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PROGRAMME

DE LA DOGMATIQUE PROTESTANTE

AU XIXE SIÈCLE

PAR LE

Dr RICHARD ROTHE'.

I

Notion de la dogmatique évangélique.

Les dogmaticiens sont loin d'être d'accord quand il s'agit de déterminer la notion et la mission de cette science. Les différences tiennent déjà au fait que les uns se font dans la dogmatique leurs idées théologiques fondamentales, tandis que les autres se les forment déjà dans une discipline indépendante pour les transporter ensuite dans cette science. Nous nous trouvons dans ce dernier cas.

1. Du dogme et de la dogmatique en général. On tombera d'accord pour déclarer que la dogmatique est la science des dogmes. Reste à savoir ce qu'il faut entendre par un dogme, au sens théologique du mot. Il doit évidemment avoir ses racines dans la religion; c'est donc la notion de cette dernière science qui nous fera comprendre ce qu'il faut entendre par un dogme.

Considérée en elle-même, la religion est primitivement une piété subjective; la religion subjective est la primitive; l'ob

↑ Zur Dogmatik, von Dr Richard Rothe. Zweite Auflage. 1 vol. in-8°, de 349 pag. Gotha, Friedrich-Andreas Perthes, 1869.

jective n'est que dérivée. C'est là ce que Schleiermacher nous a appris; nous ne l'oublierons jamais. S'il y a bien des gens qui voient là un paradoxe, la chose ne s'explique que trop aisément. On confond en partie la révélation et la religion objective; on ne distingue pas entre le développement génétique de la notion religieuse et la méthode qu'aujourd'hui, dans la communauté chrétienne déjà existante, l'individu suit pour arriver à la religion.

Il va bien sans dire que la révélation est la présupposition indispensable de la religion subjective. La conscience humaine ne peut, en effet, devenir conscience religieuse, conscience du divin, qu'à la suite d'une excitation au moyen d'une objectivité extérieure qui n'est autre que la révélation naturelle ou surnaturelle. Chacun sait aussi comment de nos jours, empiriquement, l'individu arrive à la conscience religieuse et en général à tout ce qui concerne la piété : la religion objective lui est présentée extérieurement par d'autres; c'est là un mode d'agir qui constitue une partie importante de l'éducation et qui pour les mineurs représente la révélation même.

Aucun homme intelligent ne s'avisera de contester ces faits. Il n'en est pas moins certain que quand il s'agit de fixer la notion de religion, la religion subjective vient la première, l'objective la seconde, la révélation occupant d'ailleurs le tout premier rang. Avant que la religion objective puisse naître, il faut de toute nécessité que, par suite de la révélation, il y ait quelque chose de religieux qui demande à être objectivé, et c'est là la religion subjective ou la piété, c'est-à-dire la détermination de la personnalité par Dieu et cela, tout le monde l'ac-` corde, sous toutes ses faces. Sans doute la religion ne s'en tient pas à cette subjectivité, elle s'objective: la piété en se manifestant se donne une expression qui se fixe d'autant plus qu'elle est plus ancienne; elle exprime son caractère particulier dans un élément extérieur; elle se donne ainsi un corps pour ellemême et pour les autres. Plus la piété est intense et vigoureuse plus elle se donne ainsi un corps. Elle y est déjà poussée par les besoins de sa propre nature, indépendamment des motifs résidant dans la formation d'une communauté religieuse qui

doivent être grandement pris en considération. C'est ainsi qu'à la religion subjective s'en ajoute une objective on voit naître un ensemble de formes et de représentations au moyen desquelles une piété particulière a donné une existence objective et permanente à tous les traits principaux qui la caractérisent. Naturellement la piété s'objective ainsi sous toutes ses faces; l'activité de la volonté ou l'action s'y trouve représentée auss1 bien que la conscience ou la connaissance. Comme le dogme relève évidemment de la connaissance et non de la pratique, c'est ce côté-là qui doit seul nous occuper ici.

La connaissance religieuse s'objective à des degrés divers qui correspondent aux phases mêmes de son développement. La connaissance religieuse, comme toutes les autres fonctions de la personnalité en général, se développe en tout premier lieu par le côté individuel. Nous commençons par apprendre au moyen du sentiment, qui est spécifiquement différent chez chacun, plutôt que par l'entendement, qui demeure identiquement le même chez tous les hommes. Le pressentiment, le sentiment de Dieu constitue notre première connaissance religieuse. Il s'objective dans une image, dans un symbole (au sens esthétique et non ecclésiastique): la religion objective, à son premier degré, est une mythologie. Loin de prendre ce mot au sens défavorable, nous affirmons que la notion de religion, par conséquent aussi le christianisme, implique une mythologie, tout un monde appartenant à la fantaisie religieuse.

