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per de façon à constituer un organisme. Mais ce principe supérieur ne doit pas être emprunté arbitrairement à une sphère étrangère ou hostile à la dogmatique; il doit jaillir du fond même des matériaux à organiser.

Une pareille exposition des dogmes implique une appréciation qui doit être parfaitement libre. Il ne peut être question de viser à conserver ou à défendre la doctrine reçue; une appréciation faite à un pareil point de vue serait tout à fait illusoire. Malgré sa liberté, la critique dogmatique est à son tour liée en ce qu'elle doit être dogmatique, c'est-à-dire apprécier les dogmes d'après leur règle qui n'est autre que leur notion même. En d'autres termes, on ne peut admettre d'autre pierre de touche des dogmes que les principes mêmes que chaque église présente comme faisant règle pour sa doctrine, et non par exemple un système philosophique qu'elle récuse. Dès l'instant où une dogmatique fait appel à des principes de ce genre, elle cesse par le fait même d'être la dogmatique de l'église en question.

Cette notion de la dogmatique est sans contredit fort claire, et on ne saurait en dire autant de mainte idée courante sur cette branche de la théologie. C'est une discipline essentiellement positive, ou plus exactement historico-critique. Son objet lui est fourni par la doctrine ecclésiastique historiquement donnée; elle est appelée à la construire en système, tout en examinant critiquement si et dans quelle mesure elle répond à sa notion. Il est de la plus haute importance de ne pas confondre l'élément positif et l'élément critique. La dogmatique ne saurait donc être en aucune façon une discipline spéculative. Il est vrai toutefois qu'elle ne pourrait s'acquitter de sa mission sans posséder un système spéculatif, indépendant et théologique, son instrument indispensable. En effet, pour que son travail tire à conséquence, la dogmatique a absolument besoin de notions bien arrêtées, sans cela elle perd toute tenue scientifique, toute utilité didactique; ce n'est plus qu'un parlage à tort et à travers. Or, d'où la dogmatique tirerait-elle toutes ces notions indispensables, si ce n'est d'un système spéculatif?

Il n'en demeure pas moins vrai que la dogmatique n'est pas une science spéculative. Je sais parfaitement bien que les

théologiens sont fort disposés à suppléer par la dogmatique à une théologie spéculative qui leur fait défaut. Mais la dogmatique ne peut être ce supplément aussi, ne doit-elle pas y prétendre. La confusion des deux disciplines a pour l'une et pour l'autre les plus fâcheuses conséquences: c'est la plus puissante cause de cette confusion d'idées qui attire de si vifs et légitimes reproches aux théologiens. Rien de plus indigeste, de plus faible qu'un mélange confus d'éléments positifs et d'éléments spéculatifs, surtout quand on le décore du titre de dogmatique philosophique. De même, en effet, que la théologie doit répudier tout mélange de philosophie, celle-ci à son tour ne peut consentir à se laisser traiter comme dogmatique, vu qu'elle ne voit dans le dogmatisme qu'un développement défectueux.

En dépit des grandes autorités qui soutiennent le contraire, je ne saurais non plus admettre qu'il y ait une « dogmatique biblique. >> La condition indispensable pour faire une dogmatique, c'est d'avoir préalablement des dogmes. Or le dogmaticien ne saurait faire les dogmes, mais l'église seule; il doit se borner à retravailler scientifiquement ceux que l'église lui présente. Comme il n'y a pas de dogmes dans la Bible, il ne saurait donc être question d'une dogmatique biblique. La Bible renferme sans contredit un enseignement religieux, mais il n'a pas le caractère qui constitue le dogme. D'abord cet enseignement est loin d'avoir atteint le degré de développement scientifique et didactique voulu pour en faire un dogme, et en second lieu il ne porte pas le cachet de l'autorisation et de la sanction ecclésiastique positive qui en fasse l'enseignement exclusif d'une église. Qu'on parle tant qu'on voudra d'un enseignement religieux de la Bible mais non d'une dogmatique biblique. Cette terminologie ne pourrait que nuire aux études exégétiques et à la vraie dogmatique.

II

DE LA DOGMATIQUE PROTESTANTE ÉVANGÉLIQUE

A. De son principe.

EN PARTICULIER.

Il ne faut pas confondre, comme on ne

le fait que trop souvent, le protestantisme évangélique, avec le

christianisme protestant beaucoup plus étendu que l'église évangélique. Le caractère essentiel de la foi chrétienne c'est une communion réelle de l'homme avec Dieu, amenée par Jésus de Nazareth, comme celui qui sauve du péché. La foi évangélique protestante est une espèce de ce genre; elle se distingue par un principe formel et par un principe matériel. Le principe matériel, qui est avant tout non pas celui de la dogmatique mais celui de la piété protestante, consiste en ceci. On reconnaît que la piété a son origine et sa source dans la justification de l'homme pécheur devant Dieu, sans aucun mérite de sa part, par pure grâce et exclusivement par la foi en Christ. Il va sans dire que ce principe devient nécessairement celui de l'enseignement religieux et de la dogmatique. Par le principe formel de l'autorité de l'Ecriture qui est aussi avant tout et immédiatement celui de la piété, on affirme ce qui suit: la piété protestante est essentiellement formée, déterminée, produite par la sainte Ecriture; elle demeure constamment sous sa discipline, elle est en constant rapport avec la Bible dont elle se nourrit, dans l'atmosphère de laquelle elle a la vie, le mouvement et l'être, comme ce fut le cas chez les réformateurs. L'importance pratique de ce principe est incalculable: l'Ecriture devient pour l'enseignement l'autorité absolue et unique.

