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nales analogues à amamini. Il faut convenir que la langue aurait réparti ces suffixes avec une rare symétrie, puisqu'elle aurait fait amo-r en regard de amo, ama-tur en regard de amat, ama-mur pour faire pendant à amamus. Et la troisième personne du pluriel, quel est son suffixe? nous ne pouvons qu'approuver M. Scherer, quand il ajoute qu'il ne veut établir aucune opinion nouvelle 1.

Avant d'exposer l'opinion de M. Corssen sur le passif latin, mentionnons rapidement une explication qui a été, l'année dernière, présentée simultanément par M. Benfey à Goettingue et par M. Whitley Stokes à Calcutta. L'r des formes. en question proviendrait d'un verbe auxiliaire, à savoir du verbe ar «< aller ». Il a été rendu compte dans la Revue 2 du travail de M. Benfey et l'on a montré combien son hypothèse souffre de difficultés. Nous n'avons aucune trace en latin d'un verbe auxiliaire correspondant au sanscrit ar mais en supposant que cet auxiliaire ait existé dans une période antérieure, il se joindrait au verbe principal selon un mode tout-à-fait inusité, puisqu'au lieu de se souder à un participe ou à un infinitif ou à un thème verbal, il conserverait devant lui les désinences des différentes personnes (amat-ur, amam-ur, amant-ur) et que luimême resterait invariable.

M. Corssen maintient l'explication de Bopp. Il admet dans le passif latin la présence du pronom réfléchi: les scrupules de Mommsen et de Scherer, au sujet des dialectes italiques, sont fort exagérés. Non-seulement nous voyons que l'osque affaiblit en z un s placé entre deux voyelles, ce qui est un acheminement vers le changement en r, mais l'ombrien oppose la forme erek à l'osque izik. Nous avons, en outre, au parfait du subjonctif ombrien les formes benurent, fakurent, ambrefurent, exactement comme on a en latin venerint, fecerint, ambiverint 3. En osque, nous avons le nom propre Niumeriis à côté de Niumsieis. Quant au changement de s en r opéré par l'ancien irlandais, il faut quelque courage pour affirmer que ce changement est contraire à la phonétique celtique.

Nous approuvons moins M. Corssen quand il rapproche les passifs italique, celtique et slave, pour en inférer que cette formation appartient à la période reculée où ces trois rameaux étaient encore réunis. Comme on ne trouve en grec rien qui ressemble au latin lætor, vehor, on peut être tenté de croire qu'ici l'auteur oublie ce qu'il a admis un peu plus haut (p. 26 et 45), à savoir que les langues italiques sont particulièrement apparentées avec le grec. Mais il n'en est rien : voici comment M. C. se tire de cette difficulté. Il y aurait eu une période où ces langues possédaient chacune deux passifs, l'un formé comme ouat, l'autre comme vehor: tandis que le grec a perdu le passif de la seconde espèce, le latin, le celtique, le slave ont laissé disparaître celui de la première.

Observons d'abord que M. Corssen aurait pu aussi bien ajouter encore le rameau germanique, car nous avons en ancien norrois, en suédois et en danois

1. Zur Geschichte der deutschen Sprache, p. 225.

2. Voyez le n° du 20 janvier 1872.

3. Journal de Kuhn. II, 23.

un passif en s'. Mais la formation d'une conjugaison réfléchie à l'aide du pronom réfléchi annexé au verbe, et le changement de la voix réfléchie en voix passive, sont des faits si naturels et si fréquents dans toutes les langues, qu'il n'est point nécessaire d'admettre une parenté d'origine. Nous renvoyons à ce sujet M. C. au travail de C. von der Gabelentz, Ueber das passivum, où il verra que les idiomes les plus divers, comme, par exemple, le magyare et le brésilien, se rencontrent sur ce point.

