Page images
PDF
EPUB

tique n'est pas d'élever par la méthode démonstrative un édifice de principes purement théoriques, pouvant tenir la place de la foi, mais d'exposer celle-ci d'une manière scientifique. » Aussi longtemps, dit Dorner, qu'on considère la foi en l'inspiration et en la divine autorité de l'Ecriture comme le premier pas dans la voie de la piété chrétienne, sans lequel il est impossible d'aller plus loin, et qu'on prétend que la foi réclamée par le christianisme est identique avec la foi en l'inspiration, on est condamné à voir poindre avec terreur et effroi chaque nouvelle critique du canon traditionnel de l'église. On n'est pas dans la disposition d'esprit convenable pour aborder avec calme les recherches historico-critiques, ni pour les examiner avec cette impartialité qui ne se préoccupe que de la vérité. Sans s'en douter on laisse à l'autorité de l'église le soin de décider en dernier ressort on perd le droit de retrancher les apocryphes.

<< On court également le danger de fonder le christianisme sur les raisonnements de la sagesse humaine qui ne peuvent établir que la vraisemblance et jamais une certitude complète. On risque de ne plus considérer le christianisme comme une harmonie de l'esprit et de la vie, qui, éminemment historique, se rajeunit à chaque génération, pour en faire soit une histoire appartenant entièrement au passé et morte, sans aucune liaison intime avec le présent; soit un système d'éternelles vérités sans vie aucune, auxquelles nous devons soumettre notre foi, notre conduite, notre volonté sur le témoignage de messagers divins, dont la mission est dûment paraphée. Mais cela s'appelle nous ramener sur le terrain de la loi, éterniser cette économie et affirmer que rien ne saurait la dépasser. Quel est en effet le signe de la servitude? C'est de ne pas reconnaître la vérité comme vérité, de la faire dépendre de témoignages purement humains et d'autorités extérieures, au lieu de se laisser convaincre par la puissance intérieure de la vérité et par sa connaissance qui rend libre. (Jean VIII, 37; XIV, 26.) Notre théologie moderne a conservé une grande égalité d'esprit au plus fort du danger que faisaient courir à la foi les entreprises de la critique. Savez-vous l'explication de ce mystère ? C'est qu'elle

sait à merveille que la foi en l'inspiration du canon traditionnel n'est pas la condition, le premier pas indispensable dans la voie qui conduit à croire à Christ; que cette foi en l'Ecriture n'implique pas la foi chrétienne; qu'elle ne suffit pas à l'établir. Enfin la théologie moderne sait aussi que le développement de la vie religieuse, morale, réelle et non pas exclusivement intellectuelle, ne manque pas de conduire celui qui s'y est confié avec droiture et persévérance, non-seulement à Christ, mais aussi à reconnaître l'autorité normative et divine des documents de la révélation. C'est là tout ce qu'il faut, et à l'individu et à l'église. L'autorité normative de la sainte Ecriture obtient ainsi un beaucoup plus haut degré de certitude que celle que pourrait lui conférer la théorie la plus développée de l'idée alexandrine de l'inspiration. Mais cette certitude de l'autorité de la sainte Ecriture nous la puisons aussi dans l'autorité de Christ, après que sa puissance rédemptrice et sa dignité nous sont devenues par la foi choses certaines. Le contraire n'a pas lieu nous ne possédons pas Christ en vertu d'une autorité divine, vraie, certaine de l'Ecriture. La parole de Dieu ne nous a pas été donnée pour nous séparer de Christ, pour le supplanter lui et son esprit. Si la communion avec l'Ecriture devait tenir la place de celle de Christ, on la traiterait d'une manière superstitieuse, on pécherait contre Christ qui est le Seigneur et le Maître de l'Ecriture; d'autre part contre l'Ecriture elle-même, dont l'unique but est de nous conduire à lui. »

On le voit, Rothe est loin de partager les illusions des hommes qui parmi nous se croient les représentants de l'ancienne théologie, parce que tombant dans un supranaturalisme excessif, ils prétendent tout faire reposer sur l'autorité de l'Ecriture comprise d'une façon tout à fait extérieure. La certitude de l'autorité de la sainte Ecriture se puise pour lui dans l'autorité de Christ, « après que sa puissance rédemptrice et sa dignité nous sont devenues par la foi choses certaines. Le contraire n'a pas lieu; nous ne possédons pas Christ en vertu d'une autorité divine, vraie, certaine de l'Ecriture. >> On ne peut subordonner plus expressément le principe formel au principe matériel. Si la moindre hésitation était encore possible, il suf

firait de rappeler que Rothe loue fortement Schleiermacher de nous avoir enseigné ce que nous n'oublierons plus, savoir: que la religion subjective est la première. (Pag. 1 et 2, Introduction.)

Un des plus importants dissentiments entre la théologie ancienne et la théologie moderne porte sur la manière de concevoir l'Ecriture et la révélation. Cette dernière notion avait fini par être oubliée pour être confondue avec celle de l'Ecriture et celle-ci était devenue l'expression adéquate de la révélation. Les anciens théologiens ont eu le mérite de trancher d'une manière assez heureuse, en théorie du moins, tout ce qui concerne les rapports entre la raison et la révélation spéciale. Malheureusement, guidés en ceci par une fausse notion de la religion, ils ont vu avant tout dans la révélation la communication de connaissances s'adressant à l'entendement, sous la forme d'enseignements didactiques, d'une manière immédiate et par une inspiration mécanique. La théologie moderne, après avoir sondé les Ecritures, a établi, au contraire, qu'elles nous présentent la révélation « comme une série continue et organique de faits et d'institutions historiques, auxquelles se rattachent, dans un milieu déterminé, des illuminations surnaturelles des prophètes sous les formes les plus diverses: visions, discours intérieurs par l'esprit de Dieu, moins en vue de communiquer de nouvelles connaissances religieuses, que pour annoncer à l'avance certains événements historiques. » (Pag. 24, Introd.)

