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être logique, que même quelques animaux possèdent à un haut degré certains sentiments «<< d'ordre naturel » ?

Parlons sérieusement. Il s'agit de savoir, non pas si les principes élémentaires de la morale se trouvent déposés dans tout cœur humain, mais si tel peuple l'emporte, somme toute, sur tel autre par la pureté, par l'élévation, par la profondeur de sa vie morale. Or, telle est précisément la conclusion qui ressort de mon livre : la moralité des huguenots marqua, au total, un progrès dans l'histoire des mœurs. Comment M. R. prouvera-t-il que la cour de Henri III valut celle de la reine de Navarre? Pourquoi attache-t-il une si mince importance aux imposants témoignages d'auteurs catholiques qui me donnent raison? Pourquoi encore, après avoir braqué sa loupe hypercritique sur une parole qui m'est échappée p. 96, M. R. passe-t-il les yeux fermés à côté de dix autres qui, s'il les avait vues, eussent rendu impossible le principal reproche qu'il m'adresse! J'ai beau dire p. 324 qu'il y eut, dans les rangs des huguenots, l'ivraie à côté du pur froment; que, dans les deux camps, « la cruauté, l'ambition, la haine, la dépravation, la lâcheté comptèrent de nombreux sectateurs, p. 318; que des Adrets, que d'autres capitaines huguenots commirent, eux aussi, des atrocités p. 319; que les réformés perdirent peu à peu la simplicité des soldats de 1562, p. 264, 258; que certains guerriers réformés trouvèrent dans leur foi, à des degrés divers il est vrai, un calme que les stoïciens leur eussent envié, p. 272; qu'il y eut des huguenots qui supportaient difficilement la contradiction, p. 242; que, vers 1572, quand le souffle des guerres civiles les eut ternies, les communautés protestantes «< avaient bien perdu de la pureté des premières années, »> p. 115; que la vie des huguenots présente des taches, p. 135; qu'il y en eut que l'on pouvait taxer d'étroitesse d'esprit, p. 135; de superstition, p. 310 et suiv.; que tous n'eurent pas le courage qui fait les martyrs, p. 300-310; j'ai beau écrire «< quelques catholiques, on est heureux de le dire, sauvèrent des >> huguenots persécutés, au risque de se compromettre eux-mêmes, » p. 303; j'ai beau citer de nombreux passages, peu connus', tirés des procès-verbaux des Synodes, passages où l'on menace des peines les plus sévères les huguenots jureurs, blasphémateurs, joueurs, charmeurs, coupables d'avoir injurié les Papistes (p. 66 à 76), etc., passages qui prouvent évidemment d'une part que les huguenots prenaient la moralité fort au sérieux; de l'autre qu'ils se savaient loin du but auquels ils tendaient : tous ces textes, toutes mes réserves, M. R. n'en sait rien. On dirait vraiment qu'il ne vise qu'à faire rire à mes dépens, et cela à tout prix.

Comment s'expliquer autrement que mon critique, qui me harcèle à propos des vétilles les plus insignifiantes, ait pu détourner, de leur sens naturel, je ne

1. C'est à tort que M. R. suppose que je n'ai pas la prétention d'apporter des faits nouveaux à la connaissance de mes lecteurs. Je crois au contraire en avoir exhumé un certain nombre que mes lecteurs — M. R. excepté ne connaissaient point. C'est ce que

je puis dire, sans faire injure à personne.

sais d'après quelle méthode, quelques-uns des passages qu'il attaque? Exemple: Il me blâme d'avoir étendu à tous les membres du parti les éloges dus, à juste titre, au plus grand nombre, et ces louanges, continue-t-il, sont particulièrement mal venues quand je les étends aux soldats huguenots «< qui ne pillaient et fourrageaient jamais. » Quiconque ne lira que M. R. croira que c'est moi qui affirme que les soldats huguenots «< ne pillaient et fourrageaient jamais, » au grand jamais. Qu'on se donne la peine d'ouvrir mon livre et l'on verra non sans étonnement (p. 264 à 266), que c'est l'intègre Lanoue qui raconte qu'au «< com>> mencement des guerres religieuses » la noblesse ne pillait point et que nul soldat « ne s'écartait des enseignes pour aller fourrager. >>

