place qu'il tient encore dans les affaires et surtout dans la politique contemporaines; elle était d'ailleurs en harmonie avec l'état général de la science. Mais aujourd'hui un mouvement d'études fort caractérisé, et coïncidant avec des tendances politiques et commerciales auxquelles il n'est pas subordonné, mais qu'il seconde jusqu'à un certain point, pousse les esprits à approfondir les langues et l'histoire de l'Asie centrale et orientale. Ce mouvement, peu sensible en France où il ne rencontre ni la faveur publique, ni même les encouragements officiels (on peut le dire, sans méconnaitre certains indices favorables, notamment les facilités qui ont été données pour la publication même de l'ouvrage que nous annonçons), est très-accentué à l'étranger, en Russie surtout, où il est soutenu par des intérêts nationaux, en Allemagne, où l'amour et le goût de la science savent se passer d'excitants extérieurs, et particulièrement en Hongrie, où les souvenirs des antiques traditions, et une curiosité innée, quelque chose comme la voix du sang, envoie pour ainsi dire, à chaque génération, quelque hardi voyageur sonder les mystères de l'Asie centrale. Ce sera un titre de gloire pour M. Pavet de Courteille d'avoir le premier, en France, donné aux études turkes l'impulsion qui les met en harmonie avec le courant scientifique actuel, de s'être conformé à une tendance qui n'est pas simplement une mode, un engouement, mais qui indique la voie véritable que ces études doivent suivre.

Le dictionnaire que nous annonçons a un caractère spécial; il se rattache, circonstance très-digne d'intérêt, à l'un des ouvrages les plus importants de la littérature turke, aussi bien qu'à l'un des événements les plus marquants de l'histoire. En effet, il est né de la lecture attentive, de l'étude que M. P. de C. a faite des Mémoires de Båber, l'un des plus illustres représentants de la race turke, le fondateur de cet «< empire mongol » de l'Inde qui a jeté un si grand éclat, qui n'a disparu que devant la puissance anglaise, et dont le souvenir et la trace ne sont pas encore effacés de l'Inde. En lisant cet ouvrage capital, dont il

se propose de publier une traduction française, M. P. de C. composa pour son usage particulier, un vocabulaire adopté à la lecture des Mémoires de Bâber: c'est ce vocabulaire qu'il a eu la pensée d'offrir au public, mais grossi d'emprunts faits à d'autres ouvrages du même genre, tant indigènes qu'européens.

Ainsi il existe un travail lexicographique sur les œuvres de Mir-Ali-Chir-Nevai (2o moitié du xve siècle). Ce dictionnaire, intitulé Senguilâkh, donne la signification des mots turks en persan; il est très-rare; l'auteur n'a pu le consulter; mais il en existe un abrégé, le Koulâceh-i Abbâci, dont M. P. de C. a eu à sa disposition deux manuscrits; ce qui lui a permis de faire passer l'ouvrage tout entier dans son livre. Le Nâciri, autre ouvrage du même genre n'a pu être utilisé qu'en partie, l'auteur n'ayant à sa disposition que les premières feuilles d'une édition lithographiée; mais il a été plus heureux avec l'Abouchka, autre dictionnaire composé pour les œuvres de Nevaï et dont il a recueilli et traduit les nombreux exemples. Enfin M. P. de C. cite un glossaire imprimé à Calcutta, ouvrage de Fazl-Ullah, et dont il a pu tirer parti. - Parmi les ouvrages européens, M. P. de C. a surtout utilisé les travaux de Zenker (Türkisch-ArabischPersisches Handworterbuch), de Guiganoff (Recueil d'expressions tartares), de Veliaminof-Zernof (Dictionnaire Djaghataï turk) et surtout les Cagataische Sprachstudien de Vambery publiées pendant que le Dictionnaire de M. B. C. était sous presse, et que l'auteur a utilisées autant qu'il a pu pendant la correction des épreuves, ne négligeant rien, jusqu'au dernier moment, pour donner à son travail toute la perfection dont il était susceptible.

