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tation n'était pas permise. Voici d'où venait notre défiance. On rencontre souvent, dans les papyrus, le prix de l'artabe de blé (39 litres 4) fixé à plus de trois cents drachmes; en prenant la moyenne de tous les prix actuellement connus, on arrive environ à 286 drachmes. Avec le système de Letronne, l'hectolitre de blé, en Égypte, c'est-à-dire dans un pays producteur par excellence, valait, sous les Lagides 8 f. 42 (avec le système de M. Droysen, la drachme d'argent valant o f. 73 et la drachme de cuivre o f. 026, l'hectolitre eût coûté 18 f. 87). Or, dans l'Attique, pays de consommation, au ive siècle, en temps ordinaire, l'hectolitre variait de 3 f. 59 à 5 f. 38. A Olbia, sur les bords du Pont-Euxin, au 11° siècle, c'est-à-dire à l'époque où se placent beaucoup de papyrus, le blé se vendait ordinairement 3 f. 59 l'hectolitre; à 7 f. 18, le prix est déclaré excessif. Le marché de l'Égypte eût été promptement abandonné par les Grecs, s'ils avaient été obligés de payer 8 f. 42 ce qu'ils trouvaient facilement à Olbia pour 3 f. 59.

Par d'heureux raisonnements que nous ne pouvons pas reproduire ici, M. Lumbroso a été amené à reprendre une opinion que MM. Bernardin Peyron et Vasquez Queipo avaient déjà indiquée, mais sans la justifier d'une façon satisfaisante. Il établit entre les deux monnaies, non pas le rapport de 1 à 30 (A. Peyron) ni le rapport de 1 à 60 (Letronne), mais bien le rapport de 1 à 120. D'un autre côté, il évalue la drachme d'argent à o f. 80 (6/7 de la drachme Attique), ce qui met la drachme de cuivre à o f. 0066. Ce chiffre nous conduira encore à des résultats assez élevés puisque l'hectolitre de blé sera payé en Égypte au prix moyen de 4 f. 79, supérieur au prix courant d'Olbia. Un bœuf sera vendu en Égypte 140 f., tandis qu'à Athènes, en 374, 109 bœufs choisis pour des sacrifices coûtèrent en moyenne 71 f. 59 chacun. Nous ne croyons donc pas que la fixation à o f. 0066 de la valeur de la drachme de cuivre soit audessous de la réalité, et en adoptant cette base pour les calculs relatifs à l'Égypte, on arrivera à des résultats plus vraisemblables que ceux qui ont été obtenus par Letronne ou A. Peyron.

Nous ne pouvons pas songer à analyser le livre de M. Lumbroso; les ouvrages de ce genre se composent d'une multitude de détails dont chacun peut avoir sa valeur, mais qu'il est difficile de détacher les uns des autres. Nous insisterons seulement sur un point de vue spécial que l'Académie des inscriptions avait indiqué aux concurrents et que M. Lumbroso a volontairement négligé.

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Dans le programme rédigé par l'Académie, les candidats étaient invités à << montrer ce que les rois grecs ont conservé des anciennes lois de l'Égypte et >> ce qu'il ont introduit des institutions de la Grèce et de la Macédoine. » M. Lumbroso a disséminé dans son Mémoire quelques éléments du tableau que demandait l'Académie; mais il ne s'est pas imposé la tâche de les réunir afin d'en former un ensemble. Nous allons essayer de combler brièvement cette lacune

de son travail.

1. Nous ne citons pas de textes à l'appui de ces chiffres; nous sommes obligés de renvoyer le lecteur à notre article sur la valeur et les prix à Athènes dans le Dictionnaire d'archéologie de M. Daremberg.

Tout le monde est d'accord pour reconnaître que la politique des Lagides fut de respecter autant que possible les lois des indigènes. « Loin, dit M. Mariette, >> d'imposer aux vaincus des usages étrangers qui n'auraient fait qu'entretenir >> chez eux des germes de rébellion, les Ptolémées maintiennent les antiques >> coutumes. >> Il y eut cependant quelques modifications de détail; mais l'embarras est grand lorsqu'il s'agit de les indiquer.

