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de livre en livre; M. de B. s'est bravement et victorieusement acquitté de cette tâche. L'auteur de l'Essai a établi d'une manière décisive que les premières armoiries ne paraissent pas avant le dernier tiers du XIIe siècle et qu'il n'y en eut pas dès le xi ainsi qu'on le dit partout. Il a également établi que les armoiries ne prirent naissance ni en Orient, ni en Allemagne, mais en France, comme tant d'autres inventions plus importantes. Louis VII est le premier de nos rois qui ait adopté des armoiries; Philippe-Auguste en fit le premier graver sur son sceau en l'an 1180. Les armoiries de nos rois furent la fleur de lis, dont le choix fut dicté par un sentiment de dévotion à la Sainte-Vierge, ainsi qu'on le croyait déjà, mais sans que cela ait été démontré aussi clairement que dans l'Essai. Ce ne sont ni les tournois, ni les croisades, ni l'imitation des Orientaux qui donnèrent naissance aux armoiries féodales. M. de B. leur a trouvé une raison de se produire plus simple et plus vraisemblable. Pendant des siècles, dit-il, les actes furent authentiqués par la mention de témoins sans qu'on songeât à les sceller. (M. de B. a sans doute voulu dire les actes privés, car il le sait mieux que nous, les rois chevelus eurent des sceaux.) Vers le x1° siècle, on ajouta à la formalité de l'énumération des témoins, celle de l'apposition d'un sceau sur lequel le possesseur du fief, fut représenté avec son bouclier, à cheval lorsqu'il était chevalier. D'abord, le bouclier ne reçut pas d'ornement que l'on puisse considérer comme appartenant à l'héraldique; on pensait même si peu à chose semblable que très-souvent cette arme défensive était figurée de manière à ce que l'on n'en vit que l'intérieur. Le mutisme du bouclier ne dura pas longtemps; bientôt on reconnut que les sceaux avec leurs figures presque identiques de chevaliers au galop ne se distinguaient les uns des autres que par des légendes inintelligibles, non-seulement pour la multitude alors illettrée, mais, aurait-on pu dire pour la plupart de ceux-là mêmes qui les faisaient graver. En effet, si alors un trèspetit nombre savait lire, un nombre moindre encore comprenait le latin, langue le plus habituellement employée sur les anciens sceaux. Pour remédier à cet inconvénient, on imagina d'ajouter sur les boucliers un signe qui frappât les yeux, et ce signe qui devint le blason fut choisi au gré du hasard et de la fantaisie par chacun de ceux qui adoptèrent le nouvel usage. Cette explication paraîtra fort naturelle, si l'on songe que vers le même temps, mû par des motifs analogues, le clergé, afin de répandre la connaissance des faits et des préceptes de l'Écriture Sainte, appelait à son aide les peintres et les sculpteurs qui, tout en parlant aux yeux et à l'imagination, firent de nos églises de merveilleux livres pour les peuples. Si les armoiries, inconnues au commencement du xre siècle, se répandirent avec une singulière rapidité pendant le xII, non-seulement dans nos provinces, mais aussi hors de nos frontières, c'est que le roi donna l'exemple. Voilà pour les origines du blason des résultats décisifs; voyons maintenant le point de vue tout à fait neuf sous lequel M. de B. en a envisagé le développement et l'usage. Au commencement, dit M. de B., le blason tient au fief et non à la, personne du détenteur. Des faits qui semblent concluants viennent à l'appui de cette proposition, comme les fréquentes mutations d'armoiries dans les vieilles races