Partant de l'idée que le passif latin est très-ancien, M. C. établit la série suivante: *vehomi-se, 'vehom-se, 'vehon-se, "veho-se, *veho-r; à la seconde personne, vehesi-se, 'vehesi-s, 'veheri-s. On voit qu'au lieu de considérer l'i de veheris comme une voyelle de liaison, il en fait l'ancien i de vahasi. Et à la troisième personne? l'u de vehitur n'est point, selon M. C., une voyelle euphonique comme dans sumus ou Alcumena : c'est l'altération d'un ancien a, car aussi bien qu'on disait vagha-ti «< il transporte » on pouvait dire vagha-ta, puisque la désinence de la troisième personne n'est pas autre chose que le pronom démonstratif ta. Ainsi s'explique l'a des formes celtiques berthar, scribthar, et l'e des formes ombriennes et osques vincter, herter. Nous voici donc ramenés à la période indoeuropéenne et même au-delà, car jusqu'à présent, pour les désinences simples mi, si, ti, nulle part on n'avait découvert trace d'une autre voyelle que l'i. Nous ne pensons pas que les déductions de M. Corssen convaincront beaucoup de lecteurs. L'i de veheris aussi bien que l'u de vehitur, vehuntur, se prononçait probablement comme un son fort indistinct, et c'est à cause du caractère mal défini de cette voyelle qu'en osque et en ombrien elle est transcrite par un e. A l'intérienr de la langue latine, nous voyons l'orthographe varier ainsi nous avons nancitor dans la loi des Douze Tables 2 et utarus sur une inscription (C. I. L. 1267). L'a des formes celtiques est probablement une autre représentation de cette voyelle neutre.

Tandis que par moments, ainsi qu'on vient de le voir, M. Corssen réclame pour la langue latine des formes d'un archaïsme impossible, à d'autres instants il lui fait tort de certaines formes vraiment anciennes qu'elle a conservées. Dans la conjugaison, le latin n'a plus guère que des verbes insérant une voyelle (peu importe ici qu'on l'appelle voyelle de liaison ou voyelle caractéristique) entre la désinence et la racine ainsi leg-i-t, am-a-t, mon-e-t, aud-i-t. Ces verbes, qui forment ce que Bopp appelle la première conjugaison principale, sont d'un âge relativement récent ils correspondent aux verbes grecs en . Mais le latin a pourtant gardé quelques restes de la seconde conjugaison principale, c'est-à-dire quelques verbes qui joignent immédiatement la désinence à la racine; tels sont es-t (il est), fer-t, vul-t, es-t (il mange). Ce qui prouve que ces formes sont vraiment anciennes, c'est qu'elles répugnent aux lois phoniques du latin classique, qui n'a pas de mots terminés

1. Grimm, Gr. all. (IV. p. 41 et s.).

2. Festus (éd. Müller), p. 166.

en st, rt, lt. Le nombre de ces formes est très-restreint, et nous voyons même qu'à d'autres personnes, comme vol-u-mus, s-u-mus, ed-i-mus, fer-i-mus, l'analogie a déjà fait sentir sa puissance. Par un renversement des faits qu'il est difficile de s'expliquer, M. Corssen suppose que fert est pour ferit, est pour edit et vult pour volit (p. 247 et 545). Mais on ne comprendrait pas pourquoi la langue aurait contracté ferit en fert, quand elle a gerit, terit, serit, ou volit en vult quand elle a molit, colit, ou edit en est quand elle a dividit, cadit, fodit. Une fois la voyelle de liaison introduite dans une langue, elle n'en sort plus si facilement, car elle rend la conjugaison beaucoup plus commode. C'est dans le sens des verbes comme gerit, et non dans la direction des verbes comme fert, que coule le fleuve de la langue latine. Pourquoi d'ailleurs refuser au latin ces restes de la conjugaison primitive, quand nous voyons qu'il s'en est également conservé en gothique et en ancien slave?

Un des mérites les plus incontestables de M. Corssen, c'est la façon dont il analyse et décompose les suffixes. Personne n'a mieux montré que lui comment les suffixes que les partisans de la participial-theorie considèrent comme simples, ont été formés par accumulations successives. On est d'autant plus étonné de le voir quelquefois rétablir la confusion là où lui-même avait fait l'ordre. Ainsi il identifie les suffixes tut et tät, en sorte que juventutem ne serait qu'une altération de juventātem mais la première partie du suffixe tu-t (plus anciennement tü-ti) est probablement la syllabe tva ou tvā qui a donné en grec la première partie du suffixe cuvn. Il n'y a pas plus de raison pour identifier la formation des mots comme caducus et comme merācus, comme velox et comme edax.

