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mots : « Il nous a échappé. » C'est là que le traducteur aurait dû marquer le second alinéa, et non, comme il l'a fait, aux mots : «< Hé, indiquez-moi. » Nous pensons, avec M. Muff, que les trochées sont chantés par le coryphée. Ils ne sont pas descriptifs, comme les vers suivants; ils contiennent des ordres précis et conviennent à celui qui commande le chœur. Cela se sentirait mieux dans le français, si le traducteur n'avait pas, sous l'influence d'une opinion préconçue, substitué la première personne «< poursuivons, demandons » à la deuxième personne des impératifs grecs nou, iwxe, Tuv0άvou. S'il est permis, en s'aidant d'analogies générales, de mieux préciser encore l'exécution de ce morceau, je dirai que le chœur s'avançait d'abord rapidement en suivant la mesure des trochées de son coryphée; mais qu'ensuite il dansait sur place ou en n'avançant guère, pendant qu'il chantait lui-même sur la mesure péonique, particulièrement affectée (nous le savons) aux danses plaisamment imitatives. Les mêmes observations s'appliquent à l'antistrophe (v. 219-233). Elle est suivie de deux fois trois tétramètres trochaïques, séparés par un vers de Dicéopolis, lesquels conviennent aussi parfaitement au coryphée.

La nature du mètre est sans contredit le principal critérium du débit d'un morceau. M. Muff a examiné à ce point de vue toutes les espèces de mètres dont s'est servi Aristophane; mais, comme à côté des mètres exclusivement lyriques, il y en a d'autres qui se prêtent tantôt au chant, tantôt à la simple récitation, l'auteur essaye de déterminer les sujets, les idées, les manières de parler qui conviennent soit aux fonctions du coryphée, soit au rôle collectif du choeur; et il recherche avec soin les autres indices qui peuvent nous éclairer sur l'attribution précise des morceaux précédés de l'indication vague XOPOZ.

Il examine ensuite les principaux groupes choriques qui se retrouvent dans toutes les comédies d'Aristophane, la Parodos, la Parabase, les Stasima et l'Exodos. Quant à la parabase, les anapestes, dans lesquels le poète s'adresse personnellement au public, ainsi que le morceau rapide qui leur fait suite (le πvîyos ou perd-haleine), doivent appartenir au coryphée. M. M. est d'avis que le coryphée les chantait ou qu'il les disait mélodramatiquement aux sons de la flûte, sans que le chœur détournât l'attention du public par aucun mouvement de sa part. Le chœur vient de faire une conversion de manière à se placer en face du spectateur pendant que l'introduction de la parabase, le petit morceau appelé zoμμátov était chanté (telle est du moins l'opinion de M. M.) par le même coryphée. En revanche notre auteur attribue au chœur tout entier toute la seconde partie de la parabase, non seulement la strophe et l'anti-strophe, qui sont évidemment des morceaux lyriques chantés et dansés, mais aussi l'épirrhème et l'antépirrhème, ces joyeuses railleries consacrées par l'antique usage des fêtes de Bacchus.

Le coryphée était une personnalité à part; le reste du chœur chantait, dansait, agissait, la plupart du temps ensemble, et ne se divisait qu'exceptionnellement. M. M. soutient ce principe, qui n'est pas reconnu par tout le monde, et avec raison, ce me semble. Il n'admet la division en deux demi-chœurs que rare

ment, dans les occasions où il s'agissait de mettre en regard deux partis hostiles ou de sentiments opposés. Quant aux hypothèses d'après lesquelles les divers chorentes auraient quelquefois chanté tour à tour, il ne croit pas qu'elles soient suffisamment motivées. Un chapitre est consacré aux petits choeurs accessoires, qui figurent quelquefois à côté du choeur principal, quelquefois avant son entrée. Ce dernier cas, dans lequel les chorentes ordinaires pouvaient suffire aux besoins de la représentation, se présente dans les Grenouilles, lorsque se fait entendre le fameux chœur invisible qui a donné le nom à la pièce. Je ne sais s'il faut en dire autant des Thesmophores. Aux vers 101 sqq. on y voit un chant amébée entre le poète Agathon et le chœur des Muses. Or comme il est clair que ce poète paraît seul sur la scène, M. M. en conclut que le chœur des Muses se fait entendre de l'intérieur de la maison d'Agathon, et il dit que c'est là un apaуophy, bien que le scholiaste, qui se sert de ce terme technique pour le chœur accessoire des grenouilles, n'ait pas jugé à propos de l'appliquer à cet endroit. Ici l'exactitude habituelle de M. M. est en défaut. Le scholiaste dit très-nettement que c'est Agathon qui chante tout, qu'il se donne la réplique à lui-même: zoprnà λéyet μέλη αυτὸς πρὸς αὑτόν. Je ne vois aucune bonne raison pour récuser le témoi gnage du scholiaste: exécutée de cette manière, la scène est encore plus plai

