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que sur des monuments écrits, qui ne représentent jamais que très-incomplètement l'usage du temps où ils ont été écrits; car chacun ne parle et n'écrit qu'avec une petite partie des mots et des tours que l'usage autorise. Il en résulte que nous ne pouvons jamais dire avec certitude, si nous n'avons pas de témoignage direct, qu'un mot ou une construction n'étaient pas en usage avant ou ont cessé d'être en usage après un certain temps antérieur au nôtre. Je puis affirmer qu'aujourd'hui en France personne ne dira comme la comtesse d'Escarbagnas: « Je croyais qu'il ne fît que des gants. » Mais du temps de Molière au nôtre, quelle est la génération qui a cessé de parler ainsi? nul ne saurait le dire, à défaut d'un témoignage contemporain comme celui que je donne ici. A plus forte raison est-on dans l'impossibilité de décider, d'après 26 comédies, que le subjonctif n'était pas employé avec quum temporel du temps de Plaute et de Térence.

Mais on rencontre trois exemples dans Plaute, un dans Térence. Dans Trucul. 2, 4, 29, la variante de l'indicatif se rencontre dans un manuscrit; dans les deux autres exemples de Plaute et dans celui de Térence, le subjonctif est attesté sans aucune variante. L'isolement du passage de Térence (Eunuch. prol. 21) << Perfecit sibi ut inspiciundi esset copia. | Magistratus quum ibi adesset, » occeptast agi, » a conduit un critique à mettre une virgule après copia et un point après adesset : ce qui ne donne aucun sens, comme le remarque M. L. luimême. Il admet, comme pour les deux exemples de Plaute, que le texte est altéré, et il substitue adsedit à adesset. Mais d'abord, corriger un texte parce qu'il est contraire à la règle que l'on veut établir, c'est faire un cercle vicieux. Ensuite quand on considère combien sont fortuites les circonstances d'où dépend l'emploi que nous faisons des mots et des constructions de notre langue, on voit qu'il n'y a absolument rien à conclure de la rareté ou même de l'isolement d'un fait de langage contre sa légitimité. M. L. admet lui-même l'emploi du subjonctif avec quum causal et adversatif au temps de Térence, qui n'en offre pourtant que deux exemples. Nous sommes trop portés, dans la grammaire des langues mortes, à suspecter ce que nous ne rencontrons que rarement, et à considérer comme régulier ce que nous rencontrons souvent, quoique ce ne soit que l'effet d'un pur hasard. Si nous avions à notre disposition un plus grand nombre de monuments, les proportions du rare et du fréquent pourraient changer complétement et nous serions conduits à une conclusion inverse.

Quant aux quatre règles établies par M. L., elles sont établies sur une théorie des temps généralement, pour ne pas dire universellement admise en Allemagne et qui me semble absolument fausse. En grec et en latin, comme en français, ce n'est pas le temps du verbe, c'est la nature et les circonstances de l'action qu'il exprime qui indiquent si l'action dure ou n'est que momentanée. Quand je dis en français au prétérit défini, en grec à l'aoriste et en latin au parfait «< il » vécut 90 ans,» l'action a certainement de la durée; et quand je dis à l'imparfait dans les trois langues «< il respirait encore au moment où l'on entra dans » sa chambre, » l'action n'est que momentanée. Il faut une forte préoccupation pour trouver que dans Cornelius Nepos Agesil. 8, 6 « quum ex Aegypto rever

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» teretur..... » de Reg. 3, 2 « in proelio, quum adversus Seleucum et Lysima>> chum dimicaret, occisus est» les verbes, reverteretur, dimicaret, expriment une action momentanée; et pourtant c'est sur cette considération qu'est fondée la quatrième règle. M. L. dit que dans César B. G. 6, 12, 1 « quum Caesar in » Galliam venit, alterius factionis principes erant Haedui, alterius Sequani » le temps de venit ne peut pas être subordonné à celui de erant parce que la place d'un moment dans le temps ne peut pas être déterminée par un espace de temps plus considérable où il pourrait occuper une infinité de places différentes. C'est vrai mathématiquement. Mais dans la vie nous n'avons pas besoin de cette exactitude; et on admet qu'un historien a déterminé très-rigoureusement la date de la mort de Napoléon, quand il a dit qu'il est mort le 5 mai 1821. Et pourtant le dernier soupir ne prend guère plus d'une seconde, laquelle peut occuper 86400 places dans un jour. Quant à l'exemple de César, il est clair que le temps. de erant est subordonné à celui de venit et que l'imparfait exprime simultanéité de erant avec venit. Nous disons de même en français : « quand César vint dans » les Gaules, il y avait deux partis qui avaient pour chefs l'un etc. » La conjonction quand comme le latin quum désigne l'espace de temps plus ou moins considérable, suivant les circonstances des faits dont on parle, où s'est accomplie l'action signifiée par les verbes venit, vint et qui la détermine avec l'approximation dont nous avons besoin.