féodales, mutations signalées souvent pour la première fois par l'auteur de l'Essai, et qu'il explique par l'entrée en possession de fiefs nouveaux. Il y a une grande part de vérité dans cette théorie qui, au premier abord pourra même paraître incontestable; cependant, peut-être une étude encore plus approfondie de la question modifierait-elle ce qu'elle contient de trop absolu. Ainsi que M. de B. l'a trèsjustement signalé, il arriva souvent à des chevaliers, voire même à des princes, de prendre les armoiries de l'héritière d'un fief en l'épousant. Cela veut-il dire forcément que les armoiries étaient celles du fief? Ne peut-on pas croire qu'en plaçant le blason de sa femme sur son sceau et sur sa cotte d'armes, de même qu'en prenant la qualité de seigneur de son fief, le chevalier ou le prince ne songeaient qu'à se faire confondre avec la famille des anciens possesseurs, en un mot, à se faire adopter par leurs nouveaux sujets. M. de B. fait lui-même observer que lorsque le changement d'armoiries coïncidait avec le changement de nom, <«<il en résultait une sorte d'adoption dont la conséquence était que celui qui >> avait fait cette double mutation, ne comptait plus dans sa véritable famille. >> Ainsi les Dreux, les Courtenay, bien qu'issus directement du sang royal, ne >> comptaient plus dans la maison de France. » Au contraire, ajouterai-je, les descendants du 6o fils de saint Louis, qui en devenant sires de Bourbon, conservèrent prudemment les armoiries de la maison royale, furent toujours tenus pour princes du sang, pour habiles à succéder à la couronne, qu'ils finirent par obtenir en la personne de Henri IV, malgré les siècles écoulés depuis leur séparation de la tige régnante et l'éloignement de leur degré de parenté avec le dernier des Valois. Notons en passant que la théorie de M. de B. explique le traitement en apparence injuste qu'on fit subir aux Courtenay, lesquels malgré Péclat de la couronne impériale portée par trois membres de cette branche de la lignée royale, furent réduits en France au rang de simples gentilshommes, sans cependant qu'on eût jamais songé à leur dénier cette illustre origine. Des écrivains qui ne comprenaient pas l'esprit du moyen-âge ont seuls pu reprocher à nos rois cette conduite étrange pour nos idées modernes, et cependant elle ne fut pas dictée uniquement par la politique. En ne reconnaissant pas certains de leurs agnats comme membres de leur famille, ils obéissaient à la tradition féodale, si vivante encore à la veille de la révolution de 1789, mais dont les érudits ont presque seuls aujourd'hui le sens et l'intelligence.

Pour me résumer, s'il m'était permis de donner mon avis sur la théorie de M. de B., je dirais qu'il faut distinguer diverses phases dans le développement du blason. Au moment où parurent les armoiries, elles durent appartenir à l'individu, passèrent ensuite à sa descendance, puis enfin d'assez bonne heure s'attachèrent au fief, et cela très-souvent, mais non pas nécessairement. Le blason du noble, c'était le symbole de la race, quelque chose comme les images des ancêtres chez les Romains, et c'est ce qui lui donna tant d'importance. M. de B. n'en a pas moins eu grande raison de remarquer que les armoiries s'attachèrent au fief puisqu'il constate plusieurs exemples de cet usage, mais en 'somme, il n'y eut pas de loi sur la matière et aussi longtemps que la féodalité

fut dans sa période d'expansion, aussi longtemps que la réglementation ne vint pas tout uniformiser en diminuant l'individu, chacun dut agir à cet égard selon sa volonté et ses convenances, d'où une grande variété dans les faits, comme le démontrerait, j'en suis assuré, une nouvelle recherche des monuments. M. de B. s'en apercevra peut-être s'il transforme en livre son intéressant Essai. Il y aurait encore beaucoup d'utiles observations à dérober à cet écrit sur lequel j'aimerais à m'arrêter; je me contenterai seulement de poser une question à l'auteur. Comment un paléographe a-t-il pu citer d'après une autorité de seconde main, cette ordonnance de 1179 dont il a tiré d'ailleurs si bon parti? Ne subsisterait-il plus d'autres vestiges de ce document que la mention du Dictionnaire de Trévoux? La chose est rigoureusement possible, mais s'il en était ainsi, il aurait fallu en avertir.

Quoi qu'il en soit de ces réserves, ce que je voudrais avoir fait ressortir, c'est l'importance qu'il convient de reconnaître à l'étude des armoiries féodales, en raison de la place considérable qu'elles eurent dans la vie du moyen-âge. J'attends donc avec impatience le complément que M. de B. promet de donner à son travail. La critique historique ne peut manquer d'y trouver de nouveaux éléments d'instruction surtout pour l'histoire des grands fiefs et par conséquent pour celle de la lente élaboration de l'unité française.