L'auteur regarde les nominatifs cucumis, cucumer, cinis, ciner, comme de simples variantes de prononciation. Cependant, le mot cucumis a deux déclinaisons complètes : l'une sur ignis, l'autre sur passer. A côté du nominatif cinis nous avons le grec évig qui est un thème en i: on sait qu'il n'est pas rare de voir le nominatif présenter un autre thème que les cas obliques; nous citerons les mots iter, senex. M. Corssen a été conduit à voir dans asser « planchette un mot composé de ad et serere 2, tandis qu'en réalité il y faut voir une forme sœur de assis« ais, planche, tablette, mais revêtue d'un suffixe différent. L'ancienne langue latine avait aussi les doubles formes bovis et boveris, suis et sueris, Jovis et Joveris.

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Une habitude obstinée de M. Corssen et de beaucoup d'autres philologues allemands, c'est de chercher des verbes dans les suffixes. Ainsi poculum, ludicer, lavacrum renferment la racine kar « faire » poculum c'est «< ce qui fait boire ». Tabula, creber, saluber, conciliabulum contiennent le verbe bhar « porter ». Titulus, litera, pater, dator sont formés à l'aide du verbe tar «< traverser » 3. On s'explique d'autant moins que M. C. partage cette erreur, qu'il analyse fort bien les suffixes simples co, lo, bo, etc. M. C. déclare quelque part qu'il trouve ces syllabes

1. Excepté ast, que M. Corssen explique d'une façon très-vraisemblable comme étant pour at sed. 2. P. 194 et s.

3. P. 192.

pronominales trop vides pour donner des suffixes à significations si différentes : mais précisément parce qu'elles sont vides, elles n'ont pas de peine à recevoir les acceptions variées que notre esprit y fait entrer. Les langues qui, comme l'allemand, se servent de suffixes pleins tels que heit, thum, haft, sont obligées de les vider avant de pouvoir en faire un libre usage.

D'après ce que nous venons de dire, nous ne pouvons qu'approuver M. C. quand il se refuse à voir le verbe stare dans l'adjectif justus, ainsi que le propose M. Pott. Mais pourquoi, un instant après, divise-t-il justitia de cette façon : ju-sti-t-ia 2? Nous avons ici le suffixe secondaire tia, comme dans lætitia, tristitia. C'est le composé justitium qui renferme le verbe stare, et l'on s'en aperçoit bien par le sens, qui est : «< suspension de la justice, fermeture des tribunaux. » M. C. aurait été plus autorisé à chercher un composé dans le mot augur, qu'il met sur la même ligne que fulgur, et qu'il divise ainsi aug-ur. Il est difficile, quand on songe aux fonctions des augures, de ne pas chercher dans ce mot le nom de l'oiseau : au-gur, ainsi que l'a déjà reconnu M. Pott, est formé comme au-spex, au-ceps 3. La seconde partie est un nom verbal tiré du verbe "gusere, gurere, en sanscrit guš, en grec yeuw, en gothique kiusan, dont le sens est. << éprouver, essayer ». Le verbe gurere est sorti de la langue latine: mais il a laissé le substantif gustus qui veut dire « l'essai, l'épreuve ».

A propos des adverbes comme antea, antehac, antidhäc, postea, interea, præterea, propterea, quapropter, M. C. discute une question de phonétique et de syntaxe 4. Bücheler et Ritschl supposent que les prépositions ante, post, inter, præter, propter ont autrefois gouverné l'ablatif : eā, hāc, quã seraient donc des ablatifs féminins régis par la préposition avec laquelle ils sont unis. Selon M. C., eā, hāc, quā seraient des accusatifs pluriels neutres ayant conservé la voyelle longue, comme les neutres védiques. Nous ne pouvons entrer dans le détail de cette discussion: contentons-nous d'indiquer une troisième explication qui aurait l'avantage d'être à la fois conforme aux lois phoniques ordinaires et aux règles habituelles de la syntaxe. Nous voyons par l'exemple de abhinc, interim, adhuc, deinde, antequam, avec quelle facilité le latin combine entre eux deux adverbes. Le même fait a lieu dans toutes les langues : je citerai seulement le français jusque-là, l'allemand vorher. On ne dira pas que dans ces mots le second terme est régi par le premier : quoiqu'il ne soit pas impossible de découvrir dans le second terme une flexion casuelle, pour peu qu'on y applique le microscope étymologique, cependant la vérité est que cette flexion était depuis longtemps pétrifiée quand on a assemblé les deux parties du composé. La même chose a dû avoir lieu pour les mots latins en question: nous voyons que hāc, eã, quã sont employés comme adverbes, même à l'état simple. Ce n'est pas ici le moment d'en examiner l'origine.