1° M. Champollion-Figeac a écrit: « C'est sous les Grecs que le mariage fut >> permis entre le frère et la sœur. On n'en trouve aucun exemple dans les temps >> antérieurs » (L'Egypte, p. 71). — Nous pouvons objecter que le mariage contracté, en 276, par Ptolémee Philadelphe est présenté par les historiens gres comme contraire aux lois macédoniennes et conforme aux lois égyptiennes. L'union du frère et de la sœur germains ou utérins était, en effet, interdite par les lois grecques. Aussi, l'indignation des Alexandrins, en apprenant l'inceste de leur roi, fut très-vive; le poète Sotade se fit leur interprète en écrivant contre la Reine des vers injurieux et, aujourd'hui encore, on trouve des inscriptions dans lesquelles le nom d'Arsinoé a été martelé par le peuple. Les Égyptiens, comme beaucoup d'autres peuples orientaux, devaient permettre ces mariages. Aussi nous croyons que Pausanias ne s'est pas trompé en disant de Philadelphe : ἔγημεν, Μακεδόσιν οὐδαμῶς ποιῶν νομιξόμενα, Αἰγυπτίοις μέντοι, ὧν ἤρχε (1, 7. S1).

2o Sans aller aussi loin que ceux qui, comme Larcher, ont écrit que les hommes étaient, en Égypte, les esclaves des femmes, on est obligé de constater que les femmes égyptiennes jouissaient d'une indépendance et de prérogatives inconnues dans les autres pays. Les papyrus nous montrent, au contraire, les femmes soumises à une tutelle analogue à celle des femmes grecques (voir notre Étude sur le papyrus VII du Louvre, Paris, 1867). Nous sommes donc autorisé à en conclure que les Lagides changèrent la législation antérieure à la conquête. Deux particularités curieuses prouvent toutefois que la femme gréco-égyptienne conserva quelques priviléges: 1o Dans le papyrus XIII du Louvre, nous voyons que la femme pouvait, en se mariant, stipuler qu'elle aurait un droit de copropriété sur les biens du ménage : συνεῖναι αὐτοὺς ὡς ἀνὴρ καὶ γυνή, κυριευούτης κοινῇ τῶν ὑπαρχόντων. 2o D'autres papyrus nous montrent la femme héritière de son mari conjointement avec ses enfants et excluant les collatéraux. Dans le papyrus XXII du Louvre, deux filles se plaignent au Roi, non pas de ce que leur mère a pris la succession de son mari, mais de ce qu'elle garde tout pour elle et laisse ses enfants plongés dans la misère. La communauté de biens entre époux, l'aptitude à succéder l'un à l'autre, voilà des institutions bien étrangères à la Grèce !

C'est au même ordre d'idées que se rattache la fin du papyrus XIII du Louvre relative à la restitution de la dot, mais dont on ne peut pas tirer, avec M. Lumbroso, cette conséquence que les enfants du premier lit auraient eu un droit de succession, exclusif de tout autre, sur les biens que la mère portait dans la maison d'un nouvel époux.

3o Le droit d'aînesse, attesté par le papyrus XIV du Louvre, le droit pour les

filles de venir à la succession concurremment avec leurs frères ne sont pas assurément des importations grecques. Il faut en dire autant du droit de mutation perçu sur les transmissions héréditaires. La législation égyptienne, en soumettant tous les successibles, même en ligne directe, au paiement d'un droit de 10 0,0, alors que le droit perçu sur les transmissions entre vifs était de 5 0/0 seulement, arrivait à ce résultat que le père de famille, au moment de mourir, avait un grand avantage à vendre ses biens à ses enfants au lieu de s'en rapporter à la dévolution légale; ses héritiers y gagnaient s o/o. Il est permis de croire que l'Égypte continua à payer cette taxe sous les Romains, ce qui dut la rendre plus indifférente que les autres peuples de l'empire à l'innovation de Caracalla.

4o A propos de garantie en matière de vente, M. Lumbroso croit pouvoir signaler une différence entre la βεβαίωσις grecque et la βεβαίωσις égyptienne; chez les Grecs, un tiers, d'après le droit commun, aurait dû se rendre garant de la vente, tandis que, en Égypte, le garant était le vendeur lui-même. — Pour prouver que, dans les deux pays, le vendeur est le véritable garant, il nous suffira de rappeler les définitions de la ẞebxwσew; díxŋ données par les grammairiens grecs : ὄνομα δίκης ἣν δικαζόνται οἱ ὠνησάμενοί τι τῷ ἀποδομένῳ (Harpocration). Cette institution de la garantie nous paraît d'ailleurs tellement conforme au droit naturel que nous ne pouvons pas voir en elle, avec M. Lumbroso, l'œuvre des Lagides.

5o D'après l'ancienne législation de Bocchoris, les créanciers qui exigeaient le remboursement de leurs créances, ne pouvaient s'adresser qu'aux biens du débiteur, la contrainte par corps n'étant en aucun cas admise (Diodore, I, 79).