121.

A. CHABOUILLET.

John Milton und der Calvinismus. Eine Studie von D' Alfred STERN. Extrait des Jahrbücher für deutsche Theologie. Gotha, Perthes. 1872. In-8°, 32 p.

L'auteur de cette étude est connu déjà par d'intéressantes recherches sur les << Douze articles, » ce manifeste fameux de l'insurrection des paysans d'Allemagne en 1525'. Il a voulu serrer de plus près dans ce nouvel opuscule les opinions courantes sur les principes religieux et ecclésiastiques de Milton. Si je ne me trompe, nous n'avons ici sous les yeux qu'un fragment d'un ouvrage plus considérable, consacré à l'étude de l'Angleterre du xviie siècle et surtout au grand poète dont les écrits politiques et théologiques furent, chacun le sait, infiniment plus appréciés et discutés de son vivant que l'immortel poème, qui, presque seul, parmi ses nombreux ouvrages, attire encore aujourd'hui notre attention. Protestant ardent et convaincu, Milton a embrassé les doctrines du calvinisme avec une ardeur qui ne reculait pas toujours devant les conséquences dernières de son système. Il est un point cependant où nous le voyons infidèle aux idées politiques et ecclésiastiques en vogue auprès des disciples de Calvin. Ses sentiments d'indépendant lui ont toujours fait repousser cette suprématie, cette immixtion des représentants de l'Église dans les affaires de l'État, que revendiquaient au xvre et au xvire siècle, bien des disciples du réformateur de Genève. Ce même sentiment indépendant fait aussi du poète un champion, non pas de la liberté de conscience, comme nous l'entendons aujourd'hui, mais d'une

1. Voy. sur ce volume, Revue critique, 1869, II, p. 24.

certaine tolérance religieuse; tentative toujours méritoire, quand on songe au milieu de quelles crises religieuses et politiques il plaidait en sa faveur. Ses nombreux écrits sur ces matières (Treatise of civil power in ecclesiastical causes, Of twe religion, heresy, schism, etc.), nous le montrent combattu entre ses tendances généreuses et les préjugés de son époque qui ne l'ont pas entièrement abandonné. M. Stern a principalement examiné les opinions de Milton d'après son traité posthume, Tractatus de doctrina christiana, dont le manuscrit, resté ignoré après la mort du poète, ne fut découvert qu'en 1823 aux archives de Londres. Il a montré par quelques curieux exemples comment l'on peut retrouver la trace de ces principes jusque dans certains passages du Paradis perdu. Nous recommandons la substantielle brochure du jeune savant de Goettingue à tous ceux qu'intéresse le grand poète épique de l'Angleterre, ainsi qu'à ceux qui s'occupent du développement de nos idées modernes dans le domaine religieux et politique.

122.

R.

Irish Folk Lore; Traditions and Superstitions of the country, with humorous Tales, by Lageniensis. » Glasgow, Cameron and Ferguson'. In-12, x-312 p.

Les ouvrages de Croker, von Killinger, Keightley, Kennedy, ont déjà fait connaître soit les superstitions, soit les contes du peuple irlandais. Il ne nous semble pas que le livre que nous annonçons ajoute beaucoup à ce que nous savions déjà. On ne voit pas clairement le but que s'est proposé l'auteur; il s'adresse surtout aux lecteurs irlandais, et annonce dans la préface l'intention << d'éclairer leur esprit, et en même temps d'exciter et de raffiner leur intelli» gence et leurs sentiments. » C'est donc un livre de lecture courante qu'il a voulu donner, et c'est ce qui explique pourquoi il n'indique pas ses sources; mais d'autre part son livre prétend visiblement à une certaine valeur scientifique, que ce procédé lui enlève en grande partie. A cet inconvénient très-grave s'en rattache nécessairement un autre; on ne sait jamais jusqu'à quel point l'auteur copie ses prédécesseurs ou les complète. Plusieurs passages (notamment p. 82, et préf. vij) font espérer, au lecteur qui cherche surtout à connaître la mythologie populaire de l'Irlande, des renseignements nouveaux qui, à tout prendre, se réduisent à peu de chose quand on a fermé le livre. Ce n'est pas qu'il n'y ait çà et là dans le volume de «< Lageniensis » quelques traits que l'on est heureux de noter, mais ils auraient dû être mis plus en relief, et on regrette que l'auteur n'ait pas pris la peine, au moyen de quelques indications comparatives sommaires, de rendre plus faciles l'usage et l'appréciation de son recueil. Les humorous tales, anecdotes sans valeur pour le fond, sont racontés avec la vivacité irlandaise et reproduisent avec une visible fidélité le langage, assez malaisé à comprendre, des narrateurs du pays.