Autre exemple. J'ai emprunté, non pas seulement au protestant Bernard Palissy, mais encore à Florimond de Raemond, fougueux adversaire des huguenots, quelques pages des plus significatives où la vie des premières communautés protestantes est peinte avec les couleurs les plus ravissantes (p. 115 à 132). C'est au début de ce chapitre que j'ai écrit: « Nous en prévenons nos lecteurs, >> ils vont se trouver en pleine idylle. » Ecoutez à présent M. R. « Les » éloges donnés aux huguenots par M. S... sont en général fort justes; seule>> ment l'auteur aurait dû se garder de les distribuer indistinctement à tous les >> huguenots. Il dit quelque part qu'on se trouve avec eux en pleine idylle. » Est-ce là ce que j'ai dit? Je n'accuserai pas M. R. de mauvaise foi; mais décidément s'il convient d'accuser de partialité l'un de nous d'eux, ce n'est pas moi. Les questions les plus importantes que j'ai bien mises en relief, M. R. ne les voit point; j'ai vanté les louables efforts faits, par les protestants du xvi° siècle, pour propager l'instruction populaire; j'ai établi par de nombreux textes que, contrairement à ce que l'on a osé soutenir tout récemment, les huguenots ne furent point des rebelles. De ces questions, M. R. ne daigne pas s'occuper. Avec une serénité tout olympique, il affirme que ma méthode lui déplaît; du bout de sa jeune plume magistrale, il laisse tomber, à mon adresse, des remontrances au sujet de la division << scolastique » de mon livre, des reproches de partialité dont on a vu le bien fondé, et puis... il sourit involontairement. M. R. est par trop prompt à sourire d'autrui.

Les coups d'épingle de M. R. ne font pas plus de mal que ses coups d'épée ou, pour mieux dire ne font de mal qu'à M. R. lui-même. On va en juger. Parmi les << menues remarques critiques » dont M. R. a semé son article, il en est de mesquines; il en est qui ne font nul honneur à sa sagacité; d'autres enfin portent absolument à faux.

Ainsi, selon M. R., j'ai amalgamé deux époques bien distinctes du xvio siècle. Je réponds: c'était mon droit et même mon devoir. Je ne sache pas par exemple que les mœurs militaires des huguenots aient eu occasion de se produire avant la première guerre civile? Pour présenter un tableau tant soit peu complet de la vie des premiers protestants de France, j'ai dû bien en rechercher les diverses manifestations à travers le xvie siècle tout entier. Mais, continue M. R., pourquoi chercher bien avant dans le xvIIe siècle des exemples qui ne peuvent

