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Le pire défaut de l'édition nouvelle, c'est, en ce qui concerne le texte, d'être, au lieu d'un progrès, une reculade. Je ne parle pas ici de l'orthographe moderne substituée à celle du xvi° siècle; je ne parle même pas d'expressions modifiées dans l'intérêt d'une plus grande clarté. Il fallait faciliter le plus possible la lecture des récits de Monluc, et, à ce point de vue, les libertés prises sont jusqu'à un certain point excusables. Ce qui ne saurait être justifié, c'est la reproduction de toutes les fautes des éditions qui ont précédé celle de la Société de l'histoire de France'; c'est le servile respect des leçons si souvent infidèles des collections Petitot et Michaud-Poujoulat; c'est le dédain complet des vaillants et heureux efforts de M. de Ruble pour l'amélioration du texte des Commentaires 2.

Quelques citations me semblent nécessaires, mais, pour ne pas abuser de la patience du lecteur, je ne les multiplierai pas comme je le pourrais, et je les prendrai principalement dans le premier volume, lequel correspond à peu près au premier volume de l'édition de la Société de l'histoire de France 3.

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P. 10, et aussi p. 41, et, en un mot, partout, on lit lieutenant du roi, pour lieutenant de roi. - P. 10. Pourquoi la forme barbare: Je suis été, quand Monluc dit toujours j'ay esté? - P. 17: « Donc fuyez ce vilain vice qui vous con>> duira à tout malheur. » Monluc avait écrit, ou, du moins, dicté (p. 35 de l'édition de M. de Ruble): « Doncques fuyés ces vilains vices qui vous conduiront » à tout malheur et espousés les vertus. » - P. 19. «Quand je me jetai dans » Bersello. » Que vient faire là ce Bersello qui n'est ni italien, ni français? Il y a dans le véritable texte (p. 38): « Quand je m'allai mettre dans Verseil 4. » P. 22. «Tant de beaux exploits de guerre. » Pour Monluc, il n'existait pas d'autres exploits que ceux-là. Aussi le mot a-t-il été mal lu, et la bonne leçon est celle-ci (p. 41): <«< Tant de beaux exemples de guerre. » P. 23. « La guerre » recommença entre le roi François Ier et l'Empereur. » Il faut lire (p. 43): « La » guerre se commença ung an après entre, etc. >> P. 25. «Bataille de la >> Bicoque, où je me trouvai, et vis combattre à pied M. de Montmorency. » A restituer ainsi (p. 45): « Bataille de la Bicoque, où je me trouvay combattant à » pied, comme fist aussi M. de Montmorency. >> · P. 29. « Bâtard Dauzan. » C'est d'Aussan, ou plutôt d'Aussun. - P. 33. «Jusqu'à une église qui s'appelle » Ahetze. » Mettez (p. 56): « une église qui s'appelle à Haitée. » — P. 32. << Il dit (le capitaine Carbon) à M. de Gramont qu'il s'en allait au grand trot et >> galop. » C'est un contre-sens. Lisez (p. 56): « Il dict à M. de Gramond qu'il » s'en allast au grand trot et galop. P. 37. « Il n'y a pas moins d'honneur » de faire une belle retraite qu'aller à un combat. » Ces paroles ne sont pas de Lautrec, mais bien de Monluc (p. 61). — P. 47. « Sur quoi [après la bataille

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1. 3 vol. in-8°, 1864-1867. Le tome IV (1870) et le tome V, qui va paraître trèsprochainement, sont consacrés à la correspondance, presque entièrement inédite, de Blaise de Monluc.

2. Voir Revue critique du 8 décembre 1866, p. 362, et du 29 février 1868, p. 136. 3. M. de Ruble, en ce premier volume, a rétabli bon nombre de passages altérés (p. 55, 59, 61, 71, 82, 100, 166, etc.), et bon nombre de passages supprimés (p. 55, 58, 60, 70, 79, 83, 329, etc.).