Nous nous séparons à regret d'un livre qui renferme tant de faits intéressants pour l'histoire de la langue latine. Ajoutons seulement qu'un index analytique et un index très-complet des mots cités facilitent singulièrement l'usage de ces deux volumes.

M. B.

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64.

Histoire de la science politique dans ses rapports avec la morale, par Paul JANET, membre de l'Institut, professeur à la Faculté des lettres de Paris. Seconde édition revue, remaniée et considérablement augmentée. Ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales et politiques et par l'Académie française. Paris, Ladrange, 1872. In-8°, I, xl et 531 p. II, 747 P. Prix 16 fr.

Cet ouvrage de M. Paul Janet est la seconde édition d'un mémoire couronné par l'Académie des sciences morales et politiques en 1853 et publié en 1859 sous le titre «< Histoire de la philosophie morale et politique dans l'antiquité et dans les temps modernes. » M. J. voyant que la philosophie politique n'était pas liée à la philosophie morale dans les temps modernes comme dans l'antiquité a pensé avec raison que son ouvrage aurait plus d'unité et serait en même temps plus complet si l'histoire de la science politique en devenait le centre et le but. En conséquence, il a supprimé l'analyse et la discussion des théories de morale qui n'avaient aucune relation avec les théories politiques, et il a ajouté une introduction sur les rapports de la morale et de la politique, un chapitre préliminaire sur la philosophie morale et politique de l'Orient, des développements sur les origines de la morale en Grèce et sur Socrate, sur l'ancien et le nouveau Testament, sur la querelle du sacerdoce et de l'empire, sur la philosophie politique au XVIIe siècle, et enfin un dernier chapitre sur les théories politiques des économistes et sur l'idée du progrès dans Turgot et Condorcet.

Dans le premier livre, qui traite de la philosophie politique dans l'antiquité, M. J. donne avec raison la principale place à Platon et à Aristote, qui représentent à peu près complètement ce que les Grecs et les Romains ont dit de plus important sur ce sujet. Cependant il aurait pu tenir compte des discussions des Epicuriens et des Académiciens sur le principe de la justice, qui ne sont pas sans intérêt. L'importance que les écrits de Plutarque ont eue au xvie siècle et encore au XVIIIe, leur méritait une place dans l'histoire de la philosophie politique.

Je n'ai aucune objection essentielle à adresser à M. J. sur l'exposition et l'appréciation des idées de Platon et d'Aristote. Il exagère peut-être l'empirisme d'Aristote et me paraît trop accorder aux préjugés vulgairement répandus sur l'emploi qu'Aristote aurait fait de la méthode d'observation et d'analyse en morale et en politique. Au fond, sa méthode est celle de Platon, la méthode dialectique qui marche à la vérité par la discussion des opinions plausibles. Aristote n'a pas dit et ne pouvait pas dire que « le vrai principe en toutes choses, c'est le fait » et que « si le fait lui-même était toujours connu avec une suffisante clarté, il n'y aurait pas besoin de remonter aux causes. » Au contraire, Aristote ne reconnaît le caractère scientifique qu'à la connaissance qui est en possession des causes et des raisons des faits; et ce caractère, il le refuse à la morale et à la politique (Eth. Nicom. I, 1. 1094 b. 19 et suiv.), parce qu'elles ne portent pas sur le nécessaire, mais sur ce qui a lieu la plupart du temps. Il faut donc, suivant lui, se contenter d'y montrer la vérité en gros, sans rigueur; on ne doit pas demander une exactitude que ne comporte pas la nature du sujet, ni faire comme ceux qui se contenteraient de raisonnements plausibles en

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