servir d'argument pour des époques antérieures ? Réponse : Je me suis permis de dire (p. 71) que deux synodes tenus, en 1603 et en 1607, << sur la limite des deux siècles » demandèrent la fondation de bibliothèques; puis encore j'ai suivi un peu au-delà de 1600 la vie de deux hommes dont l'un mourut en 1614 (Casaubon), l'autre en 1623 (Duplessis-Mornay). L'objection de M. R. estelle autre chose qu'une pure chicane ? Selon M. R., Lefèvre-d'Étaples n'aurait pas été nommé professeur à la Sorbonne : selon moi, la question n'est pas résolue encore. Je n'avais pas à la traiter; j'ai bien eu le droit de m'en tenir à l'opinion généralement admise. On pourrait croire en me lisant (dit M. R.), que l'Institution de Calvin aurait paru en français en 1535 et la Bible d'Olivétan en 1536. Réponse1: où M. R... a-t-il lu que je parle de l'édition française de l'Institution? Il y a plus (j'ai écrit p. 27): « En 1535 et 1536 paraissent l'Institution et la première traduction française de la Bible entière par l'ami de Calvin, Robert Olivetan; » il suffisait d'un peu de bonne volonté pour comprendre que dans mon mon texte, 1536, se rapporte au mot le plus rapproché, à l'Institution de Calvin et 1535 à la Bible d'Olivetan. Ainsi s'évanouit la double erreur dont triomphe M. R.. Je me serais contredit à propos des Placards. Réponse: Je n'ai fait que mentionner en passant une hypothèse qu'il est permis de faire, je n'y ai pas insisté. P. 94, après avoir rappelé la devise de Charlotte Arbaleste et pour ne pas répéter trop souvent le nom de son mari, j'ai écrit, au lieu de Duplessis-Mornay : « un autre huguenot, » mettant de la sorte en parallèle Mornay avec Condé dont il est question un peu plus haut. J'eusse compris, à la rigueur, que M. R. me reprochât de n'être pas, en cet endroit, suffisamment clair. Cela ne lui suffit pas. Fidèle à sa manière de me traiter, il s'écrie: « Mais Arte et Marte est précisément la devise de Mornay ! » Il oublie, pour ne pas dire plus, qu'à la page 194 je rappelle plus nettement encore qu'à la page 94 le fait qu'il me reproche d'ignorer. — J'ai écrit Frey au lieu de Fry. Faute grave. Je remercie humblement mon savant critique de me l'avoir signalée. D'autant que de toutes ses observations, c'est presque la seule qui me semble sérieuse. M. R. ne veut pas que soo florins génevois équivaillent à 250 fr., mais environ dix fois cette valeur. Question à débattre avec M. Gaufris qui pourrait bien avoir raison contre M. R. et dont je n'ai fait que citer les paroles, M. R. le sait bien. M. R. s'attache au courage de Calvin. Selon lui, je raconterais précisément le contraire de la vérité, en disant que Calvin ne fit point preuve de lâcheté, lors de la peste qui désola Genève, en 1543. Calvin et ses collègues (dit M. R.) se seraient montrés trop peureux à ce moment 2. Réponse : J'ai renvoyé (p. 151) à l'article Calvin de la France protestante dont le crédit vaut celui de M. R. Or voici les paroles de MM. Haag: «Audin nous peint Calvin comme un pasteur traître à ses devoirs par poltronnerie, lors de la peste qui désola Genève en

1. Voy. sur la date de l'Institution, l'édition de Calvin publiée par le grand théologien de Strasbourg, M. le professeur Reuss, t. III, p. xiv sqq.

2. Trop peureux. Il serait donc permis de l'être un peu?

1543. (Calvin, dit-il, se tint caché à tous les regards dans son habitation, laissant passer le fléau de Dieu et mourir dans le désespoir des âmes pour lesquelles Sadolet eût laissé sa vie.) La mémoire d'Audin est sujette à de bien étranges défaillances ! Il venait lui-même de reconnaître à la page précédente, d'après les registres du Conseil d'État, que Calvin s'était présenté avec les autres ministres << pour aller audit hôpital, » bien qu'il eût été «< perclus, pour ce qu'on en avait faute pour l'Église. » Il oublie également que pendant son séjour à Bâle, quand rien ne l'y obligeait que l'humanité, il avait assisté un malheureux pestiféré à son agonie. Calvin ne redoutait donc pas la mort, et il le prouva en plus d'une circonstance, notamment lorsqu'en 1547 il se jeta seul au milieu du peuple ameuté par les Libertins et par son courage héroïque apaisa la sédition. » Ainsi s'expriment MM. Haag, dont la réputation de loyauté et de savoir est incontestée. M. R. s'appuie sur l'ouvrage de Kampschulte que je n'ai pas sous la main et que je n'ai pu que feuilleter pendant l'impression de mon volume; je ne saurais donc dire ce que valent les arguments du nouvel historien de Calvin, concernant la prétendue poltronnerie de Calvin; je me contenterai de faire remarquer que M. R., toujours sûr de ce qu'il avance, est un peu leste à m'accuser de dire le contraire de la vérité et à accuser Calvin (en la compagnie de M. Audin) d'avoir été trop peureux.

Je crains, M. le Rédacteur, d'avoir abusé de votre patience, bien que j'aie tâché d'être aussi bref que possible. Je ne doute pas un instant qu'après m'avoir lu, vous ne me reconnaissiez le droit de mettre vos lecteurs à même de juger, en connaissance de cause, les étranges procédés critiques dont M. R. a usé envers moi.