sante.

A la fin du volume, l'auteur passe en revue toutes les parties choriques des onze comédies d'Aristophane et il indique brièvement par qui et comment elles furent, suivant lui, débitées sur le théâtre d'Athènes. Dans ces résultats, comme dans les discussions qui les précèdent, il n'y a peut-être rien d'absolument nouveau. Les questions examinées dans ce livre avaient déjà été agitées par plusieurs philologues. Mais on les trouve ici traitées la première fois dans leur ensemble, avec suite, judicieusement et méthodiquement. Aussi les résultats auxquels l'auteur est arrivé peuvent-ils être considérés sinon comme sûrs, du moins comme plausibles.

85.

Henri WEIL.

Étude sur l'administration des finances de l'empire romain dans les derniers temps de son existence pour servir d'introduction à l'histoire des institutions financières en France, par Léon BOUCHARD. Paris, Guillaumin. In-8°, xix-526 p. — Prix : 7 fr.

Cet ouvrage, comme la plupart de ceux que publient en France les personnes qui s'occupent d'études juridiques, néglige complètement le point de vue historique. Aussi bien que M. de Serrigny dans son Droit administratif des Romains, l'auteur ne puise guère en dehors du Code Théodosien et de la Notitia Dignitatum, sources abondantes, accompagnées depuis longtemps d'amples commentaires où les points obscurs sont élucidés. M. Bouchard cite, de temps en temps, quelque écrivain de l'histoire Auguste quand Godefroy ou Boecking l'y ont renvoyé encore ne cite-t-il pas complètement puisqu'il n'indique pas les chapitres de Capitolin, de Vopiscus auxquels il se réfère. Çà et là, on peut relever quel

ques inexactitudes: P. 178. « L'intervention de l'État dans l'instruction des >> citoyens paraît dater d'Adrien, » cet honneur revient à Vespasien (Suet. Vespas. 18). P. 387. « Antonin, après avoir épuisé le trésor dans la guerre contre >> les Marcomans, fit vendre aux enchères le mobilier des palais impériaux. » Le nom d'Antonin peut faire penser qu'il s'agit d'Antonin le Pieux, et non de MarcAurèle, auteur de la mesure.-P. 34. « Le préfet du prétoire, dit M. B., surveillait l'administration des vicaires... connaissait de leurs concussions et recevait à ce sujet les plaintes des provinciaux. » Ce n'est pas au préfet du prétoire, mais à l'empereur qu'on appelait des décisions des vicaires (C. Th. XI, 30, 16).. P. 229. M. B. dit que Constantin institua le Comte des Largesses sacrées et le Comte de la Chose Privée. Cette institution est postérieure. La plus ancienne loi qui mentionne ces dignitaires est de l'an 340 (C. Th. XII, 1, 30).

Au point de vue administratif, l'auteur, par l'ordre et la lucidité qu'il introduit dans un si vaste sujet, rachète les insuffisances que nous signalons dans le domaine de l'histoire. Il distribue la matière financière romaine dans les cadres du budget français, et par cet artifice montre immédiatement les différences qui séparent les finances des deux peuples.

L'ouvrage est divisé en quatre parties : Dépenses publiques, revenus publics, perception, contrôle.

Dans les deux premières on ne trouvera rien qui n'ait été dit déjà sur ce sujet, traité avec profondeur depuis deux siècles. M. B. a adopté pour l'évaluation des sommes mentionnées dans l'édit de Dioclétien, les chiffres de Dureau de Lamalle: ils doivent être triplés (Voy. Waddington, Edit de Dioclétien, p. 3 et 6).

