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En résumé, l'on conserve encore pour le roi, sinon de l'affection et du respect, - le respect et l'affection n'existent plus depuis longtemps, du moins une certaine indulgence. On excuse ce vieillard, comme on excuserait un enfant gâté. Il a fait du mal, mais, en revanche, il a fait du bien. Il a perdu les colonies, mais il a annexé la Lorraine et la Corse à la France. Il a résisté à des coalitions puissantes. C'est le vainqueur de Fontenoy. Son bras vieilli a su frapper le parlement, et ce coup d'État recule pour quelques années le cataclysme. Louis XV, dévot et débauché, mécontent des autres et de lui-même, mélange de défaillances et d'énergie, d'imprévoyance et de raison, Louis XV, ayant encore une certaine dignité, une politesse et un calme de bonne compagnie, un air de gentilhomme et de souverain, Louis XV, peut-être encore plus à plaindre qu'à blâmer, reste un type de l'ancien régime, une incarnation de cette monarchie, qui, malgré sa décadence visible, a encore ses vestiges de grâce et de décorum, de force et d'autorité. C'est un débauché. Mais il n'est en définitive, ni meilleur ni pire que tant de vieux Céladons, tant de vétérans de Cythère,

tant de séducteurs surannés, qui se croiraient tout à fait morts, s'ils n'avaient plus de maîtresses. Les doctes magistrats eux-mêmes font des fredaines. Ils ont leurs petites maisons, boudoirs agrandis, temples de la volupté. Le XVIIIe siècle, ce siècle épicurien, ne s'indigne qu'à moitié de la débauche royale. Il s'en moque, et le principe monarchique est atteint, bien moins par des attaques violentes que par une arme peut-être plus redoutable : le ridicule. Quand je vois, à la messe de la chapelle de Versailles, Louis XV priant très sérieusement, dans la tribune royale, non loin de son indigne favorite, qui est là sans rouge, sans poudre, sans même avoir fait sa toilette, je me retiens pour ne pas hausser les épaules.

Quant au vieux roi, tout fier de sa victoire sur le parlement, il croit s'être assuré par un coup de force une longue et paisible vieillesse. Il se donne à lui-même, dans ses prévisions, encore quelques années de plaisir. Puis viendra, se dit-il, le temps du repentir, de la pénitence, de la vraie piété, et alors il sera le roi Très-Chrétien autrement que de nom. Combien n'y a-t-il point de vieillards qui ajournent ainsi l'heure de la conversion finale, tout en

affichant pour la religion un respect intérieur tant soit peu hypocrite! Cette demi-piété, cette ébauche de vertu, cette pénitence à l'état de futur contingent, nous la trouvons dans bien des âmes. Quoi de plus faible, de plus inconséquent que la nature humaine? Les Louis XV, nous les coudoyons à chaque pas. Les hommes à bonnes fortunes, quand ils vieillissent, ressemblent tous, ou presque tous, à l'amant de la Du Barry, et ils sont rares, ceux qui, ayant encore toute leur santé, et beaucoup d'or, consentent, tout vieux qu'ils sont, à se faire ermites.

Le sentiment qui domine à l'égard du roi, c'est moins la haine que l'indifférence. On le laissera mourir tranquille, et l'on assiste, sans colère, comme sans émotion, au coucher de ce soleil, soleil d'hiver, sans chaleur et sans rayonnement. Les impatients soupirent après un nouveau règne. Les gens plus sages trouvent le futur Louis XVI trop jeune. Après tout, Louis XV, malgré ses erreurs, malgré ses fautes, malgré ses vices, est un homme d'expérience, un homme de gouvernement. Et le dauphin, quand saura-t-il quelque chose? Combien lui faudra-t-il de temps pour ap

prendre les principes les plus élémentaires de cet art si difficile, l'art de régner? Il aura d'excellentes intentions, il sera honnête, il sera vertueux. Mais tout cela ne suffit point. La tâche serait lourde pour de jeunes épaules. Aussi Marie Thérèse, cette femme de génie, cette souveraine au coup d'œil si sûr, ne craintelle rien tant que la mort de Louis XV, le monarque si décrié. Comme roi, sinon comme homme, le vieillard vaut encore mieux que l'enfant.

II

LA NOBLESSE.

Il y a dans la noblesse deux partis : les conservateurs et les libéraux, les hommes du passé et les hommes de l'avenir. Les premiers se prononcent pour l'alliance du trône et de l'autel, pour le respect de tous les anciens usages, pour le maintien absolu de l'étiquette. Adversaires irréconciliables de la philosophie, de l'anglomanie et de l'Encyclopédie, ils regardent d'un œil chagrin et méprisant les changements de costumes, l'abandon des livrées, la vogue des modes étrangères. Les seconds, joignant aux avantages du patriciat les charmes si commodes d'une vie indépendante, adoptent avec joie les cabriolets, les fracs, la simplicité des coutumes anglaises. Ils applaudissent les tirades républicaines des théâtres, les discours subversifs des académies, les théories anti

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