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perfectionnements notables, sans négliger ce qui concerne l'histoire de la langue elle-même. Toute cette partie doit être sommaire et ne donner que l'essentiel. Dans la seconde partie on étudiera en détail les auteurs et leurs œuvres, mais cette fois dans l'ordre des genres, en ayant soin d'apprécier les éditions, les commentaires, de résumer les divers travaux auxquels chaque œuvre a donné lieu.

Comme nous l'avons dit, ce plan est celui d'un cours professé à l'université, d'un de ces cours de quatre à six heures par semaine et qui se font parfois en deux semestres, où le maître n'expose pas simplement avec un ton d'autorité indiscutable son opinion personnelle, mais s'efforce d'éveiller le goût de nouvelles recherches, heureux s'il réussit à faire des élèves qui le dépassent un jour. Les avantages de ce plan sont donc d'une nature essentiellement pédagogique. Il sert surtout à mettre à la portée d'une jeunesse déjà préparée par de fortes études générales tous les matériaux, tous les instruments de travail accumulés par plusieurs générations de savants. Mais répond-il bien à l'idée que nous nous faisons actuellement d'une histoire de la littérature? Nous ne le pensons pas.

La méthode proposée par Wolf a eu sa grande utilité en un temps où il s'agissait surtout d'apporter de l'ordre, de la clarté dans un véritable fatras d'érudition indigeste et souvent sans valeur. Les deux Histoires de la Litté– rature latine entre lesquelles jusqu'à ces derniers temps la vogue s'est partagée en Allemagne (celles de Bæhr et de Bernhardy) ont suivi de plus ou moins près le plan de Wolf. Ce sont des traités pleins de savoir, d'une érudition luxuriante, mais ce ne sont point des histoires. Nous verrons que le nouvel ouvrage de ce genre qui entre en concurrence avec les nouvelles éditions de ses devanciers ne s'écarte pas autant qu'on le croirait au premier abord de la tendance suivie jusqu'ici. Ce sont tous des manuels à l'usage de ceux qui veulent étudier en détail les diverses questions relatives à la philologie, à la critique et à l'histoire de la littérature chez les Romains. De pareils livres sont encore nécessaires et le seront tant que la science sera en progrès. Ce qui prouve qu'ils répondent à un besoin réel, c'est le nombre des éditions qu'ont eues les livres de MM. Baehr et Bernhardy. Et quoi de plus naturel? Depuis le commencement du siècle la philologie a fait des progrès énormes. On est arrivé à des vues plus justes et plus complètes sur la langue latine; les textes des auteurs ont été améliorés; les inscriptions et les manuscrits, en contribuant à ces résultats, ont éclairci des points obscurs, ont permis de réfuter des erreurs d'autant plus sérieuses qu'elles avaient l'opinion générale en leur faveur; l'histoire elle-même a été mieux comprise. Tout ce progrès n'a été réalisé qu'après ces discussions prolongées qui sont la vie même de la science et qui ne paraissent subtiles et oiseuses qu'aux esprits superficiels. Ce n'est pas à dire que, dans le nombre, il ne se trouve beaucoup de livres et de dissertations sans valeur, qui déconcertent les travailleurs les plus sérieux. Il existe bien des travaux qui ont eu de la réputation et ont fait autorité et qu'on ne doit plus citer aujourd'hui et, chose remarquable,

on voit parfois les mêmes gens qui méprisent comme trop subtils des ouvrages récents, s'appuyer sans hésitation sur des compilations indigestes, mal ordonnées et dépourvues de critique des xvii et xvin siècles. Si, à mesure qu'on avance, on ne se débarrassait pas de tout ce qui est suranné, il deviendrait bientôt impossible d'aller plus loin. Cette surabondance de matériaux stériles, comme les appelle justement Bernhardy, est une des causes qui rebutent le plus ceux qui cherchent à se faire des idées générales ou qui auraient le goût d'une recherche approfondie sur un sujet spécial. Il serait donc assez difficile de dominer la masse entière des travaux modernes et anciens, si l'on n'avait d'abord des guides qui vous indiquent tout ce qui a été fait et ce qui, dans le nombre, est vraiment digne d'attention. C'est cette tâche qu'ont entreprise MM. Baehr et Bernhardy, leur but est, tout en donnant leur opinion sur l'histoire de la littérature latine, del renseigner leurs lecteurs sur tout ce qui intéresse cette histoire et de résumer les nombreux travaux spéciaux qui y ont trait. La nature même de pareils traités exige qu'on les tienne toujours au courant de la science et nécessite de fréquents remaniements. Une circonstance qui a merveilleusement favorisé les deux auteurs et leur a permis d'atteindre le but qu'ils s'étaient proposé, c'est qu'ils se trouvent depuis de longues années à la tête de deux des plus riches des riches bibliothèques de l'Allemagne.