M. L. a été induit en erreur par des préoccupations de philosophie et de métaphysique, qui sont la peste de la grammaire. La même influence a agi sur sa tentative d'explication du subjonctif, qui me semble inadmissible, les faits fussentils tels qu'il les a présentés. En quoi est-il plus objectif que le temps d'une action soit déterminé par son rapport au moment où l'on parle et plus subjectif qu'il soit déterminé par son rapport à une autre action antérieure ou postérieure ellemême au moment de la parole? Je ne le comprends pas. Ensuite il n'est pas exact de dire que l'indicatif soit le mode de l'objectivité, quelque sens qu'on attache à cette terminologie kantienne, qui devrait être absolument bannie de la grammaire. L'indicatif est un mode en quelque sorte négatif qui n'exprime rien par lui-même. Dans «< il viendra certainement » il sert à exprimer un fait certain, et dans «< il viendra peut-être » il sert à exprimer un fait douteux. Enfin il est peu probable que dans l'histoire de la langue latine le subjonctif se soit substitué à l'indicatif. Je crois que si le fait que M. L. a voulu établir était en effet constaté, ce serait le seul exemple. On trouve plutôt un exemple de la substitution de l'indicatif au subjonctif, dans l'interrogation indirecte à la fin de l'empire romain. Si l'on compare le français du xii et du xe siècle au français d'aujourd'hui, on trouvera que c'est plutôt le subjonctif qui a perdu et qui peut-être perd encore du terrain relativement à l'indicatif.

Quant au fond de la question traitée par M. L. j'incline à penser que l'usage a toujours été flottant, quant à l'imparfait et au plus-que-parfait construits avec quum temporel, entre le subjonctif et l'indicatif, sans qu'on puisse déterminer la nuance qui sépare ici les deux modes. Du moins les efforts tentés dans cette vue ont tous échoué jusqu'ici. Ce n'est du reste pas le seul exemple de cette fluctua

tion. On rencontre souvent le subjonctif et l'indicatif employés dans les propositions relatives dépendant d'un verbe à l'infinitif ou au subjonctif, sans qu'on puisse découvrir les raisons qui ont fait préférer l'un des deux modes à l'autre. L'emploi du subjonctif au style indirect n'était pas même d'un usage absolument constant. Le subjonctif est un luxe du langage. En réalité l'indicatif avec les conjonctions qui expriment avec précision le rapport entre la proposition dépendante et la proposition principale suffirait pleinement à l'expression de la pensée; et on comprend que souvent l'usage s'en soit contenté.

Quoique je ne sois d'accord avec M. Lübbert à peu près sur aucun point (ce qui ne laisse pas que d'inquiéter un peu, quand on a affaire à un homme qui paraît avoir du mérite), je reconnais volontiers que les faits sont rassemblés et vérifiés avec un soin qui rend le travail très-utile indépendamment des vues personnelles de l'auteur. Il sait que des raisonnements en grammaire sont sans valeur, s'ils ne reposent pas sur des textes et des textes qui ne soient pas empruntés à la première édition venue. Il faut remonter à la source, s'assurer des leçons qu'offrent en chaque passage les manuscrits. Autrement on court le risque d'attribuer à un auteur des fautes de copiste.

4.

Charles THURot.

Liber de infantia Mariae et Christi Salvatoris, ex codice Stuttgartensi descripsit et enarravit Oscar SCHADE (Commentatio seorsim edita ex programmate Universitatis Albertinae). Halle, lib. de l'Orphelinat, 1869. In-4°, 45 p.