Le plan sur lequel est fait le Dictionnaire de M. P. de C. est excellent : chaque mot est, autant que possible, accompagné d'un ou de plusieurs exemples, constamment traduits par l'auteur et qui permettent au lecteur de se mieux rendre compte des divers sens attribués aux différents mots. Ce système a en outre l'avantage d'offrir une « véritable Chresromathie turke-orientale, » comme le dit M. P. de C. dans sa préface (page vj), en y insérant le texte et la traduction de celle de l'Abouchka. Ces nombreuses citations, les unes prises dans les dictionnaires indigènes mis à contribution par l'auteur, les autres recueillies dans ses lectures, toutes marquées d'un signe qui permet d'en constater l'origine et de remonter à la source, ont un triple caractère : 1o philologique, car elles renferment une foule d'indications et même de discussions lexicographiques et grammaticales; l'origine, la provenance, la synonymie d'un grand nombre de mots sont expliquées; 2° littéraires; car elles font connaître le style et la manière des écrivains dont les œuvres capitales ont fourni la substance du dictionnaire, 3o enfin historique; car, si l'on ne peut voir dans ce livre un travail historique proprement dit, on y trouve une foule d'allusions à des événements de l'histoire, sans parler de nombreux détails relatifs à l'ethnographie, aux mœurs, usages et coutumes, à l'histoire naturelle, aux sciences et aux arts. L'étude de ce livre est ainsi d'un grand intérêt et d'un grand profit même pour le lecteur qui n'y

1. Depuis que ces lignes ont été écrites (en 1870), et même depuis qu'elles ont été livrées à l'impression, cette traduction a paru. La Revue en rendra compte.

chercherait pas le genre de secours que fournit habituellement un dictionnaire. Le grand mérite de l'ouvrage de M. Pavet de Courteille est, avons-nous dit, dans la direction nouvelle qu'il tend à imprimer à l'étude de la langue turke et dans le secours qu'il prête aux études voisines. Depuis Klaproth et Abel Remusat qui avaient ouvert la voie à de sérieux travaux sur l'Asie centrale, cette branche d'études avait été à peu près délaissée au moins en France. A l'étranger elle a été cultivée avec soin dans ces dernières années; M. P. de C. retrace, dans son introduction, l'histoire de ce qui a été fait pour elle en Allemagne et en Russie. On sait que le turk ottoman ne peut fournir pour ce genre d'études qu'une contribution très-insuffisante, à cause de l'envahissement de la langue littéraire par l'arabe et le persan. Pour retrouver le véritable turk, il faut aller le chercher soit dans la patrie des Turks, dans l'Asie centrale, où il se présente à la vérité sous forme de nombreux dialectes, soit dans les monuments littéraires qui, antérieurs au travail de décomposition opéré sur le dialecte ottoman par l'influence musulmane et l'engouement du persan et de l'arabe, ont le mieux retenu le caractère du turk primitif en même temps qu'ils le représentent sous la forme la plus cultivée et la plus achevée. Néanmoins cette littérature turke du xv siècle ne s'est développée qu'au contact de la civilisation persane. On sait que la création du fameux empire mongol a eu pour conséquence l'introduction du persan, comme langue littéraire et classique, dans l'Hindoustan. On retrouve la trace de cette influence persane dans une bonne partie des citations de M. P. de C. au moins dans celles qui sont en vers, tirées pour la plupart de Nevaï. Quant aux mots mêmes, dont l'ensemble forme le vocabulaire, l'auteur qui n'a pas eu l'intention de faire un dictionnaire complet du turk oriental, encore moins du turk grossi des mots empruntés à des idiomes étrangers, a généralement exclu tous ceux qui ne sont pas d'origine turke ou tartare. On en rencontre cependant qui ne remplissent pas cette condition; ainsi l'expression deh-der-deh (p. 323), « dix sur dix, décagone » est persane, mais on peut la regarder comme technique: cependant on aurait attendu la lettre p, indicative d'une origine persane peut-être est-ce une omission.