M. Baehr est bibliothécaire de l'université de Heidelberg. Il a sous sa garde la célèbre collection littéraire de l'Augusta Palatina. La première édition de son Histoire de la Littérature latine, qui remonte à 1828, comme la seconde (1832), ne formait qu'un seul volume. La troisième (1845) en avait deux. La quatrième, que nous annonçons aujourd'hui, en a trois. C'est, au point de vue bibliographique, le plus complet des ouvrages sur la matière; ce point de vue a été le principal objectif de l'auteur. L'introduction donne les notions générales sur l'histoire de la langue, résume le caractère particulier des six périodes qu'il admet, et se termine par l'indication des sources. Parmi ces sources, M. Baehr compte les inscriptions sur lesquelles il fournit des renseignements très-complets; néanmoins il nous paraît que ces renseignements eussent, à part la partie purement bibliographique, été mieux placés à la fin de chacune des périodes.

Cette introduction forme le premier livre de l'ouvrage et compte 148 pages. Le second livre, comprenant la poésie, forme le reste du premier volume (641) pages). Le second et le troisième volume, que nous n'avons pas encore reçus, sont consacrés en entier au troisième livre, qui contient l'histoire de la prose. Les livres sont divisés en chapitres qui chacun traitent d'un genre, et les chapitres en paragraphes; des notes, très-nombreuses, sont placées, non au bas des pages, mais à la suite de chaque paragraphe. Un ou plusieurs de ces derniers font, en tête de chaque chapitre, l'histoire générale du genre et résument ses particularités; puis vient la revue des auteurs par ordre chronologique; suivant leur importance, ils font l'objet de plusieurs paragraphes ou d'un seul, ou même sont réunis à plusieurs sous un seul chef. M. Baehr pousse la conséquence jusqu'à répartir entre les différents genres ce qu'il a à dire d'un même poète. Ainsi, par

exemple, pour savoir tout ce qu'il dit sur Ovide, il faut chercher au chapitre V, Narration poétique (pp. 441-457), au chapitre VI, Poésie didactique (pp. sos à $12), enfin au chapitre XII, Elégie (pp. 780-792). Il ne traite que de la littérature profane. Les poëtes chrétiens, les pères de l'Église, font l'objet de deux volumes à part qui ne sont pas reproduits dans cette édition, non plus que le volume sur la littérature romano-chrétienne du temps de Charlemagne 2.

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Cet ouvrage a sur ses rivaux l'avantage d'être le répertoire le plus complet; un véritable compendium de tout ce qui a été jamais écrit de bon et de mauvais sur les auteurs et leurs œuvres. Mais il manque un peu de critique. Essentiellement préoccupé de rapporter toutes les opinions, M. Baehr semble parfois ne vouloir pas accentuer la sienne et laisse à ses lecteurs le soin de décider. Même les paragraphes consacrés à l'appréciation des auteurs latins, quoique pleins de bon sens, sont ternes et manquent d'originalité. Cette édition paraît être toutà-fait au courant des derniers travaux et l'on ne saurait trop louer l'auteur, qui est déjà dans un âge très-avancé, d'avoir voulu jusqu'au bout rester au niveau des publications les plus récentes. En l'examinant en détail, on est frappé du grand nombre d'additions qui ont été faites, tant dans le texte que dans les notes. Du reste, ceci ressort déjà de l'augmentation des volumes.