En ce qui concerne la perception et le contrôle, la part de M. B. est plus grande. La préface montre, du reste, qu'il a eu pour objet principal l'étude de ces deux points laissés jusqu'ici dans l'ombre, et en effet il y jette assez de lumière. Il fait bien ressortir et explique avec sagacité les précautions multipliées par les empereurs pour assurer l'arrivée intégrale dans les caisses publiques de l'argent ou des prestations en nature des contribuables. La comptabilité impériale était organisée avec ordre et méthode, et offrait d'ingénieux moyens de vérification.

Mais les comptables les éludaient souvent, et d'ailleurs l'exclusion des citoyens de toute délibération prise au sujet des taxes, la prolongation des guerres étrangères et civiles devaient amener infailliblement la ruine de tous ceux qui possédaient. M. B. (p. 403) s'étonne que pour subvenir aux charges extraordinaires, aux dépenses imprévues, les empereurs aient plutôt recouru à des impositions additionnelles qu'à l'emprunt, et il suppose que les Romains n'ont pas connu l'usage du crédit public. Mais il y eut plusieurs emprunts faits par l'Etat sous la République, et on proposa la même opération de finance au début du règne de Vespasien (Tacit. Hist. IV, 47). Si les hommes d'Etat du ive siècle n'en usèrent pas, la faute en est moins à leur ignorance qu'à l'appauvrissement général, qui excluait d'avance toute pensée de ce genre, et en aurait vite démontré l'inanité. C. DE LA BERGE.

86. Il Paradiso degli Alberti, ritrovi e ragionamenti del 1389, romanzo di Giovanni da Prato, dal codice autografo e anonimo della Riccardiana a cura di Alessandro WESSELOFSKY. Bologna, Romagnoli, 1867. 4 vol. in-18, 370, 448, 230, 274 p. (Scelta di curiosità letterarie, n" LXXXVI', 'LXXXVI', LXXXVII, LXXXVIII). Prix : 40 fr.

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Sur les 1322 pages dont se compose cette publication, 474 suffisent à contenir le texte publié par M. Wesselofsky; les 848 autres sont remplies par les commentaires de différente nature qu'il y a joints. Ce n'est pas pour nous plaindre de cette apparente disproportion que nous la constatons; bien au contraire. Les deux gros volumes d'introduction sont à notre goût beaucoup plus intéressants que les deux petits volumes de texte. Ce n'est pas que ceux-ci ne méritent d'être lus; mais on en tirerait peu de plaisir et de profit si on ne lisait d'abord les explications dont les a entourées l'habile éditeur. Nous lui empruntons les renseignements les plus essentiels sur l'ouvrage qu'il publie, son caractère et son histoire.

Cet ouvrage, incomplet du commencement et de la fin et souvent défectueux dans le milieu, se trouve dans un ms. de la Riccardiana à Florence qui, M. W. nous l'apprend, appartenait antérieurement à Gaetano Cioni, littérateur florentin bien connu, mort nonagénaire en 1849. C'est une sorte de roman, de composition complexe, dans laquelle l'auteur met en scène plusieurs personnages importants et célèbres à Florence à la fin du xiv siècle, entre autres Coluccio Salutati, Luigi Marsili, Francesco Landini, etc.; ces personnages réunis dans une villa d'Antonio degli Alberti, appelée le Paradiso, se livrent à de longues conversations, discussions, etc., et égaient çà et là leurs entretiens en se racontant des nouvelles. La mutilation du manuscrit fait que nous ne savons ni le titre de l'ouvrage ni le nom de l'auteur : le titre qu'a choisi M. W. était naturellement suggéré par le cadre du récit; quant à l'attribution de l'ouvrage à Giovanni di Prati, identifié par l'éditeur à Giovanni di Gherardo, appelé aussi l'Aequetino, elle nous paraît établie avec autant de solidité que d'érudition. Ce Cioni, auquel le ms. avait appartenu, s'était imaginé d'en extraire les nouvelles, et de les publier soit sous le nom d'un certain Giraldo Giraldi, auteur réel d'une nouvelle tout autre que Cioni possédait également en manuscrit, soit comme recueillies dans divers mss., et s'était laissé fort placidement attribuer par Gamba, Benci et d'autres la composition desdites nouvelles, ce qui lui avait valu de grands éloges sur son talent à imiter le style ancien. M. W. a démêlé avec une singulière sagacité les fils de l'écheveau embrouillé des supercheries de Cioni, et a ainsi fait disparaître de l'histoire littéraire un problème qui avait embarrassé la critique.

