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craindre, et beaucoup à espérer; et il en affoiblissoit d'autres dont elle n'avoit rien à espérer, et tout à craindre.

à un

On se servoit des alliés pour faire la guerre ennemi; mais, d'abord, on détruisit les destructeurs. Philippe fut vaincu par le moyen des Étoliens, qui furent anéantis d'abord après pour s'être joints à Antiochus. Antiochus fut vaincu par le secours des Rhodiens; mais, après qu'on leur eut donné des récompenses éclatantes, on les humilia pour jamais, sous prétexte qu'ils avoient demandé qu'on fit la paix avec Persée.

Quand ils avoient plusieurs ennemis sur les bras, ils accordoient une trève au plus foible, qui se croyoit heureux de l'obtenir, comptant pour beaucoup d'avoir différé sa ruine.

Lorsque l'on étoit occupé à une grande guerre, le sénat dissimuloit toutes sortes d'injures, et attendoit, dans le silence, que le temps de la punition. fût venu que si quelque peuple lui envoyoit les coupables, il refusoit de les punir, aimant mieux tenir toute la nation pour criminelle, et se réserver une vengeance utile.

Comme ils faisoient à leurs ennemis des maux inconcevables, il ne se formoit guère de ligue contre eux; car celui qui étoit le plus éloigné du péril vouloit pas en approcher.

Par là ils recevoient rarement la guerre, mais la faisoient toujours dans le temps, de la manière, et avec ceux qu'il leur convenoit ; et, de tant de peu

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ples qu'ils attaquèrent, il y en a bien peu qui n'eussent souffert toutes sortes d'injures si l'on avoit voulu les laisser en paix.

Leur coutume étant de parler toujours en maîtres, les ambassadeurs qu'ils envoyoient chez les peuples qui n'avoient point encore senti leur puissance étoient sûrement maltraités; ce qui étoit un prétexte sûr pour faire une nouvelle guerre. (1)

Comme ils ne faisoient jamais la paix de bonne foi, et que, dans le dessein d'envahir tout, leurs traités n'étoient proprement que des suspensions de guerre, ils y mettoient des conditions qui commençoient toujours la ruine de l'état qui les acceptoit. Ils faisoient sortir les garnisons des places fortes, ou bornoient le nombre des troupes de terre, ou se faisoient livrer les chevaux ou les éléphants; et, si ce peuple étoit puissant sur la mer, ils l'obligeoient de brûler ses vaisseaux, et quelquefois d'aller habiter plus avant dans les terres.

Après avoir détruit les armées d'un prince, ils ruinoient ses finances par des taxes excessives, ou un tribut, sous prétexte de lui faire payer les frais de la guerre nouveau genre de tyrannie, qui le forçoit d'opprimer ses sujets, et de perdre leur amour.

Lorsqu'ils accordoient la paix à quelque prince, ils prenoient quelqu'un de ses frères ou de ses enfants en ôtage; ce qui leur donnoit le moyen de trou

(1) Un des exemples de cela, c'est leur guerre contre les Dalmates. (Voyez Polybe.)

bler son royaume à leur fantaisie. Quand ils avoient le plus proche héritier, ils intimidoient le possesseur; s'ils n'avoient qu'un prince d'un degré éloigné, ils s'en servoient pour animer les révoltes des peuples.

Quand quelque prince ou quelque peuple s'étoit soustrait de l'obéissance de son souverain, ils lui accordoient d'abord le titre d'allié du peuple romain (1); et par là ils le rendoient sacré et inviolable; de manière qu'il n'y avoit point de roi, quelque grand qu'il fût, qui pût un moment être sûr de ses sujets, ni même de sa famille.

Quoique le titre de leur allié fût une espèce de servitude, il étoit néanmoins très-recherché (2); car on étoit sûr que l'on ne recevoit d'injures que d'eux, et l'on avoit sujet d'espérer qu'elles seroient moindres : ainsi il n'y avoit point de services que les peuples et les rois ne fussent prêts de rendre, ni de bassesses qu'ils ne fissent pour l'obtenir.

