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et pour cause), même en Allemagne où toute université de quelque importance peut offrir à ses étudiants un cours de langue védique, les leçons publiques seront toujours insuffisantes pour satisfaire l'impatience d'un jeune homme désireux de se rendre vite les textes familiers. Extraire du dictionnaire de Roth la traduction qui y est virtuellement contenue, c'est bien là qu'il faut en venir en fin de compte, mais pour un commençant la tâche est rude et rebutante. Quant aux traductions partielles du Rig-Véda, les unes, comme celle de Benfey, ont déjà un peu vieilli, grâce aux progrès rapides de l'interprétation védique, une autre, celle de Max Müller, ne comprend encore que quelques hymnes, et au milieu de l'appareil de notes et de justifications où elle se présente, est plutôt faite pour les guerriers armés de toutes pièces que pour les recrues. Le livre de M. M. me semble admirablement propre à faciliter aux nouveaux-venus l'entrée de la carrière. Ils y trouveront tout traduits un bon nombre d'hymnes, parmi les plus beaux, et souvent les plus faciles du Rig-Véda, et la lecture de tout l'ouvrage, en les familiarisant avec les expressions et les idées qui se représentent le plus souvent, les rendra bien vite maîtres d'un fonds commun d'interprétations suffisant pour lire assez couramment les hymnes, et nécessaire pour travailler au déchiffrement des passages si nombreux encore qui appellent des interprètes. L'initiation devient ainsi relativement facile, et à ce point de vue aussi on ne saurait trop recommander un livre qui peut attirer et retenir de nouveaux ouvriers pour une moisson qui promet de si beaux fruits, mais à laquelle les bras font défaut.

Je ne veux pas terminer sans signaler encore un des attraits de ce volume. La langue anglaise se prêterait, je crois, moins que la langue allemande à des essais de traduction métrique littérale. D'autre part les beautés du Rig-Véda sont des beautés de détail. On ne rencontre guère d'hymne qui offre une véritable unité. M. M. a eu l'heureuse idée de réunir, sous la forme la plus poétique que leur aient donnée les Richis védiques, les principaux traits de chaque divinité, et d'en composer de petits poèmes anglais, qui me paraissent résumer parfaitement le caractère d'Indra, de Varouna, de l'Aurore, d'Agni, de Yama, et offrir en même temps au lecteur la fleur du panier de la poésie védique. Abel BERGAIGNE.

115.

Edouard LANCEREAU. Pantchatantra ou les Cinq Livres, Recueil d'apologues et de contes, traduit du sanscrit. Paris, Maisonneuve et C. Prix: 10 fr.

Malgré le mérite très-réel de la publication dont nous avons à rendre compte, il faut bien reconnaître que le moment où elle a paru en a un peu diminué l'intérêt et l'importance. D'abord elle succédait au Pantchatantra de Benfey, une des œuvres qui font le plus d'honneur au savant indianiste dont la carrière a été pourtant si laborieuse et si féconde, et après sa traduction, après cette Introduction où il a fixé la méthode de la Littérature comparée, il ne restait que bien peu de chose à glaner. Là-dessus M. L. avait dû prendre son parti à l'avance; après avoir pour sa part fort honorablement contribué, par son travail sur l'Hitopadéça

(Paris, 1855), à préparer l'œuvre du professeur de Goettingue, il s'était modestement imposé la tâche, en marchant à son tour sur ses traces, de faire passer dans notre langue le grand recueil de fables indien. Il faut lui savoir gré d'avoir rempli, et bien rempli cette tâche un peu ingrate. Mais ce que M. L. ne pouvait prévoir, c'est qu'au moment de l'impression de cet ouvrage, ou peu de temps après son apparition, se produiraient coup sur coup deux découvertes dont l'une allait apporter sur toutes les questions que soulèvent l'origine et l'histoire des fables indiennes le plus précieux élément d'information qui ait encore été à la disposition de la science, tandis que l'autre ferait supplanter par une récension plus ancienne le texte même dont il avait entrepris de nous donner la traduction. En effet, le 12 juillet 1871, une lettre de Benfey annonçait dans la Gazette d'Augsbourg la découverte de la version syriaque du recueil des fables indiennes, qui paraît devoir remplacer la traduction pehlvie aujourd'hui perdue, et présenter la forme la plus ancienne du recueil à laquelle on ait encore pu remonter. Le 27 mars dernier une nouvelle lettre du même savant dans le même journal, annonçait la découverte du texte original d'une recension du Pantchatantra connue sous le nom de Recension du Sud, et qu'on ne possédait jusqu'à présent que dans la traduction, trop dépourvue d'autorité, de l'abbé Dubois. La lecture du texte original a confirmé Benfey dans l'opinion qu'il avait émise déjà (Préface, p. xix) que cette recension était l'une des plus anciennes (il dit maintenant la plus ancienne) du Pantchatantra. C'est donc ce texte nouveau dont il promet une édition et une traduction, qui méritera désormais, plus que les recensions jusqu'ici connues, et en particulier plus que l'édition de Kosegarten qu'il avait suivie et qu'a suivie après lui M. L., l'honneur d'une vulgarisation dans les différentes langues de l'Europe.