Beaucoup de mots sont marqués de la lettre m qui signifie « mongol; » d'autres, sans porter cette marque, sont accompagnés d'un mot mongol que l'auteur en rapproche. La comparaison aurait pu être poussée plus loin : Ainsi bûl-mag « être, devenir » (p. 177), correspond bien au mongol bol-khu; rien n'indique ce rapport. On peut faire la même observation au sujet du mot bîlîk << science, intelligence » (p. 191), lequel est tout à fait mongol. Mais ces oublis ne peuvent être bien nombreux; il est évident que le vocabulaire mongol et le vocabulaire turk diffèrent l'un de l'autre, et le rapport certain qui existe entre les deux langues, repose bien plus sur le génie, la constitution grammaticale, que sur la ressemblance des mots. Le nombre des termes de son dictionnaire dont M. P. de C. a rapproché un terme mongol correspondant, n'est pas même d'une centaine. En y ajoutant les mots qu'il se contente d'accompagner de la lettre m et ceux qu'il peut avoir omis, peut-être arriverait-on tout au plus au chiffre de cent cinquante ou deux cents. Ce fonds commun, qui est très-faible,

est-il le reste d'une identité primitive de langage qui aurait plus tard disparu, ou le résultat d'emprunts? Il est probable que ces deux caractères existent, mais que le second est celui qui s'attache à la plupart ces cas. Ainsi le mot ordu (dont nous avons fait «< horde »), et qui, dans l'Inde, désigne encore aujourd'hui le dialecte mixte, né de la conquête dite mongole, est simplement accompagné dans le dictionnaire de ces mots «< campement royal, camp » (p. 54), sans autre indication. Mais ce mot est aussi mongol. Est-il propre aux deux langues, ou a-t-il passé de l'une dans l'autre, et dans ce dernier cas, quelle est celle qui a fourni le terme à sa voisine? Nous croyons utile de citer quelques autres exemples du même genre. Ainsi le nom du loup en turk ottoman est qûrt. Ce terme se trouve à la page 425 avec la signification «< ver, loup. » A la p. 168 nous trouvons bûrt «loup, espèce de clairon » qui paraît le terme plus spécialement employé par le turk oriental. Enfin, à la page 289 nous lisons tchineh «loup » ou louve; » et l'auteur cite une phrase d'Aboul-Ghazi, nous apprenant que ce mot désigne également bien le mâle et la femelle. Or on ne peut qu'être frappé de l'identité du turk tchineh avec tchinu-e nom du loup en mongol que M. P. de C. n'a pas du reste manqué de citer. Mais le mot est-il commun aux deux langues ou l'une l'a-t-elle emprunté à l'autre? - Le mot qui procède immédiatement tchineh dans le dictionnaire, nous offre un intérêt semblable, accru par celui d'une question historique; c'est Djenkiz, premier élément du nom célèbre de Gengis-Khan. Aboul-Ghazi dit que ce mot signifie « grands » (Olough) et qu'il est au pluriel. Il est difficile de l'admettre comme turk; mais l'indication donnée par Aboul-Ghazi que ce mot est pluriel, s'applique bien à la forme plurielle des noms mongols terminés par des voyelles, cette forme étant s, trèsvoisin de z. Cependant on s'est toujours refusé à voir dans le premier élément du nom du conquérant mongol, un mot de la langue de son peuple, et Schmidt (Geschichte der Ost-Mongolen, p. 379, note 20) combat précisément l'opinion qui fait de Djenkiz (Tchinggis) un pluriel. M. P. de C. en rapproche le mongol tchinegen, mais ce mot étant abstrait ne saurait avoir de pluriel, et s'il en avait un, ce devrait régulièrement tchineged et non tchineges.- Le titre de Khaghan qui entra dans le nouveau nom donné à Temudjin est représenté en turk par le mot bien connu Khaqan accompagné dans le dictionnaire (p. 312) de cette simple indication <«<< roi des rois, titre donné par excellence aux souverains de la Chine. » Ce mot, qui a passé en persan, est évidemment la transcription pure et simple du mongol. Mais, page 389, nous trouvons Qâân roi des rois » avec un vers qui attribue cette qualification au 2 Khaghan mongol, Octaï, tandis que dans le même vers le fondateur de l'empire est appelé Djinkiz-Khan, son vrai nom devant être Djinkiz-Khâqân. Mais laissons de côté le mot Khan commun aux deux langues, et la distinction de Khan et de Khaghan que le mongol seul sait faire: il demeure établi que ce terme mongol Khaghan est représenté par deux formes Khâqân, conforme à l'orthographe, et Qâân, probablement conforme à la prononciation et qui coïncide d'une façon remarquable avec la transcription du même terme par Marco Polo, Khaan. Car, on ne peut guère admettre que ce terme appartienne en propre au turk.