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1. Sans date. Mais la préface est datée d'avril 1870.

parfois

123. Ueber die Bedeutung der aristotelischen Philosophie für die Gegenwart von D' Rudolf EUCKEN, ord. Professor der Philosophie an der Universitæt Basel. Berlin, Weidmann, 1872. In-8°, 35 p.

M. Eucken, dans ce discours par lequel il a inauguré l'enseignement de la philosophie qu'on lui a confié à l'Université de Bâle, développe l'importance de l'étude de la philosophie d'Aristote pour le temps où nous vivons. Il constate la renaissance qui a ravivé de notre temps cette philosophie ancienne de plus de 2000 ans et qui a rappelé vers elle l'attention et l'admiration d'excellents esprits. C'est en effet un chapitre bien curieux à ajouter au traité de varia Aristotelis fortuna de Launoy.

M. E. insiste sur les raisons qui doivent recommander Aristote à notre étude. D'abord il est la source la plus importante pour la connaissance de la philosophie grecque avant Socrate. Ensuite la longue domination qu'il a exercée sur les esprits, jusqu'au XVIIIe siècle, fait que sans lui on ne comprend pas grand chose à l'histoire de la philosophie. On pourrait même ajouter que l'histoire des commencements de la physique, jusqu'à Newton exclusivement, est inintelligible à qui n'est pas familier avec les écrits d'Aristote. Mais M. E. pense que la philosophie aristotélique n'a pas seulement pour nous une importance historique. Il pense, et ce semble avec raison, que si la philosophie dépend, à certains égards, des sciences particulières et positives dont elle élabore les résultats, d'autre part les principes qui lui sont propres et qui la dirigent dans ce travail sont atteints et conçus plutôt à la façon de l'artiste qu'à celle du savant; que dans le domaine de la philosophie la personnalité du philosophe, sa volonté, son caractère, son expérience de la vie ont plus d'influence que la personnalité du savant dans les sciences mathématiques, physiques et naturelles; qu'il en résulte qu'en philosophie certaines individualités puissantes conservent indéfiniment une importance qui ne demeure ni aux grands mathématiciens ni aux grands physiciens ni aux grands naturalistes. M. E. pense que dans un temps comme le nôtre, où ceux qui cultivent les sciences se laissent volontiers absorber par les recherches de détail, les monographies spéciales, et où l'on court le risque de perdre de vue l'ensemble de la vérité et de généraliser témérairement les principes et les méthodes qui ne conviennent qu'à l'objet dont on s'occupe, il est très-utile d'étudier une philosophie dont le principal mérite est d'unir partout l'étude approfondie du détail à la vue de l'ensemble et qui accorde le même degré d'intérêt et d'attention à ce qu'il y a de plus humble comme à ce qu'il y a de plus élevé. En effet Aristote s'applique avec autant d'amour à l'anatomie des céphalopodes qu'à l'analyse de la constitution de Carthage et à la discussion de l'existence et des attributs de Dieu.

Ce discours de M. Eucken paraît sagement et ingénieusement pensé. Mais les idées sont présentées sous une forme un peu abstraite. Des exemples particuliers n'ajouteraient pas seulement à la clarté et à l'intérêt; en pareille matière, comme dans tout ce qui n'est pas mathématique, ils donnent même de la force à la démonstration.

Y.

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