Les récits apocryphes sur la jeunesse de Marie et l'enfance de Jésus ont été traités au moyen-âge, on le sait, presque comme les Évangiles canoniques. Les langues vulgaires les ont traduits de bonne heure, le drame religieux les a pris pour sujet dans tous les pays chrétiens, et l'art catholique s'en est inspiré dès ses plus anciens monuments et en a conservé plusieurs traditions. C'est donc servir très-efficacement la science que de mettre au jour ces monuments singuliers, d'en donner de meilleurs textes, d'en suivre l'histoire, d'en expliquer le caractère. M. Schade vient de faire ce travail pour le plus populaire de ces livres. Thilo, qui publia le premier le texte latin, n'avait connu que des manuscrits assez récents (Par. 5559 A du xive s. et 1652 du xv); M. Tischendorf avait accordé à deux manuscrits italiens, l'un de Rome, l'autre de Florence, une autorité qu'ils ne méritent pas. M. Sch. a trouvé à la bibliothèque de Stuttgart un manuscrit du x1° siècle, donnant un texte évidemment préférable, et qu'il a reproduit tel quel, avec les accents qu'il offre çà et là et qui ne sont pas sans intérêt et la ponctuation, également digne d'attention; il s'est borné à résoudre les abréviations (en les indiquant en note). Une introduction, malheureusement écourtée faute de place, donne sur les autres apocryphes qui touchent au même sujet des renseignements intéressants et s'étend surtout sur les poèmes allemands inspirés par le récit en question. M. Sch. promet de revenir sur ce sujet : il serait à désirer que le rapport de tous ces évangiles apocryphes fût établi avec plus de précision qu'il ne l'a été jusqu'ici. Quant aux traductions en langue vulgaire,

nous remarquerons seulement que la plus ancienne, pour le Liber de infantia Mariae, est celle de Wace, qui a dû être composée vers 1140. Les notes qui accompagnent le texte, outre la discussion critique des passages douteux, contiennent sur les faits racontés et les variantes du récit, principalement dans la poésie allemande, des remarques qu'on lira avec intérêt. P. 9, I. 3, la leçon du ms. verecunda nous paraît difficilement soutenable; la phrase demande un verbe au participe futur passif (comme le recusanda des autres mss.) plutôt qu'un adjectif, en admettant même que verecunda pût avoir le sens que lui attribue M. Sch. — P. 19, l. 15, habitu n'est sans doute qu'une faute d'impression pour habita. - P. 22, 1. 4, prophetatis, que donne le ms., est la bonne leçon, qu'il ne faut changer ni en prophetatus ni en prophetantis: c'est la 2 pers. plur. de l'ind. prés. du verbe prophetare. - P. 23, l. 9, le texte porte perseuerantes; dans la note le même mot est imprimé perseuerantis; ne fautil pas lire plutôt perseueranter? - Le ms. suivi par M. Sch. se distingue des autres par des particularités nombreuses, sur lesquelles nous ne pouvons nous étendre ici, mais qui font de la publication du savant professeur de Koenigsberg la base nécessaire des études qu'on entreprendra désormais sur ce sujet.

S.

Studien über das Institut der Gesellschaft Jesu, mit besonderer Berücksichtigung der pædagogischen Wirksamkeit dieses Ordens in Deutschland, von D' Eberhard ZIRNGIEBL. Leipzig, Fues, 1870. In-8°, xv et 533 p. Prix : 8 fr.

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Dans cette série d'études sur la Société de Jésus considérée principalement au point de vue du rôle qu'elle a joué en Allemagne dans l'instruction publique, M. Zirngiebl traite successivement de la constitution et des tendances de la Société de Jésus, de l'histoire et des tendances de leur système d'études, du collége germanique à Rome et de l'institution des séminaires, de l'introduction et des progrès de la Société en Allemagne jusqu'à la guerre de Trente-Ans, de son histoire depuis la guerre de Trente-Ans jusqu'au milieu du xvIIIe siècle, et depuis cette date jusqu'à l'abolition de l'ordre en 1773; il termine en traitant des jésuites au XIXe siècle. Les faits sont rassemblés avec soin et bien disposés. Mais M. Z. n'a pas examiné assez attentivement les livres classiques de la compagnie. Le tableau d'un système d'enseignement reste insuffisant si l'on ne fait pas connaître les livres qui lui servent de base. Quand on a lu le livre de M. Z., on n'a qu'une idée vague et abstraite de l'enseignement de la grammaire, de la rhétorique, de la poétique et de la philosophie chez les jésuites. La grammaire latine du jésuite portugais Alvarez (Emmanuelis Alvari e societate Jesu de institutione grammatica libri tres. 1572 (1r édition), in-4°), était particulièrement digne d'examen, parce qu'elle sert encore aujourd'hui, comme au XVIIe et au XVIIIe siècle, de base à l'enseignement grammatical des jésuites. Ce que M. Z. en dit (p. 151 et 518) est tout à fait superficiel. Cette grammaire est divisée en trois livres dont le premier traite des formes des mots, le second de la syntaxe, le troisième de la prosodie et de la versification. Dans le premier livre Alvarez