Plusieurs papyrus, notamment un papyrus de l'an 89 av. J.-C., accordent au créancier le droit d'obtenir le paiement de sa créance, non-seulement en expropriant la fortune de son débiteur, mais aussi en employant la contrainte par corps : ἡ πρᾶξις ἔστω ἔκ τε αὐτοῦ καὶ τῶν ὑπαρχόντων αὐτῷ πάντων. La contradiction est manifeste. Elle s'explique par ce fait que les Macédoniens, et, d'une façon plus générale, les Grecs, ne respectaient pas au même degré que les Égyptiens la liberté individuelle. L'esclavage pour dettes était en vigueur chez certains peuples de la Grèce (Isocrate, Plataïcus, S 48); les Athéniens euxmêmes, malgré les grandes réformes de Solon, autorisaient, dans plusieurs cas, l'emprisonnement des débiteurs (voir notre Etude sur le contrat de prêt à Athènes, 1870, p. 33-38). Les Ptolémées introduisirent donc la contrainte par corps en Égypte. M. Lumbroso croit que cette voie de rigueur ne fut établie qu'assez tard. Ce qui est certain, c'est qu'elle fut supprimée par Auguste, comme nous l'apprend Pédit de Tiberius Julius Alexander: αἱ πράξεις τῶν δανείων ἐκ τῶν ὑπαρχόντων ὦσι καὶ μὴ ἐκ τῶν σωμάτων.

6o Les premiers Lagides ne touchèrent pas d'abord aux tribunaux égyptiens dans lesquels siégeaient les λzoxpítat. Mais la fidélité des Laocrites aux vieilles coutumes nationales ( zopas vépcs), leur écriture incompréhensible, leur lenteur compassée, leur partialité, mécontentèrent les souverains. Sous prétexte de rendre un service à l'agriculture et aux habitants des provinces en leur évitant des déplacements et les ennuis de la procédure, les Lagides créèrent des juges

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royaux ambulants, allant, sous la direction d'un ciszywysig, recevoir de nome en nome les plaintes des Grecs et des Égyptiens, et leur rendant promptement, suivant les νόμοι πολιτικοί et les προστάγματα, une justice impartiale. Ces juges royaux, appelés chrématistes (cí zpquatiotaí) rappellent les xxtà pous dinataí de l'Attique. Mais ils en diffèrent en ce que leur juridiction pouvait s'étendre aux affaires les plus considérables, même à celles qui intéressaient la couronne. A ce point de vue, ils se rapprochent mieux encore des Missi dominici de Charlemagne.

7° Au point de vue des douanes, les Lagides mirent en pratique le système économique connu sous le nom de balance du commerce, en même temps qu'ils frappaient les marchandises à l'entrée et à la sortie de droits très-considérables. - Un fait suffira pour donner une idée de l'énormité des taxes. Le Silphium, cette plante si estimée des anciens, croissait surtout en Cyrénaïque, c'est-à-dire dans le royaume des Ptolémées. Pour les Athéniens, rien ne paraissait plus simple que d'aller faire leurs provisions à Cyrène. Au lieu de cela, ils se rendaient à Carthage où ils prenaient le Silphium arrivé en contrebande par la voie de Chazan. Les prix, accrus d'une part par les risques auxquels s'exposaient les fraudeurs, d'autre part par les frais du transport de la Cyrénaïque à Carthage et du double voyage de Carthage à Athènes, étaient encore moins considérables que les prix de Cyrène augmentés des droits de douane. Le trafic direct avait été abandonné. Grave leçon que les législateurs modernes ne devraient pas oublier!

Nous terminerons par une critique de détail. M. Lumbroso parle de la réputation du vin de Mendés sur les rives du lac Tanis. Le vin de Mendé, renommé chez les Anciens, était récolté non pas en Égypte, mais en Macédoine, dans la presqu'ile de Pallene. E. CAILLEMER.

$4.-Première partie des Sonnets exotériques de Gérard Marie Imbert, publiée avec une préface et des notes par Philippe TAMIZEY DE LARROQUE. Paris, Claudin; Bordeaux, Gounouilhou, 1872. In-8°, 100 p. (tome II de la Collection mérídionale).

