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Eloquence religieuse.-Bossuet.-Ensemble de sa vie et de ses œuvres.-
Discours sur l'histoire universelle.-Oraisons funèbres.- Sermons.-
Bossuet cartésien.
Caractère de son éloquence. Moralistes.

Malebranche.

Fléchier.

Bourdaloue.

La Bruyère.

L'essor de la poésie pendant les premières années du règne de Louis XIV n'est pas la conséquence directe du pouvoir absolu de ce prince, mais de l'usage qu'il en fit, par grandeur d'âme, et de la liberté qu'il laissa aux hommes de génie, qu'il inspirait encore par le voisinage de ses hauts faits et dont il garantissait les loisirs par ses libéralités. Cette liberté était tempérée par les bienséances, et elle n'en fut que plus féconde; elle se réglait d'elle-même sous l'œil bienveillant du maître. La chaire aussi fut libre, non par tolérance, mais de droit et par devoir. Elle fut respectueuse dans l'exercice de son droit, dans l'accomplissement de ses devoirs; car rien alors ne se produisait sans rendre hommage au monarque dont le pouvoir était partout présent. A aucune époque, l'Église en France n'eut autant de splendeur; assurée de son pouvoir par la piété du prince et par la foi des peuples, en retour elle fut sincèrement gallicane, c'est-à-dire que, sans cesser d'être catholique, elle se montra monarchique et nationale. Le choix des évêques que le discernement et la justice de Louis XIV élevaient, non par caprice, mais selon l'ordre du talent et des vertus, avait fait de l'épiscopat de France un corps vénérable par l'exemple, puissant par la parole. Le pouvoir royal, qui l'honorait en le contenant, et qui, par prudence autant que par respect, n'appela jamais aucun de ses membres à la direction des affaires. publiques, obtint de lui la déclaration de 1682, garantie de l'indépendance du trône. Dans ces termes de déférence commune et de concert indépendant se manifesta la liberté religieuse, et avec la liberté, l'éloquence, bannie du domaine de la politique que lui interdisait la royauté. Ainsi,

sous le pouvoir absolu, c'est encore un souffle de liberté qui féconde le génie. C'est l'autorité de la religion et l'indépendance qu'elle impose comme un devoir à ses ministres qui ont fait la grandeur de Bossuet, de Bourdaloue, de Fénelon et de Massillon. Nous allons en saisir quelques traces en jetant un coup d'œil rapide sur l'œuvre de ces grands hommes. L'ordre des temps, comme celui du génie, donne la première place à Bossuet.

Bossuet paraît le modèle accompli du docteur et du prêtre. Sa vie est un long combat où le courage ne lui manque jamais ni la victoire : considérée dans son ensemble, elle montre dans la suite de ses travaux, d'abord l'adversaire du protestantisme ramenant, par la mission de Metz, de nombreux dissidents au sein de l'Église; enlevant à l'hérésie le plus illustre de ses apôtres, le grand Turenne; leur ôtant, par l'exposition claire et précise de la foi, tout motif sérieux de dissentiment; réduisant Claude, par une argumentation serrée, au silence ou à la contradiction; confondant les insolentes prédictions de Jurieu, et déroulant le tableau des variations des sectes dissidentes, en regard de l'immuable vérité; enfin, essayant, avec le grand Leibnitz, de réunir en un seul corps tous les membres divisés de la famille chrétienne. Voilà ce qu'il a fait du côté de l'hérésie. Dans le sein de l'Église catholique, prédicateur infatigable du dogme et de la morale chrétienne, il montre à tous ce qu'il faut croire et ce qu'il faut faire; il repousse avec une égale énergie la morale excessive de ces docteurs qui font haïr la vertu, et celle de ces casuistes dont les relâchements, la coupable complaisance, excusent le vice et élargissent outre mesure la voie étroite qui conduit au ciel; oracle de l'Église gallicane, il en proclame les principes, sans arrière-pensée de flatterie pour la royauté, sans volonté, mais sans crainte d'irriter le saint-siége enfin il combat à outrance le quiétisme, qui lui semblait, sous les apparences d'une perfection impossible, mener fatalement aux erreurs d'un déisme mystique.

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Orateur, théologien, philosophe, historien, cet infatigable athlète accumule les chefs-d'œuvre sans paraître y

songer : il met à tout ce qu'il touche le sceau de son génie. Dans la chaire chrétienne, il fait entendre des accents inouïs jusqu'alors et qu'on n'entendra plus lorsque sa voix s'éteindra. Dans l'histoire, dans la philosophie, même supériorité. Bossuet n'a rien fait en vue de lui-même ni de la gloire humaine; il n'a jamais écrit pour écrire, mais pour agir; tous ses écrits sont des actions, et ses actions, l'accomplissement d'un devoir. Il ne s'est jamais dit : « Sois orateur, sois historien, sois philosophe. » Ses ouvrages sont des actes qui témoignent de l'exercice de ses fonctions: il prêche, parce qu'il est prêtre ; il enseigne, parce qu'il est précepteur; il combat, parce qu'il est croyant. L'auteur n'est pas distinct de l'homme; sa vie et ses œuvres se confondent. Les mots ne sont rien pour lui: son style, et il n'en est que plus merveilleux, c'est l'ordre, c'est l'enchaînement, c'est la vigueur, c'est le corps même de la pensée qui sort tout armée de son cerveau. Où trouverez-vous pareille identité entre la pensée et le langage? quel est l'écrivain qui n'ait point quelque complaisance pour les mots, qui ne s'arrête quelquefois à les ajuster, à les parer? quel est celui, même entre ceux qui ne veulent pas se faire remarquer, qui ne se laisse voir et surprendre? Ailleurs vous sentirez l'effort; dans Bossuet, vous ne voyez que la force. Pour les uns, le langage est un vêtement, pour les autres une parure; à quelques-uns il tient lieu de substance; dans Bossuet, c'est la pensée visible et nue.