Nous citerons un dernier exemple, le mot « Amink, m, petit esprit » (p, 36), qui nous vaut une note très-intéressante d'Aboul Ghazi. D'après lui, ce mot daterait d'un temps où la langue mongole n'était pas encore oubliée; ce qui prouve que l'usage s'en était introduit parmi les Turks. Après avoir donné les équivalents de Amin << esprit, » en diverses langues, le lexicologue nous apprend que la lettre finale de Amin-k est le signe du diminutif, d'où l'acception de «< petit esprit. » C'est là un renseignement curieux d'autant plus digne d'être noté qu'il ne paraît point se rapporter à un cas ni à une règle existant aujourd'hui en mongol, quoique le mot Amin soit parfaitement mongol et que M. P. de C. le cite avec pleine raison. Le terme suivant Amîdûn « vivant » reproduit si exactement le mongol amidu « être intelligent, animé » qu'on peut le considérer comme ce mot lui-même : aucune indication l'accompagne.

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Nous avons insisté sur certains mots qui sont l'indice des rapports existants. entre le turk et la plus remarquable des langues voisines et congénères, le mongol; la considération de diverses autres langues peut aussi donner lieu à des observations curieuses. Ainsi quand on rencontre le mot bâlâ «petit des ani» maux, enfant » (p. 153), on pense immédiatement au sanskrit bâla: (fém. hâlâ) « enfant » et on se demande si ce mot aurait été adopté dans l'Inde par les conquérants turks; mais le mot bâlâ-lâ-maq « faire des petits, en parlant des >> animaux, » qui vient peu après, détruit cette impression et donne lieu de penser qu'il n'y a là qu'une ressemblance fortuite.

Nous ne pousserons pas plus loin ces remarques de détail peut-être trop longues. Elles auront cependant pu servir à montrer l'intérêt du travail de M. P. de C.: soit qu'on veuille se renfermer dans l'étude du turk et de ses dialectes, soit qu'on veuille étudier les langues de l'Asie centrale, et l'histoire des peuples qui y ont vécu ou qui en sont sortis, il offre un précieux secours par la masse des mots qu'il renferme, par les détails biographiques, historiques, ethnographiques, philologiques, scientifiques que l'auteur a rassemblés sous la plus grande partie des éléments de son vocabulaire.

Léon FEER.

21.

Lateinische Partikeln auf d und m, durch Apokope enstanden. Von D' J. SAVELSBERG. Separatabdrück aus dem Rheinischen Museum für Philologie, N. F. XXVI (1871). Frankfurt am Main, Verlag von Johann David Sauerlænder. 1871. In8°, 67 p. Prix 2 tr.

Voici la thèse de M. S.: 1° prod sed red- antid- postid- sont des apocopes de pro-de se-de re-de anti-de posti-de formés de la prép. de comme in-de, et non des ablat. archaïques comme on l'admet généralement. 2° tum cum ou quom num tam quam dum idem pri-dem qui-dam enim in de-in ex-in ou ex-im quin alioquin confestim, etc., sont des apocopes de to-ni quo-ni ta-ni do-ni de-ni, etc., formés d'une syllabe enclitique ni v dans -vi-xa, et non des accus. comme on l'admet généralement.

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1o M. S. réussit à rendre sa thèse vraisemblable pour les particules en d, toutefois ses explications sur prōd- prō et pro- laissent à désirer il voit dans

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