4. En italien, Vercelli.

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» de Pavie] il [le maréchal de Foix] me fit une très-belle remontrance, laquelle »> ne se passa sans beaucoup de larmes. » C'est là du Monluc édulcoré. Voici la version primitive dans toute sa frappante énergie (p. 75): « Et me fist une >> remonstrance pour la pourter à la dicte compaignie, telle que jour de ma vie! » je ne pleuris tant pour ung coup. Le tout concistoict en la prinse du Roy et >> en la conservation du royaulme. Ce feust le lundy, et le vandredy après il » moreust. El encores que les remonstrances feussent pitoyables et luy blecé à >> la mort, si est-ce que je ne cogneus jamais que sa parolle diminuast. » Quel tableau que ce tableau où nous voyons le maréchal de Foix surmonter les fatigues de la mort pour exciter ses compagnons d'armes à imiter son héroïsme et attendrissant par son éloquence le cœur d'airain de Monluc! Et pourquoi ne pas placer tout entière sous les yeux de l'armée française une scène aussi émouvante? — P. 48. « Le roi en son affliction tira secours de ses propres ennemis, >> lesquels avaient suspecté la grandeur de l'empereur. » Remplacez (p. 49) suspecté par suspecte (p. 77). P. 55. « A la prise d'Amalfi. » Non, mais de Melfi (p. 86). Le nouvel éditeur a confondu la ville voisine de Salerne avec la ville voisine de Polenza. <«< Et fut enseveli à Bresse. » Bresse! qui donc connaît Bresse? Nous sommes ici aux environs de Naples, et je ne suppose pas que, dans la pensée de l'éditeur, il s'agisse de la ville de Lombardie qui s'appelle Brescia. Monluc a nommé (p. 97) Versse, c'est-à-dire Aversa, ville située à 15 kilomètres de Naples. Décidément ce ne sera pas la présente édition des Commentaires qui ajoutera beaucoup aux connaissances géographiques de nos officiers! — P. 67. « Mon compagnon, vous recevez ici une corne pour jamais. » Corne ne signifie rien. Il faut lire escorne1 (p. 99). P. 79. « Et pour ne » divulguer pas mon voyage. » L'expression de Monluc est plus pittoresque (p. 113): « et pour ne trompeter mon voyage.» P. 98. « Mais l'Espagne » était toute informée de son entreprise. » Ici encore Monluc rencontre bien mieux (p. 133): « Mais l'Espaigne estoit toute abreuvée de son entreprinse. >> - P. 125. « En garnison à Gabarret, et moi à Savillan. » Gabarret n'est pas un nom de lieu, mais bien un nom d'homme, et il faut ainsi rétablir la phrase (p. 164): « lequel nous envoya, au Gavarret et à moy, à Savillan; » en d'autres termes; lequel nous envoya, Gavarret et moy, etc. - P. 241. « J'arrivai à

» Villaume. » On chercherait en vain Villaume sur les meilleures cartes du Piémont: il s'agit là de la ville actuellement nommée Avigliana (autrefois Villane ou Veillane pour les écrivains français)2.

pour

1. M. Littré (au mot écorne) explique ainsi ce mot: Affront, peste, dommage, et cite, l'emploi d'escorne, La Noue et d'Aubigné. Si l'édition du Monluc de la Société de l'histoire de France avait paru plutôt, M. Littré n'aurait pas manqué certainement d'y puiser une foule d'exemples. Puisque j'en suis à la philologie, je noterai deux autres fautes de la nouvelle édition, toutes les deux à la p. 91: «ils mangeaient le blé pilé à la turque,» pour le blé pisté à la turque, c'est-à-dire pétri (de pistare); « en un si grand désordre » de maladie et mortalité, » pour mortailles, c'est-à-dire funérailles (de mortalia).

2. Je considère comme de simples fautes d'impression: de Luppe (p. 28) pour de Luppe; Le Grand Diant (p. 44), pour le Grand Diau; Bège (p. 45). pour Boge; Millau (p. 105), pour Milhau ou Meilhau; Tantavel (p. 104) pour Tautavel, etc.