M. Tamizey de Larroque n'a découvert qu'un exemplaire des poésies d'Imbert, conservé actuellement à la bibliothèque Mazarine. Le savant éditeur a réuni dans sa préface tous les renseignements, fort maigres d'ailleurs, qu'on a sur ce poète : il était né à Condom en 1530; il vint à Paris où il étudia sous Dorat et eut pour condisciples la plupart des poètes de la Pléïade, auxquels il adresse plusieurs de ses sonnets; après avoir puisé dans cette docte société la passion des études antiques et de la poésie française, il rentra dans son pays, fut sans doute chanoine à la Romieu, eut deux enfants naturels, mena une vie assez douce et paisible jusqu'au moment où les guerres de religion le chassèrent du pays et détruisirent sa chère maisonnette, et publia en 1578 la Première partie des sonnets exoteriques de G. M. D. I. (à Bordeaux, chez Millanges); vécut-il longtemps après, publia-t-il une seconde partie ou des sonnets esoteriques? on n'en sait

1. Ce titre singulier d'exotériques donné par Imbert aux sonnets qu'il publiait fait penser qu'il en avait par devers lui d'autres qu'il ne destinait pas à la lumière. Plusieurs pas

rien. S'il ne reste qu'un exemplaire de son premier livre, un autre ouvrage pourrait bien avoir péri tout entier.

M. T. de L. fait bon marché du talent poétique d'Imbert; peut-être est-il un peu plus dédaigneux que de raison. Il y a dans ces sonnets, où se retrouvent d'habitude la gaucherie, la lourdeur, la platitude et l'affectation des Ronsardisants de troisième ordre, quelques pensées élevées heureusement rendues, quelques élans parfois bien soutenus, et en général une gravité, un sérieux qui font estimer l'auteur. C'est dans toute la force du terme de la poésie de province, mais elle se laisse lire sans ennui et assez souvent avec plaisir. L'éditeur relève d'ailleurs avec soin le principal mérite de ces sonnets, la valeur historique de ceux qui retracent les tristes événements dont la Gasgogne fut alors le théâtre. Les Sonnets exotériques ont encore un autre mérite : ils nous montrent, comme plusieurs autres œuvres des petits poètes de cette époque, la force et la profondeur avec laquelle les idées de la Pléiade avaient pénétré dans les esprits. On comprend mieux Ronsard et l'influence qu'il a exercée en lisant ces vers d'admirateurs obscurs et lointains, qui se plongeaient à sa suite dans la lecture des Latins et des Grecs, attendaient avec une fiévreuse impatience les productions nouvelles des chefs de l'école, propageaient à leur tour dans un cercle local le culte auquel ils avaient été initiés, travaillaient de tous côtés avec ardeur à l'œuvre commune, et s'encourageaient sans cesse l'un l'autre à Prouver à nos voisins, ançois à l'univers Que nous avons banni l'aïeule barbarie (x1o s.).

M. T. de L. a joint au texte, outre la Préface, des notes abondantes et pleines de cette érudition spéciale dont nos lecteurs connaissent la sûreté et l'étendue. A côté des renseignements fournis sur tous les personnages contemporains (et is sont nombreux) mentionnés par Imbert, on y trouve des remarques philologiques (où l'auteur a surtout mis à profit le Dictionnaire de Littré), et des commentaires, généralement satisfaisants, sur les allusions et les imitations de passages classiques dont notre poète fourmille comme tous ceux de son temps. Parfois les notes de cette dernière catégorie sont peut-être superflues, d'autres fois elles font défaut où on en aurait besoin, p. ex. sur le s. XIX, ou je ne comprends pas ce que vient faire la fille au nepveu Atlantique: si c'est «la lyre», comme il est naturel de le croire, on ne voit pas bien comment des champs athéniens elle porte aux Français le livre des Économiques de Xénophon. Henri III l'éloge contenu dans le sonnet II, mais il doit s'agir plutôt de Charles IX (cf. s. LXII, etc.); en général tous ces vers paraissent avoir été composés avant 1570 (s. LXXXIX). — La n. 59 dit que la forme luc pour luth est rare; c'est une erreur, elle est habituelle au xve siècle et se rencontre encore bien souvent au xvio. — Le s. XV me paraît avoir besoin d'une explication; s'agit-il d'un chanoine, collègue du poète, qui, se faisant huguenot, perdait son bénéfice et augmentait par là le revenu de ses confrères ?

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La n. 4 attribue à

« On n'a rien négligé, dit l'éditeur, pour que la nouvelle édition reproduisit >> exactement, moins les fautes d'impression, le seul exemplaire [de l'ancienne]. »

sages de ses sonnets portent à croire que le bon chanoine n'était pas aussi ennemi d'Epicure et de Lucrèce qu'il a l'air de le dire (voyez p. ex. le 6, où il y a bien de l'esprit de Montaigne).

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