M. Bernhardy est bibliothécaire de l'université de Halle. Son Esquisse de la Littérature romaine, qui parut pour la première fois en 1830, eut pendant longtemps moins de succès que l'Histoire de son devancier, ce qui tenait en partie au style, que les Allemands eux-mêmes trouvent embarrassé et diffus, en partie aussi à ce qu'il était moins complet au point de vue bibliographique. La seconde édition ne parut qu'en 1850, vingt ans après la première et cinq ans après la troisième édition de Baehr. L'auteur y avait apporté tant d'améliorations (les dimensions en étaient doublées : 705 pages au lieu de 337) que c'était en réalité un livre nouveau. A eux seuls, les résultats acquis par les savants après vingt années d'un travail acharné et tout germanique eussent amené ce changement. Mais en outre M. Bernhardy avait accompli lui-même dans l'intervalle des travaux qui l'avaient mis à même de reprendre son œuvre sur des bases nouvelles. Il avait écrit son Histoire de la Littérature grecque 3, ce qui le rendait bien plus apte à comprendre et à apprécier à sa juste valeur les œuvres des auteurs latins qui, pour la plupart, se sont inspirés de modèles grecs. En outre, au milieu d'une grande activité professorale et de nombreux travaux scientifiques,

1. Geschichte der ræmischen Literatur. Supplementbænde, I: Die christlichen Dichter und Geschichtschreiber, 1836. — II: Die christlich-ramische Theologie, 1837.

2. Ib. Supplementband III: Geschichte der ræmischen Literatur im karolingischen Zeitalter, 1840.

1. Grundriss der griechischen Literatur. Halle, 1836 à 1845, 2 vol. in-8°. La 3* éd. Halle, 1861-1867, comprend le premier volume Histoire intérieure et la première partie du second (Poésie); la deuxième en est encore à la 2° édition (1859). Le troisième volume, qui devait contenir l'histoire de la prose, n'a jamais paru. Une histoire complète de la littérature grecque est donc encore à faire.

il avait amassé patiemment les matériaux de sa nouvelle Esquisse, vérifiant par lui-même les moindres questions qu'il avait à traiter et relisant avec soin tous les écrivains latins. C'est ainsi qu'il nous a donné un livre qui, comparé à celui de Baehr, offre les avantages d'une étude approfondie des sources, d'une critique sagace et d'une puissante originalité.

Depuis lors le succès de l'ouvrage alla grandissant et bientôt dépassa celui de l'Histoire de Baehr. Les éditions se succédèrent rapidement (la 3° en 1856, la 4° en 1865); celle que nous annonçons est la cinquième. Ce livre a d'ailleurs considérablement gagné, même sous le rapport du style et, à un plus haut degré encore que son devancier, l'auteur mérite l'admiration du public pour le soin touchant avec lequel, jusqu'à un âge où le besoin de repos doit se faire sentir, il s'est astreint à corriger dans leurs moindres détails le fonds comme la forme. Presque partout, et nous l'avons minutieusement vérifié, les phrases ont été, d'une édition à l'autre, remaniées, allégées, rendues plus alertes et plus précises. Nous ne saurions assez insister sur ce labeur autocritique. Voilà ce qu'en Allemagne, où le cliché n'est pas encore tout puissant, on appelle faire une nouvelle édition.

L'Esquisse de la Littérature romaine est donc un excellent manuel. Les jugements que porte M. Bernhardy, s'ils ne peuvent toujours être admis sans discussion, éveillent l'attention sur les points capitaux et provoquent des réflexions fructueuses. La partie bibliographique est moins chargée que dans Baehr: les travaux dénués de toute valeur sont passés sous silence; l'auteur a judicieusement élagué un grand nombre de citations inutiles. Mais il donne une place assez large à la discussion et à la polémique; par ce côté il offre un intérêt tout particulier et rend vraiment service à ceux qui se proposent de faire des recherches ou des études spéciales. Après l'avoir lu, si l'on n'est pas convaincu, on est au moins au courant de la question.