Au second volume, on trouve (p. 179) cette phrase qui fait rêver : « Et n'était » pas si haut monté sur mes mulets de coffres. » Que l'on n'en cherche point l'explication! C'est une phrase dénaturée et qui originairement était celle-ci (édition de M. de Ruble, t. II, p. 157): « et n'estois pas si haut monté sur mes » mullets et coffres, » ce qui veut dire je n'avais pas tant de bagages, par conséquent par tant de fortune et de grandeur. — Dans le troisième volume (p. 19), on n'a pas manqué de reproduire ce mot de bourreau: «et je me deliberai » d'user de toutes les cruautés que je pourrais. » Monluc (ce jour-là, du moins) n'a pas été si féroce: il a dit tout simplement qu'il avait cherché à contenir les séditieux, à prévenir leurs menées, par la frayeur (ibid. p. 359): « et me deli>> beray d'user de toutes les crainctes que je pourrois. le ministre protestant (p. 10) « nommé La Barelle » Barreles, et (p. 195) le commissaire d'artillerie «< Beauville » n'était autre que Tiboville. Les noms de lieux ne sont pas moins déplorablement estropiés que les noms d'hommes. Qui reconnaîtrait, par exemple, le château des anciens évêques de Cahors, le château de Mercuès, dans « le château de Marquis » de la p. 127 du t. III1?

Dans ce même t. III, était en réalité nommé

Les notes de la nouvelle édition sont si rares et si insuffisantes, qu'elles n'existent pour ainsi dire pas. J'aurais même préféré, je l'avoue, que l'on n'en eût placé nulle part. Ce que vous nous dites, tout le monde le savait. Ce que vous ne nous dites pas, la plupart l'ignorent. Que nous importe en vérité d'apprendre (t. I, p. 22), à propos du nom de Bayard, qu'il s'agit là du chevalier sans peur et sans reproche, si, quelques pages après, à propos d'un autre Bayard très peu connu (p. 97), vous ne nous avertissez pas que ce personnage était un secrétaire d'État qui n'avait rien de commun avec le héros dauphinois? Pourquoi prendre l'inutile peine de noter (t. I, p. 45) que le roi de Navarre fait prisonnier à la bataille de Pavie était «< Henri d'Albret, » et ne pas donner le plus petit renseignement sur ce capitaine Carbon, dont Monluc retrace un peu plus loin (p. 47, 48) le plus bel éloge que lui ait jamais inspiré l'éclatant mérite d'un frère d'armes ?

Quant aux notes philologiques, si quelques-unes sont satisfaisantes, quelques autres laissent fort à désirer. Ainsi, le mot Varicaves (t. I, p. 126) doit être traduit par sentier et non par «< espèce de chemin creux. » Monluc, pour caractériser les chemins creux, se sert d'un terme particulier, cavain (p. 180 du t. I de l'édition Ruble). Ce terme est remplacé dans l'édition nouvelle par le mot baisse (t. I, p. 139, 141). Au t. IV (p. 232), le mot chaffre signifie (comme encore aujourd'hui dans le patois de la Gascogne) sobriquet et non plaisanterie. Mais ce ne sont là que des peccadilles. Ce qui est beaucoup plus grave, c'est la fausse interprétation de la phrase (t. II, p. 339): « Si le boiteux portait nouvelle certaine » de cette perte. » Le boiteux ici, figure le temps, et cette locution proverbiale

1. Je n'insiste pas à ce sujet, car plus d'une fois l'imprimeur a dû trahir l'éditeur, surtout (t. IV) pour Eauze et Nogaro transformés en Cause et en Nogarol (p. 14), pour Gaure devenant Gaube (p. 51), pour Mugron devenant Nugron (p. 53), etc.