Vient ensuite la connaissance par l'entendement, l'élément général, la connaissance réfléchie qui produit la science. La science religieuse ne peut s'objectiver que dans une forme universelle, la parole, ce qui nous donne la doctrine. Ici encore. nous avons une gradation : la représentation d'abord ou la pensée incomplète qui nous donne l'opinion religieuse; la pensée proprement dite, qui s'objective dans la thèse (le dogme). Mais tout ceci peut n'avoir lieu encore qu'à l'occasion de certains éléments déterminés de la conscience religieuse, juxtaposés et pris dans leur isolement. Lorsque tout est ramené à l'unité de façon à former un organisme nous avons le système.

Tout ce développement que nous avons suivi d'une manière

abstraite, s'accomplit concrètement dans le sein de la société piété s'objective successivement de la manière où cela vient religieuse, dans l'église. Elle naît elle-même par le fait que la d'être indiqué. Bien que l'élément mythologique soit indispensable à l'ensemble, il se montre bientôt insuffisant à lui seul. Les individus éprouvent le besoin de s'entendre dans le domaine de la connaissance. On en vient à une communauté de science dans l'église en ce que celle-ci objective les diverses connaissances individuelles en une doctrine religieuse déterminée, qu'elle proclame, sanctionne de son autorité comme l'expression adéquate de la conscience particulière de cette société religieuse et commune à tous ceux qui en sont membres. Nous obtenons alors la doctrine ecclésiastique, positive et autorisée, sans laquelle il ne saurait y avoir d'église. Nous avons d'abord les opinions religieuses qui s'objectivent dans les usages ecclésiastiques; mais comme ce premier degré est encore trop vague et trop incertain, il ne manque pas d'éclater des dissensions qui obligent l'église à s'élever à des pensées plus précises, que tous ses membres considèrent comme l'expression parfaitement adéquate de leur conscience religieuse. Ce n'est que lorsque la conscience religieuse d'une église a obtenu une expression dans de pareilles pensées que le besoin de vie en commun est pleinement satisfait. Dès l'instant où une pareille pensée est sanctionnée par l'église et présentée comme l'exposant adéquat de la conscience religieuse de ses membres elle devient un dogme. La chose ne peut avoir lieu authentiquement qu'au moyen d'une confession de foi. Les confessions de foi font seules les dogmes; mais on ne peut faire de confession de foi qu'avec des matériaux dogmatiques, avec des idées, des pensées et non avec des représentations et des opinions nécessairement trop vagues et trop indéterminées.

Ce qui constitue le dogme, ce n'est pas son contenu mais sa forme, savoir sa qualité scientifique comme pensée parlant à l'entendement et son expresse sanction par l'église. Des principes de conduite peuvent donc être aussi bien des dogmes que des articles de foi. Tout dogme suppose l'église, et comme celle-ci est divisée, une confession particulière, Tous les dog

mes d'une église spéciale, sans réserve aucune, portent l'empreinte du principe spécial qui la caractérise. Aucun d'eux ne peut être arbitrairement arraché du sol où il plonge ses racines. Depuis la séparation des églises, il n'y a plus de dogmes généraux et communs '.

Le besoin de systématiser les dogmes d'abord isolés et séparés, se fait sentir pour l'église comme pour les individus. La contradiction, du moins apparente, qu'on ne tarde pas à découvrir entre plusieurs dogmes, obligerait à elle seule à faire ce pas en avant. Ces dogmes organisés et ramenés à l'unité donnent la dogmatique. Cette tendance à systématiser se montre d'abord après que les dogmes particuliers ont été arrêtés. Elle aboutit en partie à en former de nouveaux, parce que, pour obéir aux exigences de la systématisation, il faut nécessairement transformer ou du moins modifier quelques dogmes déjà fixés. Ce fait est un indice qu'il y a une erreur quelque part : aussi l'ensemble doit-il être soumis à une manipulation dialectique nouvelle qui fasse tout rentrer dans l'unité et dans l'harmonie, car enfin la conscience religieuse spéciale qui a produit ces éléments divers est une.

La dogmatique est donc l'exposition scientifique de la doctrine officiellement reconnue dans une église particulière. Elle ne peut se borner à exposer la somme des idées qui règnent dans le sein d'une confession; il s'agit de faire ressortir le lien intérieur réunissant les diverses parties et les mettant en rapport avec le caractère fondamental qui se manifeste en elle sur le terrain intellectuel, comme l'expression d'une conscience religieuse particulière. On ne saurait se borner à montrer un simple lien logique entre les divers dogmes, en les rangeant sous des rubriques diverses comme autant de locos communes. Ce n'est là que le lent commencement de la dogmatique. Il faut signaler un lien intérieur en accusant le principe supérieur qui justement parce qu'il domine tous les détails, doit servir à les grou

Le symbole des apôtres n'est nullement un ensemble de dogmes; son caractère purement historique montre déjà, à lui seul, que lors de sa rédaction l'église n'en était pas encore venue à ce point de développement où les dogmes se forment.

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