Ils avoient plusieurs sortes d'alliés. Les uns leur étoient unis par des priviléges, et une participation de leur grandeur, comme les Latins et les Herniques; d'autres, par l'établissement même, comme leurs colonies; quelques-uns par les bienfaits, comme furent Massinisse, Euménès et Attalus, qui tenoient

(1) Voyez surtout leur traité avec les Juifs, au premier livre des Machabées, Chapitre VIII, v. 33.

(2) Ariarathe fit un sacrifice aux dieux, dit Polybe, pour les remercier de ce qu'il avoit obtenu cette alliance.

d'eux leur royaume ou leur agrandissement; d'autres, par des traités libres; et ceux-là devenoient sujets par un long usage de l'alliance, comme les rois d'Égypte, de Bithynie, de Cappadoce, et la plupart des villes grecques; plusieurs enfin, par des traités forcés, et par la loi de leur sujétion, comme Philippe et Antiochus car ils n'accordoient point de paix à un ennemi, qui ne contînt une alliance; c'est-à-dire qu'ils ne soumettoient point de peuple qui ne leur servît à en abaisser d'autres.

Lorsqu'ils laissoient la liberté à quelques villes, ils y faisoient d'abord naître deux factions (1): l'une défendoit les lois et la liberté du pays; l'autre soutenoit qu'il n'y avoit de lois que la volonté des Romains: et, comme cette dernière faction étoit toujours la plus puissante, on voit bien qu'une pareille liberté n'étoit qu'un nom.

Quelquefois ils se rendoient maîtres d'un pays sous prétexte de succession: ils entrèrent en Asie, en Bithynie, en Libye, par les testaments d'Attalus, de Nicomède (2) et d'Appion; et l'Égypte fut enchaînée par celui du roi de Cyrène.

Pour tenir les grands princes toujours foibles, ils ne vouloient pas qu'ils reçussent dans leur alliance ceux à qui ils avoient accordé la leur (3); et comme ils ne la refusoient à aucun des voisins d'un prince puissant, cette condition, mise dans un traité de paix, ne lui laissoit plus d'alliés.

(1) Voyez Polybe sur les villes de Grèce.

(2) Fils de Philopator.

(3) Ce fut le cas d'Antiochus.

De plus, lorsqu'ils avoient vaincu quelque prince, considérable, ils mettoient dans le traité qu'il ne pourroit faire la guerre pour ses différends avec les alliés des Romains (c'est-à-dire ordinairement avec tous ses voisins), mais qu'il les mettroit en arbitrage: ce qui lui ôtoit pour l'avenir la puissance militaire. Et, pour se la réserver toute, ils en privoient leurs alliés mêmes: dès que ceux-ci avoient le moindre démêlé, ils envoyoient des ambassadeurs qui les obligeoient de faire la paix. Il n'y a qu'à voir comme ils terminèrent les guerres d'Attalus et de Prusias.

Quand quelque prince avoit fait une conquête qui souvent l'avoit épuisé, un ambassadeur romain survenoit d'abord, qui la lui arrachoit des mains. Entre mille exemples, on peut se rappeler comment, avec une parole, ils chassèrent d'Égypte Antiochus.

Sachant combien les peuples d'Europe étoient propres à la guerre, ils établirent comme une loi qu'il ne seroit permis à aucun roi d'Asie d'entrer en Europe, et d'y assujettir quelque peuple que ce fût (1). Le principal motif de la guerre qu'ils firent à Mithridate fut que, contre cette défense, il avoit soumis quelques barbares. (2)

Lorsqu'ils voyoient que deux peuples étoient en guerre, quoiqu'ils n'eussent aucune alliance, ni rien à démêler avec l'un ni avec l'autre, ils ne laissoient

(1) La défense faite à Antiochus, même avant la guerre, de passer en Europe, devint générale contre les autres rois. (2) Appien, de bello Mithridatico, cap. XIII.

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