suit principalement Priscien. Dans le second livre il traite de la construction régulière et de la construction figurée. La construction régulière comprend la construction intransitive (syntaxe d'accord), la construction transitive (syntaxe de régime) du nom, des verbes neutres, actifs, passifs, communs, la construction commune à tous les verbes, celle de l'infinitif, des gérondifs, des supins, des participes, les constructions du pronom, des prépositions, de l'adverbe, de la conjonction. La construction figurée comprend l'enallage, l'ellipse, le zeugma, la syllepse, la prolepse, l'archaïsme et l'hellénisme. Alvarez traite de l'emploi des temps et des modes dans le premier livre à propos de la conjugaison du verbe. La règle est formulée en prose latine avec un ou deux exemples; elle est suivie d'un scholium où l'auteur discute et ajoute des exemples. Alvarez a continué à marcher dans la voie ouverte par le livre de Laurent Valla Elegantiae linguae latinae et suivie par Despautère, Linacer et les autres grammairiens humanistes. Il ne cherche pas à rendre raison des faits de langage par des considérations métaphysiques, comme le faisaient les grammairiens du moyen-âge, ni par des ellipses, comme Sanctius l'a fait le premier (Minerva, 1585) et après lui les auteurs de grammaires grecques et latines jusqu'à Godefroi Hermann exclusivement. Il se borne à constater l'usage des bons auteurs en vue de montrer à parler et à écrire en latin avec élégance, but principal, pour ne pas dire unique, des études en ce temps et dans les deux siècles qui ont suivi: (de constructione intr. schol. 15) «assuescant (pueri) potius emendate loqui et scribere, quam barbare » disputare. » A propos de la locution «< id aetatis» il dit (de figur. constr. schol. 2): « Elegantiam huius locutionis omnes admirantur, rationem fortasse >> nemo invenerit. Neque enim videtur Hellenismus, cum affirmet Budaeus in » Comment. ling. gr. non esse apud Graecos similes locutiones. Itaque cum » viri docti in Grammaticorum leges minime jurarint, observabimus, atque colli» gemus diligenter quae sua sponte eleganter dixerunt, ut ea nobis ad imitandum » proponamus, non ut ad Grammaticae normam et angustias ea dirigamus. Et >> ut quod sentio breviter dicam, si tum ligata tum soluta oratione emendate aut >> scribere aut loqui studes, tibi eos qui utraque facultate prae caeteris floruerunt » imitandos propone. » La grammaire d'Alvarez n'est guères à proprement parler qu'un recueil d'exemples. C'est par des exemples qu'il tranche les questions: «<< Septuaginta septem » dit-il (de constr. comm. omn. verb. Schol. 2) «tes>>timonia paraveram quibus planum facerem nomina tertiae declinationis ablativo >> efferri, cum huius sunt loci, non dativo, ut non nullis persuarum est. » Les exemples lui servent aussi à assaisonner les préceptes grammaticaux pour lesquels il ne témoigne pas d'un goût bien vif (de constr. intrans. Schol. 1): «< illud >> etiam atque etiam eos rogatos velim, qui hunc libellum sunt lecturi, ut ne >> aegre ferant, si syntaxeos praecepta pluribus interdum illustrata exemplis >> offenderint. Neque enim casu aut temere, sed consulto et cogitato id factum » est. Nam cum grammaticae praeceptiones aridae, jejunae et insulsae ipsae >> per se sint, nisi veterum scriptorum nitore et elegantia condiantur, brevi » domestica barbarie Latinae linguae rudes infuscabunt. » Aussi ne faut-il pas

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