On a l'air de déclamer lorsqu'on dit que Bossuet est plus qu'un orateur, que c'est l'incarnation de l'éloquence; et cependant, si on confronte l'idée de l'éloquence et les discours de Bossuet, on trouve l'expression simple et vraie. En effet, l'éloquence n'est-elle pas la production animée, simple, énergique, souveraine, de la raison et de la passion humaines? Or, le langage de Bossuet est-il autre chose? n'est-ce pas la raison et la passion manifestées sans efforts et par un mouvement continu? la passion et la raison de Bossuet ne se font-elles pas maîtresses des nôtres ? ne nous entraîne-t-il pas, ne nous tourne-t-il pas à son gré,

ne nous emporte-t-il pas dans un essor irrésistible? On peut donc dire à la lettre que Bossuet, c'est l'éloquence même. Par la même raison, Bossuet est plus qu'un théologien : les lumières et les mystères de la théologie se sont incorporés à son intelligence; il sait la doctrine, il connaît les faits et leur signification. Non-seulement il les connaît, mais il en dispose librement comme de sa chose propre : la Bible est là avec l'Évangile, avec les Pères, avec les conciles; tout y est écrit comme dans un livre, et ce livre est toujours ouvert sous les yeux de son esprit. Il est donc vrai de dire que Bossuet est la théologie même.

Éloquence et théologie, voilà tout Bossuet: aussi, quelque sujet qu'il aborde, il se montrera théologien et orateur. Il aborde l'histoire; l'histoire dans ses mains devient un discours religieux : c'est un récit des faits de Dieu ou plutôt de ses desseins accomplis par l'entremise de l'humanité qui les ignore. Des hauteurs où il se place pour considérer l'histoire, les empires ne lui apparaissent plus que comme des individus, et les destinées de ces individus ne sont que des scènes ou des actes d'un drame unique qui se dénoue par la naissance du Christ et la rédemption du genre humain.. Le prologue, c'est la création; l'exposition, la chute de l'homme; le nœud, la dispersion des hommes, les progrès de l'idolâtrie, et la durée du peuple de Dieu; la péripétie, la corruption et le déclin du monde idolâtre; le dénoûment, l'avénement du libérateur et le triomphe de sa doctrine.

Bossuet a résumé toute sa doctrine historique dans les dernières pages de son discours sur l'histoire universelle ; il conclut comme Balzac, mais en d'autres termes, que ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et que si les hommes en sont les acteurs, Dieu en est le poëte. Ceux qui s'imaginent gouverner le monde travaillent à un dessein qu'ils ignorent : « Ils font, dit Bossuet, plus ou moins qu'ils ne pensent, et leurs conseils n'ont jamais manqué d'avoir des effets imprévus; ni ils ne sont maîtres des dispositions que les siècles passés ont mises dans les affaires, ni ils ne peuvent prévoir le cours

que prendra l'avenir, loin qu'ils le puissent forcer. Celui-là seul tient tout en sa main, qui sait le nom de ce qui est et de ce qui n'est pas encore, qui préside à tous les temps et prévient tous les conseils. Alexandre ne croyait pas travailler pour ses capitaines, ni ruiner sa maison par ses conquêtes. Quand Brutus inspirait au peuple romain un amour immense de la liberté, il ne songeait pas qu'il jetait dans les esprits le principe de cette licence effrénée par laquelle la tyrannie qu'il voulait détruire devait être un jour rétablie plus dure que sous les Tarquins. Quand les Césars flattaient les soldats, ils n'avaient pas dessein de donner des maîtres à leurs successeurs et à l'empire. En un mot, il n'y a point de puissance humaine qui ne serve malgré elle à d'autres desseins que les siens : Dieu seul sait tout réduire à sa volonté. C'est pourquoi tout est surprenant, à ne regarder que les causes particulières, et néanmoins tout s'avance avec une suite réglée. » Cette suite réglée des événements acheminait l'humanité à la rédemption par la venue du Christ. Là s'arrête l'historien, et il ne dit pas où le christianisme conduira le monde. Il explique le passé, il n'ose pas sonder l'avenir. Il ne nous fait pas même entrevoir quelle sera sur la terre la condition des fils d'Adam, lorsque la doctrine évangélique, qui les a déjà transformés en les effleurant, aura fini par les pénétrer.

Dans la constitution d'un État, Bossuet paraît s'arrêter, si l'on s'en rapporte au traité de la Politique tirée de l'Écriture sainte, au pouvoir absolu d'un seul, réglé par la religion et tempéré par la justice; le gouvernement de Louis XIV lui semble la forme dernière et la meilleure d'une société de chrétiens. Cependant d'après le tableau de l'Égypte, qu'il compose avec complaisance de traits empruntés à Hérodote, à Diodore, à Tacite, sur un idéal qui lui appartient, on peut croire qu'il y aurait apporté quelques réformes. En effet, dans cette terre de sagesse et de piété telle qu'il la décrit, << la vraie fin de la politique est de rendre la vie commode et les peuples heureux. » En outre, « il n'était pas permis d'être inutile à l'État la loi assignait à chacun son emploi, qui se

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