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REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.

a été employée, en plein xviie siècle, dans la Suite du Menteur, comme le rappelle M. Littré, et expliquée par Voltaire, dans son édition du Théâtre de Corneille. Croirait-on que le nouvel éditeur de Monluc, faisant sienne hélas! une méprise qu'il aurait bien dû laisser à MM. Michaud et Poujoulat, a vu dans cet allégorique boiteux un personnage en chair et en os, « Armand de Gontaut, baron de >> Biron ? >>>

L'Avertissement, où Monluc militaire et écrivain est très-rapidement, mais trèsjudicieusement apprécié, renferme (p. vij) ce passage étonnant : « On trouvera, >> en tête des Commentaires, cette curieuse Dédicace à la noblesse de Gascogne, >> qui s'accorde si heureusement d'esprit et de ton avec le livre auquel elle sert » de préparation et d'annonce. Qui en est l'auteur? Ne serait-ce pas Monluc? » Quel qu'il soit, Monluc ne l'aurait certainement pas désavouée. » Qui ne sait que cette dédicace est de Florimond de Raymond, le premier éditeur des Commentaires (Bordeaux, Millanges, 1592, in-fol.)2?

En terminant ces observations écrites non sans un profond sentiment de tristesse, j'exprime le vœu que la publication de la Bibliothèque de l'armée française soit faite désormais avec moins de négligence, que des travailleurs sérieux, consciencieux, et, au besoin, spéciaux, soient choisis pour préparer, sous la haute direction de M. C. Rousset, qui ne peut évidemment s'occuper de tous les détails, pour préparer, dis-je, les ouvrages qui auront été désignés, et que, quand on réimprimera les quatre volumes des Commentaires, on adopte le texte et une partie des notes de l'édition de la Société de l'histoire de France, en perfectionnant ces notes autant que possible, surtout au point de vue géographique. Il me semble que l'on devrait ajouter à cette édition le mémoire sur le siége de La Rochelle en 1573, adressé par Monluc au duc d'Anjou 3, mémoire dont l'extrême importance a été signalée dans le Spectateur militaire du 15 septembre 1863.

T. DE L.

1. L'auteur du Dictionnaire de la langue française aurait pu emprunter encore un exemple aux Lettres de Malherbe (Euvres complètes publiées par M. L. Lalanne, t. III, p. 300. M. Marty-Laveaux (Lexique de la langue de Corneille, 1868) n'a connu ni le Boiteux de Monluc, ni celui de Malherbe: Il n'a remonté qu'aux Curiosités françoises d'Oudin, publiées trois ans avant la Suite du Menteur.

2. Au début de l'Avertissement, le nouvel académicien cite, en faveur des Commentaires, le mot tant répété de Henri IV: « C'est la Bible des gens de guerre. » Le mot est-il bien authentique? Je ne le trouve consigné dans aucun livre du temps, et je connais d'intrépides chercheurs qui n'ont pas été plus heureux que moi.

3. V. Quelques pages inédites de Blaise de Monluc (Paris, in-8°, 1863, p. 6-15).

Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.

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et à Paris à la librairie A. FRANCK (F. Vieweg propriétaire), 67, rue Richelieu.

Pour paraître le 1er Juillet 1872

RIVISTA

DI

FILOLOGIA E D'ISTRUZIONE CLASSICA

Direttori

Prof. Giuseppe MÜLLER, Prof. Domen. Pezzi.

Ce journal paraîtra les premiers jours de chaque mois en fascicules de 3 feuilles in-8°.

Prix d'abonnement pour toute l'année : 12 fr.

En vente à la librairie de l'Orphelinat, à Halle, et se trouve à Paris, à la librairie A. FRANCK (F. Vieweg propriétaire), 67, rue de Richelieu.

F. GRÆTORIUS

44 P.

STUDIEN

163-308 p.

I et 2.

Beiträge zur Erklarung der nimjarischen Inschriften. In-8°, 2 fr.

Romanische. Hrsg. von Prof. Ed. Boehmer. 2. Hft.
Quaestiones grammaticae et etymologicae. In-8°,

6 fr.

11 fr.

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Agesilaus. Sohn d. Archidamus.

A. BULLMANN Lebensbild. e. Spartan. Kœnigs u.

Patrioten. Nach den Quellen m. tesond. Berücksicht d. Xenophon dargestelt. In-8°, xij-295 p.

J. O. OPEL

$94 P.

4 fr.

Der niedersachsisch-dænische Krieg. 1. Bd. Der niedersæch. Krieg. 1621-1623. In-8°, vj12 fr.

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