Cioni n'avait trouvé dans le fatras de son manuscrit que les nouvelles dignes d'être publiées; elles sont en effet, comme style, ce qu'il y a de mieux dans l'ouvrage; mais M. W. a vu que le reste, assez rebutant à la lecture, est d'un intérêt très-réel pour l'histoire des idées et de la littérature en Italie. Dans un excellent chapitre de son Introduction, il a caractérisé cette époque de transition entre l'époque de Dante, Pétrarque et Boccace, ces «< trois couronnes de

» Florence », et l'âge de la Renaissance; il a décrit la guerre engagée entre les partisans de l'école ancienne ou nationale et ceux de l'antiquité; c'est une contribution des plus importantes à l'histoire de l'humanisme en Italie. Notre auteur et ses amis appartiennent à l'école traditionnelle et relèvent avant tout de Dante; mais ils sont eux-mêmes sans s'en douter bien éloignés de leur modèle, et M.W. signale très-justement dans leurs écrits les preuves de la défaite irremédiable de la cause qu'ils soutiennent. Une partie non moins intéressante du travail du savant éditeur est la biographie de chacun des personnages qui figurent dans le roman, et surtout celle de l'auteur, dont un poème curieux est analysé avec de nombreux extraits. Des documents inédits et utiles pour l'histoire littéraire sont joints aux deux volumes de l'introduction.

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Le texte est reproduit avec des corrections orthographiques, que nous ne pouvons que désapprouver dans un livre qui n'aura que des lecteurs instruits et dont on possède le manuscrit autographe. Le dernier volume se termine par un petit glossaire des mots et des locutions inusités qu'offre le texte : nous aurions voulu aussi un index des faits et des noms.

87.

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Johannes Sturm, Strassburg's erster Schulrector, besonders in seiner Bedeutung für die Geschichte der Pædagogik, von D' L. KücKELHAHN. Leipzig, J. F. Hartknoch, 1872. In-8°, 161 p. Prix: 4 fr. 25.

Les notices biographiques et les études détaillées ne manquent point sur Jean Sturm. Depuis les travaux de Glaser et de Junius au xvre siècle et ceux de Burckhard, Hallbauer et Væmel au XVIII, bien des savants se sont occupés du grand pédagogue de la Renaissance et de la Réforme. M. Strobel dans son Histoire du Gymnase protestant de Strasbourg, M. K. de Raumer dans son Histoire de la pédagogique, M. Eckstein dans une étude spéciale, ont réuni ce qu'on savait de sa vie, et ce qui pouvait se dire sur ses nombreux travaux. En 1855 enfin, le savant historien de l'Église, M. le professeur Charles Schmidt, lauréat de l'Institut, avait à peu près épuisé la matière dans son livre La vie et les travaux de Jean Sturm premier recteur du Gymnase et de l'Académie de Strasbourg. Ce n'était donc pas précisément le besoin de combler une lacune « bien vivement sentie >> qui pouvait engager M. Kückelhahn à composer un nouveau volume sur ce même sujet. C'est bien plutôt si nous en jugeons par plusieurs passages du livre et surtout par un élan lyrique de la fin (p. 159), le besoin malencontreux que nous rencontrons en ce moment partout au delà du Rhin, d'exploiter l'Alsace comme matière scientifique et littéraire, après l'avoir conquise par les armes. Ce procédé ne peut produire que des ouvrages écrits avec précipitation, sans une connaissance, même superficielle du sujet, et fourmillant d'erreurs. M. K. n'a point évité tous ces écueils, et malgré les déclarations de sa préface on ne voit point l'utilité de son travail, car ce qu'il y dit de juste n'est point nouveau, et ce qui frappe comme tout à fait nouveau (nous allons en citer un exemple tout à l'heure) est contraire à la vérité historique. La biographie même de Sturm est résumée

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