N'est-il pas étrange que le protestantisme ait ainsi deux principes? Faut-il en conclure qu'il manque d'unité intérieure? Ces difficultés disparaissent dès qu'on comprend que les deux principes sont inséparables, qu'ils s'appellent, se soutiennent et se complètent, tandis que chacun d'eux abandonné à lui-même serait nécessairement faible. Il n'est pas difficile de prouver qu'ils tiennent l'un à l'autre d'une façon inséparable. Ainsi au point de vue historique le principe matériel semble décidément avoir le pas; toutefois il suffit d'y regarder d'un peu près pour voir qu'il implique immédiatement l'autre. L'église évangélique a sans doute pour base l'expérience personnelle que les réformateurs ont faite de la justification par la foi; mais il est tout aussi certain qu'ils ont été amenés à faire cette expérience par leur retour à la sainte Ecriture qu'ils avaient de nouveau com

prise. Dès le début ils ont eu pleine et entière conscience que les choses se passaient ainsi.

Nous arrivons à un résultat identique en consultant la nature même des choses. L'église évangélique conduit l'individu à Christ; cela fait, elle lui laisse le soin de croire ou de ne pas croire. Mais pour qu'elle puisse agir ainsi, il faut que ce Christ, avec lequel chaque homme est appelé à régler immédiatement tout ce qui concerne son salut, soit donné d'une manière réelle et objective, c'est-à-dire sous une forme authentique, attestée, et qui existe pour chacun d'une manière parfaitement indépendante; de sorte que le pécheur n'ait besoin ni d'une autorité humaine, ni d'un troisième terme venant s'interposer entre lui et Christ. Ce document authentique, clair, pouvant se comprendre par lui-même indépendamment de tout interprète, n'est autre que l'Ecriture que Luther se plaisait à appeler la chair de Christ. Les deux principes sont donc unis d'une façon tellement intime qu'au fond ils n'en forment qu'un seul qui peut être formulé comme suit: La piété évangélique a sa source et son origine dans la justification par la foi en Christ, tel que le pécheur a appris à le connaître personnellement dans la sainte Ecriture d'une manière authentique. Il faut donc se garder de mettre le principe formel sur l'arrière-plan dans l'intérêt du principe matériel. Celui-ci n'y gagnerait rien et l'autre, dans son isolement, perdrait toute consistance. Primitivement ce principe formel ne le cède point en dignité au principe matériel, et il est tout à fait contraire à l'histoire de prétendre, comme on le fait souvent, que le principe matériel est venu le premier tandis que l'autre n'est venu s'y adjoindre que plus tard, d'une manière tout à fait extérieure. On y aurait été conduit par le besoin de posséder, dans les controverses contre les catholiques, une autorité irréfragable en faveur de la doctrine nouvelle qu'on s'était du reste formée exclusivement au moyen du seul principe matériel. Tout au contraire comme ce n'est que par l'usage de l'Ecriture que les réformateurs en sont venus à saisir avec une clarté parfaite ce qui constituait le principe matériel, ils ont eu dès le début pleine conscience du rapport intime qui régnait entre les deux.

B. Des sources de la dogmatique protestante. — La dogmatique consistant en deux éléments, l'un historique, l'autre critique, il faut nécessairement puiser à des sources différentes. Nous parlerons ailleurs de ce qui concerne les sources de l'élément critique. Pour ce qui est des dogmes qui doivent être considérés comme ecclésiastiques, nous avons une distinction à faire. Il s'agit d'abord de constater le véritable état de la dogmatique, d'établir ce qui doit passer comme dogme, et ensuite d'en faire une exposition aussi claire et exacte que possible. Les livres symboliques peuvent seuls établir l'état de la dogmatique. Pour la seconde partie de sa tâche le théologien doit recourir, soit à ses propres ressources scientifiques, soit à la tradition scientifique de l'église évangélique. La tradition dogmatique se trouve dans les écrits des réformateurs, dans ceux des dogmaticiens évangéliques, particulièrement des plus anciens, antérieurs à la révolution théologique du XVIIIe siècle.

Voici une difficulté pour la dogmatique. Il faut recourir à des sources réformées et à des sources luthériennes, tant pour ce qui concerne les symboles que pour ce qui regarde la tradition scientifique; mais, au fait, l'accord est si profond entre les deux églises que les points de différence, en controverse, sont tout à fait relégués au second plan. Quand il y a opposition entre les deux dogmatiques, la mission du théologien consiste justement à constater ce qu'il y a de défectueux dans la conception des deux églises pour s'élever ensuite à une synthèse faisant prévaloir un point de vue supérieur.

Il est incontestable que les luthériens et les Suisses ont eu un point de départ différent; qu'ils n'ont pas eu entièrement la même tendance ni poursuivi le triomphe d'intérêts identiques. Néanmoins ces tendances diverses s'appelaient les unes les autres et devaient se compléter: aussi sans s'accorder complétement, concoururent-ils au même but. Il est résulté de là que, quoique différentes l'une de l'autre, les deux églises ne diffèrent pas par les principes. Il y a incontestablement une différence entre la piété des deux confessions, mais elle n'est pas spécifique, c'est-à-dire elle ne peut être ramenée à une notion claire et précise comme le prouvent surabondamment les inutiles

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