L'histoire des fables indiennes et de leur transmission chez les divers peuples de l'Asie et de l'Europe est bien résumée dans l'Avant-Propos que M. L. a mis en tête de sa publication. On peut s'étonner qu'il y ait reproduit l'attribution du Pantchatantra à Vichnouçarman sans ajouter, comme l'a fait Benfey (Introduction, p. 31) qu'il était de la dernière invraisemblance que ce personnage légendaire fût en effet l'auteur des fables ou de la compilation. Il y a aussi une petite erreur dans la manière dont est reproduit un autre titre de l'ouvrage; c'est en effet le nom de Pantchâkhyâna et non de Pantchopâkhyâna qu'il porte dans les mss. de Berlin et de Hambourg (ibid., p. 36). Une critique un peu plus grave est celle que j'adresserai à la phrase suivante (p. iij): « ..... une des fables du livre pre>> mier contient un passage de Varâhamihira, astronome qui écrivait vers le » Vie siècle après Jésus-Christ, et par conséquent l'ouvrage sanscrit devait être » récemment rédigé lorsqu'il fut introduit dans l'Asie occidentale. » Si le fond même des récits a souvent beaucoup varié, que dire des citations poétiques rattachées à ces récits par un lien quelquefois extrêmement faible, et dès lors quelle conclusion tirer pour une époque si ancienne des citations renfermées dans le texte actuel! Mais il n'est même pas nécessaire, dans le cas qui nous occupe, de recourir à ces considérations générales: le passage en question manque en effet dans le manuscrit de Berlin et dans la traduction de Galanos, et «< ainsi, » dit

Benfey (II, p. 393) « s'écroulent toutes les conclusions qu'on a cru pouvoir en » tirer sur l'époque de la composition du Pantchatantra. »

La traduction de M. L., autant que j'ai pu en juger par la comparaison de quelques passages pris au hasard avec le texte, est généralement fidèle. Elle aurait eu beaucoup de chances de l'être presque toujours en se calquant sur celle de Benfey. Dans les cas, assez peu nombreux du reste, où elle s'en écarte, ce n'est pas d'ordinaire au profit du sens. Je n'en citerai que quelques-uns.

III. Vers 12 (p. 199). « .....Par conséquent il ne faut combattre qu'après » avoir eu recours au troisième moyen. » Le texte porte upâyatritayât. Le sens est: «< aux trois (autres) moyens. » La méprise est d'autant plus singulière que Benfey avait eu soin de renvoyer par une note (962) au passage du Pantchatantra où sont énumérés les quatre moyens.

V. 11 (p. 313). « Le songe qui apparaît à l'homme malade, chagrin, rongé » de soucis, tourmenté par l'amour, ivre, fait voir d'heureux fruits. » (.....svapnah phalocchritah). L'application de cette sentence à la situation exige la traduction donnée par Benfey, et qui est précisément le contraire de la précédente: «< ne >> porte aucun fruit, » c'est-à-dire «< ne s'accomplit pas » (Voyez Bf. SanscritDictionary). A la vérité le sens de « privé de » pouvait paraître mal établi pour ucchritah. Aussi Bohtlingk (Indische Sprüche, no 2918) a-t-il substitué à cette leçon, avec la plus grande vraisemblance, la correction ujjhitah. Je remarque à ce propos que M. L. ne paraît pas avoir tiré tout le parti possible de la publication que je viens de citer, pour la traduction des stances que le Pantchatantra renferme en si grand nombre. Je serais même disposé, comme il n'en parle pas dans sa préface, à croire qu'il a négligé ce précieux secours, et à regarder comme fortuites le petit nombre de concordances particulières que j'ai remarquées entre ses traductions et celles de Bohtlingk. Je vais donner un exemple où la rencontre est malheureuse.