L'activité divine qui révèle n'est plus alors qu'une forme spéciale de l'activité rédemptrice, en vue de préparer la rédemption, de la rendre historiquement possible. La révélation consiste en une purification, en un affermissement de la conscience religieuse, effectué d'une manière surnaturelle par Dieu.

C'est surtout quand il s'agit de déterminer comment Dieu purifie et fortifie la conscience que les hommes ont de lui, que la différence fondamentale entre les deux théologies éclate dans tout son jour. D'après les anciens théologiens - fidèles, encore ici à leur notion intellectuelle de la religion et de la révélation, le rapport entre Dieu et l'homme serait exclusivement méca

nique; Dieu se révélerait à l'homme sans que celui-ci fût, de son côté, une personne concourant à l'œuvre. A cette conception mécanique, qui réduirait la conscience à n'être plus qu'un organe atrophié et superflu, les théologiens modernes ont substi tué la notion morale. La révélation doit avoir ses points de contact, ses pierres d'attente dans l'homme; essentiellement surnaturelle, elle ne peut toutefois être communiquée aux hommes que par les méthodes morales. Bien que la révélation doive s'accomplir par des procédés moraux, ce n'est pas à dire qu'elle perde en rien son caractère immédiat et surnaturel. L'essentiel c'est que Dieu accomplisse la transformation de la conscience religieuse, au moyen d'une activité qui mette en jeu, d'une manière naturelle, toutes les facultés de notre âme.

Rothe établit que la révélation doit nécessairement se composer de deux facteurs. Vu son état de péché, l'homme ne saurait parvenir à connaître Dieu par les moyens naturels. D'un autre côté il ne peut être question d'établir de nouvelles données intérieures, car ne pouvant pas avoir le concours de l'homme, elles réclameraient, de la part de Dieu, une action mécanique, magique, ce qui serait contraire à la nature morale de la révélation. Que faire done? Lorsque Dieu veut se révéler à l'homme pécheur, il doit commencer par recourir à des faits extérieurs, soit naturels, soit historiques, qui soient propres à éveiller dans la conscience la vraie idée de Dieu et cela avec évidence. Il faut insister sur ce dernier caractère. Ces événements extérieurs ne doivent pouvoir s'expliquer que par l'idée de Dieu. C'est là l'élément de la manifestation: la révélation est une manifestation de Dieu.

Mais l'expérience chrétienne et la nature des choses s'accordent à attester qu'il ne suffit pas que Dieu se manifeste pour être bien compris par l'homme. Il faut donc encore l'élément de l'illumination, de l'inspiration. Sous peine de ne pas être compris, Dieu doit accompagner la manifestation extérieure d'une action immédiate qui illumine la conscience religieuse et provoque en l'homme des connaissances intérieures permettant de recevoir la manifestation extérieure.

B

Il résulte de tout ce qui précède que le surnaturel est le trait caractéristique de la révélation. Rothe est de tous les théologiens modernes celui qui insiste le plus sur ce caractère. Cette partie de la révélation, qu'il appelle la manifestation, n'aurait pu avoir lieu sans miracle et sans prophétie.

<< Le miracle et la prophétie ne sont pas des attributs et signes extérieurs, des appendices qu'on ajoute à la révélation, des enseignes indépendantes qu'on y suspend du dehors pour nous la faire croire, mais bien des éléments constitutifs de la révélation. Ce n'est pas pour légitimer ses messagers que Dieu a fait des miracles, mais dans son propre intérêt, pour se faire voir d'une manière évidente aux hommes aveuglés par le péché. La révélation n'est pas accompagnée de miracles et de prophéties, elle consiste en miracles et en prophéties. Un fait historique est une révélation, parce qu'il implique miracle et prophétie; qu'on retranche de la révélation les faits surnaturels (miracles), la connaissance surnaturelle (prophétie) et cela au sens strict du mot surnaturel, je cherche ce qu'il pourrait encore y avoir de surnaturel en elle. Pourquoi une révélation est-elle indispensable? Parce que le cours ordinaire de la nature ne fait pas voir Dieu avec évidence à l'homme pécheur. Il n'y a donc que des faits en dehors de ce cours ordinaire, des miracles, qui puissent suppléer à ce qu'il est hors d'état de faire lui-même. Or comme le miracle serait une image morte à lui seul, il est inséparable de l'histoire sainte. Je n'ai pas honte de le dire, je ne comprendrais pas une révélation divine dans laquelle le surnaturel, l'activité de Dieu, ne pourrait pas être constatée d'une manière grossière, parlant aux sens. Tout ce que je puis accorder, c'est que plus un acte du drame divin se trouve dans le grand courant progressif de l'idée de Dieu, plus l'élément du miracle peut rester à l'arrière-plan. » (Pag. 31.)

Tout en insistant aussi fortement que l'ancienne apologétique sur l'importance du miracle, Rothe est loin de lui faire jouer le même rôle. C'est pour la manifestation seule qu'il le croit indispensable. S'il est vrai que les premiers témoins de la révélation n'auraient pu la reconnaître comme divine sans miracle, il en est tout autrement pour nous qui avons vu passer dans la

« PreviousContinue »