L'auteur s'est placé, plus directement encore que M. Baehr, sous les auspices de Wolf, dont il reproduit la préface et dont il adopte la division en deux parties. Mais il nous semble qu'il a dépassé les proportions que Wolf assignait à la première, d'autant plus qu'il la fait encore précéder d'une longue introduction. Cette introduction de 161 pages comprend: 1° la caractéristique générale de la littérature romaine, les rapports entre la langue et la littérature et l'histoire de l'éducation et de l'instruction chez les Romains; 2o l'histoire des études relatives à la littérature latine ou des différentes écoles de latinistes. Puis vient la première partie intitulée Histoire intérieure et contenant en 222 pages l'exposé chronologique. Ici l'auteur distingue : 1° les premiers essais ou origines; 2o la première période subdivisée en littérature archaïque, littérature cicéronienne et littérature du siècle d'Auguste; 3° la deuxième période embrassant les deux premiers siècles de notre ère; 4o la troisième période allant jusqu'à l'an 500; enfin so la littérature latine du moyen-âge (Nachleben).- La seconde partie, sous le titre d'Histoire extérieure, passe en revue les auteurs dans l'ordre des genres. Mais les subdivisions sont moins nombreuses que dans Baehr et chaque auteur

est complétement étudié sous le genre auquel il appartient plus spécialement. — Les notes, abondantes en citations in extenso, et où M. Bernhardy a condensé la critique détaillée des diverses opinions, se trouvent comme dans Baehr à la suite de chaque paragraphe.

Malgré le succès obtenu par les deux ouvrages dont nous venons de parler, M. Teuffel a pensé qu'il y avait autre chose à faire et a entrepris une nouvelle Histoire de la Littérature latine. Son travail a déjà reçu des savants un accueil très-favorable. Il a adopté un plan nouveau, qui consiste essentiellement à renverser celui de Wolf. La première partie (Allgemeiner und sachlicher Theil) traite des genres, la seconde (Besonderer und personlicher Theil) fait l'histoire de la littérature par périodes en exposant la vie de chaque auteur et en appréciant ses œuvres. Les divisions de cette partie sont les suivantes : I, Origines (Vorgeschichte); II, Première période d'Andronicus à Sylla (670 de Rome); III, Deuxième période: l'âge d'or; époque de Cicéron et d'Auguste; IV, Troisième période époque impériale. Quant aux subdivisions, elles ne sont point établies d'après un système uniforme: tantôt la poésie est honorée d'un soustitre à part, tantôt les poètes sont mêlés avec les prosateurs, ce qui se justifie par l'ordre chronologique qui admet des groupements divers suivant le caractère particulier de chaque époque et l'importance relative de chaque genre.

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Pas plus que ses devanciers, M. Teuffel n'a voulu faire un livre à lire; c'est encore un manuel à consulter. Loin de profiter des avantages qu'offrait l'ordre chronologique pour un récit suivi, disposé avec art, l'auteur s'est contenté de mettre en tête des subdivisions principales des aperçus généraux qui doivent donner les vues d'ensemble, la philosophie de l'histoire littéraire et ses rapports avec l'histoire. Ensuite le texte est, encore plus que dans Baehr et dans Bernhardy, morcelé en tout petits paragraphes qui n'ont parfois que deux ou trois lignes. Le texte, imprimé en caractères plus gros, est suivi de notes en caractères fins et serrés, souvent très-nombreuses, numérotées avec soin, mais sans qu'on trouve dans le texte les numéros de renvoi correspondants. C'est évidemment un cours, où le professeur a condensé en quelques phrases nettes et précises la substance principale, phrases qu'il a dictées à ses élèves lentement et en insistant sur chaque mot. Les notes où il donne des preuves, des citations, où il motive, sans polémique d'ailleurs, son opinion, ont été exposées plus rapidement; c'étaient plutôt des séries d'observations détachées qu'un développement du texte principal et chaque auditeur en écrivait ce qu'il pouvait, au courant de la plume.

Plus tard, M.Teuffel a publié son cours et lui a conservé sa physionomie primitive qui s'observe aussi bien dans la forme que dans le fonds. Le style sent tout-àfait l'école. L'auteur professe avec clarté, avec autorité, mais non sans une certaine sécheresse. Au point de vue scientifique, son œuvre est presque sans reproche. Elle est parfaitement au courant des dernières publications. On y trouvera, partout où la chose était possible en l'état actuel de la science, l'indi

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