IV. 76 (p. 306). « Même dans la dernière condition, celui qui est grand » n'abandonne pas les qualités de maître; grâce à sa pureté, le coquillage ne » perd pas sa blancheur, quand même il tombe du bec du paon.» (Çikhi-bhuktimukto'pi). Çikhin, littéralement << qui a une aigrette » désigne à la fois «le paon >> et « le feu.» Mais il est trop clair que c'est du feu qu'il s'agit ici: le feu qui noircit les autres objets ne fait que blanchir le coquillage. M. L. en s'écartant, bien à tort je crois, de la traduction de Benfey «< de la gueule du feu, » est d'accord avec l'auteur des Indische Sprüche, au moins dans sa 1re édition (no 125); mais dans la seconde (no 355) Bohtlingk est revenu à l'interprétation de Benfey.

III. 103 (p. 221). « La vertu s'expose brièvement; hommes! à quoi bon être >> prolixe? Pour celui qui est vertueux faire du bien aux autres; pour le méchant » faire du mal à autrui. » (paropakârah punyâya pâpâya parapîdanam). La trad. de Benfey offrait au moins un sens : «La justice, etc... Récompense suprême pour >> l'homme de bien! Dernier châtiment pour le méchant! » Mais ici le véritable sens n'a été donné je crois que par Bohtlingk (1re éd. 3096): « La loi, etc..... >> Secourir les autres procure des mérites, tourmenter les autres est un péché. »

J'ai dit que la traduction de M. L. est généralement fidèle. C'est évidemment à l'exactitude qu'il a visé, plutôt qu'à l'élégance, et il faut lui en savoir gré. Cependant il est un degré d'exactitude littérale, un excès de fidélité apparente qui peut cacher une infidélité très-réelle. M. L. n'a pas toujours su éviter cet écueil. Voici par exemple une stance dont la traduction est calquée assez exactement sur le texte sanscrit.

V. 42 (p. 331). «Quand le clair de lune d'automne dissipe au loin l'obscurité, » auprès d'un objet aimé, l'ambroisie que produit le murmure du chant pénètre » dans l'oreille des heureux. » Pour avoir imité trop fidèlement la construction de la phrase sanscrite le traducteur nous a donné une suite de mots qui n'offrent en français aucun sens; il fallait dire avec Benfey et Boehtlingk: «< heureux ceux » dans l'oreille desquels, etc....! »

II. 49 (p. 152). «< Donner, recevoir, raconter un secret, questionner, manger » et faire manger, voilà six sortes de marques d'affection.» N'est-ce pas faire tort au poète hindou que de lui faire dire en français de pareilles choses, et était-ce s'écarter beaucoup du texte que de traduire : «< accepter et offrir un >> repas. » Ici de plus il y a une infidélité proprement dite : guhyam est à la fois le régime de åkhyâti et de prcchati, et il fallait traduire : « confier et se faire >> confier un secret. >>

Il y a en sanscrit telle façon de parler qui, traduite littéralement en français, n'offre guère de sens intelligible. Ainsi M. L. est-il bien sûr que ses lecteurs non indianistes comprennent sans commentaire que cette expression: « La Fortune » qui n'a pas les membres barbouillés du safran du sang de l'ennemi » (III. 32, p. 202), signifie : « La Fortune qui n'a pas les membres couverts du sang de >> l'ennemi, comme les belles les ont couverts de pâte de safran (en guise de » fard)? » De même III. 109 (p. 222), devinera-t-on que «<il tue cinq» signifie <«< il tue cinq de ses parents » (Cf. Indische Sprüche, 1re éd. 1665).