Veuillez agréer, etc.

Ad. SCHAEFFER.

RÉPONSE.

Au moment où tant de préoccupations assiégent les esprits de notre pays, où tant de problèmes se débattent, ou tant de douleurs nous déchirent le cœur, ce n'est qu'avec un redoublement de répugnance que je me vois sollicité à prendre part à une polémique littéraire à propos d'un livre et d'un malheureux article, publiés il y a bientôt deux ans et dont la guerre a certes enlevé tout souvenir aux lecteurs de la Revue. Ce qui me paraît tout particulièrement lamentable à cette heure, c'est de procurer à un public français le spectacle d'une discussion de ce genre entre deux écrivains d'Alsace. J'aurais préféré de beaucoup le silence, mais puisque M. Schæffer semblait croire que ce silence était calculé de ma part et presque un aveu tacite de mes calomnies, j'ai dû me résigner à revenir sur de vieilles critiques, qui ont l'infortune de tourmenter encore celui qui en fut l'objet, après les terribles malheurs dont nous avons été témoins et victimes. Je n'ai pas besoin d'ajouter les lecteurs de la Revue me connaissent d'ancienne date — que mes réponses se borneront uniquement à la discussion des faits; je n'ai

aucunement envie de suivre M. S. sur le terrain des personnalités plus ou moins spirituelles et je lui laisse tous les lauriers qu'il y pourrait cueillir.

Il s'agit donc d'un livre de M. le pasteur S. intitulé: Les Huguenots du seizième siècle, au sujet duquel je m'étais permis certaines critiques, fort modérées du reste, et que je finissais par recommander, néanmoins «< comme une lecture utile au >> grand public. >> Je n'étais que médiocrement satisfait du livre, je l'ai dit; M. S. l'est moins encore de mes critiques. C'est son droit, mais là où il cesse d'exercer un droit légitime, c'est quand il essaye de faire croire aux lecteurs que je les ai sciemment induits en erreur sur l'ouvrage que j'examinais pour leur profit, que j'ai tronqué ou falsifié les citations que j'en faisais, que j'ai relevé des fautes qui n'en sont pas, en un mot que j'ai manqué à tous mes devoirs de critique. Examinons ces reproches de plus près et voyons ce qu'ils peuvent valoir.

1. M. S. me reproche d'avoir dit que son ouvrage «n'était pas scientifique. » - Je ferai remarquer tout d'abord qu'il cite inexactement mes expressions; j'ai dit seulement que son but n'était pas purement scientifique. Dans ces termes je ne faisais qu'exprimer une vérité qui saute aux yeux de tout lecteur de son ouvrage, et qu'il ne peut contester après avoir écrit dans sa préface, qu'il le publiait << pour >> aider au triomphe de la plus excellente des causes, de l'affranchissement des >> consciences et des cultes. >>>

2. M. S. me reproche de vouloir limiter le genre historique et l'empêcher d'écrire l'histoire à sa manière. Loin de moi cette pensée, et je serais heureux de le voir serrer de plus près ces «< historiens pour le moins aussi illustres » que moi qu'il m'oppose; j'ai voulu seulement dire dans mon article M. S. me force de souligner maintenant - que le genre historique, quoique « vaste entre tous » ne comportait pas plus qu'un autre le genre ennuyeux.

3. M. S. me reproche d'avoir parlé de la division scolastique de son livre. Cependant il dit quelques lignes plus loin : «< confondant des subdivisions toutes >> secondaires avec les subdivisions essentielles, qu'il ne se donne même pas la >> peine de reproduire, etc. » Il y a donc des divisions, des subdivisions essentielles, des subdivisions secondaires, etc.? Et ce n'est point là de la scolastique dans un livre d'histoire? J'avais voulu épargner cette nomenclature au lecteur, mais puisque M. S. y tient, voici le sommaire de la deuxième partie; on jugera plus aisément qui de nous deux a raison.

SECONDE PARTIE.

LA VIE DES HUGUENOTS.

Chapitre I. Jugements d'ensemble.

1. Mœurs des catholiques.

2. Mœurs des huguenots.

Chapitre II. Détails.

1. Vertus des huguenots.

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