Enfin bien souvent, même en dehors des allusions à des idées ou à des faits spécialement indiens, les auteurs des sentences laissent à suppléer bien des choses qu'il est parfois nécessaire d'ajouter dans une traduction qui ne veut pas être une énigme; ainsi cet axiome V. 41 (p. 331): « Celui qui est paresseux » doit éviter de voler des peaux » gagnerait certainement en clarté à être complété comme le fait Boehtlingk (ibid. 2o éd. 1715): « parce qu'il pourrait s'y >> endormir et être pris. »

Quelquefois l'expression a trompé la pensée du traducteur: IV. 25 (p. 282) << Celui qui se fait un ami d'un ennemi s'empoisonne lui-même. » On a voulu dire « Celui qui fait son ami d'un ennemi, etc. » IV. 60 (p. 299). « On a

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» beau les frapper avec le bâton, les couper en morceaux avec les épées, on ne » soumet les femmes ni par les présents ni par l'amitié. » Inutile d'insister, je crois. IV. 30 (p. 283). « De même qu'avec des vêtements sales on s'assied » n'importe où, ainsi celui qui a perdu sa richesse ne conserve pas le reste de sa >> richesse. » Le traducteur a voulu dire sans doute : ne soigne pas, ne cherche >> pas à conserver » (raxati); et puis, pour qu'il y ait un reste à soigner où à négliger, il ne faudrait pas opposer la perte de sa richesse au reste de sa richesse;

on se serait tiré d'affaire en disant : «< celui qui est ruiné..... » – III. 246 (p. 262). << Mettant le mépris avant tout et laissant la considération par derrière, que le »sage fasse réussir ce qu'il désire..... » C'est une manière un peu singulière de dire «< Préférant (s'il le faut) le mépris à la considération. >>

En somme ces différentes sortes de taches dont je n'ai voulu donner que quelques spécimens, si elles rendent moins attrayante la lecture de la traduction, n'ôtent que peu de chose à la valeur incontestable du consciencieux travail de M. L. Sur les notes qui terminent le volume et où M. L. a, sous le titre de <<< Sources et Imitations », donné un résumé très-commode pour les recherches de la grande << Introduction» de Benfey, je n'aurais qu'à répéter la critique de Cowell (The Academy, 1er avril 1872); des renseignements précieux contenus dans la revue Orient und Occident n'ont pas été utilisés. En revanche M. L. enrichi ce résumé de rapprochements intéressants qui lui appartiennent.

a

La traduction du Pantchatantra sort des presses de l'Imprimerie nationale; c'est assez dire que c'est un chef-d'œuvre de typographie que tous les amateurs de beaux et bons livres voudront placer dans leur bibliothèque.

Abel BERGAIGNE.

116. Archiv der Gesellschaft für æltere deutsche Geschichtkunde, herausgegeben von G. H. PERTZ. XII. Bd. 1. u. 2. Heft mit Handschrift - Tafeln. Hannover, Hahn, 1872. 1 vol. in-8°.

Une des idées les plus heureuses de la Société pour l'ancienne histoire d'Allemagne, a été de publier un recueil périodique, paraissant à intervalles variables, et contenant le résultat des recherches faites dans toutes les bibliothèques de l'Europe par les collaborateurs des Monumenta et les travaux de critique destinés à préparer les éditions de cette grande collection. Grâce à ce recueil nous possédons non-seulement un nombre considérable de dissertations importantes sur la critique des sources et la classification des manuscrits, mais encore des catalogues complets de tous les manuscrits contenant des écrits historiques qui se trouvent dans les diverses bibliothèques européennes. Commencé en 1820, sous la direction de Buechler et Duemge, puis continué par Pertz, l'Archiv vient de faire paraître les deux premières parties de son 12° volume. Il contient des notes de L. Weiland sur Martinus Polonus (p. 1–79); un travail sur les sources historiques se rapportant au monastère de Brauweiler, près Cologne, par Hermann Pabst (p. 80-200) et un catalogue des manuscrits historiques des bibliothèques de Rome par L. Bethmann (p. 201-425).

1. H. Pabst était un des plus distingués parmi les jeunes collaborateurs des Monumenta; il y a publié les Diurnali di M. Mattheo di Giovenazzo (t. XIX) et la Fundatio monasterii Gratiae Dei circa 1147 (t. XX). Les Forschungen zur d. Gsch. ont donné deux remarquables travaux de lui Geschichte des Langobardischen Herzogthums (1862) et Frankreich u. Konrad der Zweite in den Jahren 1024 u. 1025 (1865). Malgré sa faiblesse de constitution, il s'engagea volontairement dans l'armée allemande au début de la guerre de 1870, et fut tué à Gravelotte, le 16 août, le même jour que J. Brakelmann, qui, moins remarquablement doué que Pabst, semblait néanmoins destiné comme lui à rendre de grands services à la science. Qu'ils reçoivent ici l'un et l'autre le témoignage de notre estime et de

nos regrets.

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