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cela, rien n'est absolu, ni vague, ni impraticable; l'homme d'État, rompu aux affaires, reconnaît qu'il n'y a point de formules assez compréhensives pour être complétement impératives, ni de recettes souverainement efficaces contre tous les maux qui peuvent travailler les empires. Pour cela il ne désespère pas, il n'appelle pas à son aide le despotisme aussi dévoile-t-il les secrètes pensées de ceux qui voient dans la proposition d'assembler les états un crime de lèse-majesté et le dessein de diminuer l'autorité du roi; il leur renvoie sans hésiter ce double reproche, et il ajoute « Ces paroles servoient et servent encore à ceux qui sont en auctorité et crédit, sans en rien l'avoir mérité, et qui ne sont propices d'y estre, et n'ont accoutumé que de flageoller et fleureter en l'oreille, et parler de choses de peu de valeur, et craignent les grandes assemblées, de peur qu'ils ne soient connus, ou que leurs œuvres ne soient blasmées. »

On a dit avec raison que le livre de Comines devait être le bréviaire des hommes d'État; mais on peut supposer, sans témérité, que ceux qui s'occupent du maniement des hommes et des affaires ne le lisent pas tous les jours. Cependant rien ne leur serait plus salutaire pour apprendre à ne pas tenter l'impossible, à ne pas s'irriter des obstacles, à résister et à céder en temps utile. La politique est un art fort délicat. Telle que la comprend Comines, elle n'a rien d'absolu: elle est la science des occasions dans le cours ordinaire et dans les crises de la vie des nations; elle veut qu'on connaisse les hommes, qu'on les ménage en les guidant, qu'on ne les méprise ni ne les craigne. Le métier serait trop facile, s'il consistait uniquement soit à intimider, soit à complaire l'autorité doit être redoutable et non menaçante, secourable et non obséquieuse; elle doit toujours mériter le respect, ne pas s'offenser outre mesure des défiances injustes, temporiser ou s'empresser selon les conjonctures, et par-dessus tout régler sa marche non en vue de son propre accroissement, mais du maintien et de l'avancement de la chose publique qui lui est confiée. Comines l'entend ainsi, et il serait digne de faire école.

Comines, élevé négligemment en gentilhomme, n'eut guère d'autre instruction que la pratique des affaires et la lecture des historiens qu'il recommande aux hommes d'État. Il regrettait d'être sans littérature, et c'est peut-être à cette circonstance qu'il doit sa gloire d'écrivain; car la connaissance des langues anciennes aurait pu le gâter en lui inspirant l'ambition, alors prématurée, d'écrire à la manière des anciens. Il s'est contenté des richesses acquises de la langue vulgaire, et il a su les employer avec le discernement d'un esprit supérieur qui réussit à exprimer sa pensée sans prétendre à l'embellir. De son temps, dans des genres inférieurs, l'auteur du Petit Jehan de Saintré et des Quinze joies du mariage, Antoine de La Sale, sut donner à la prose badine une grâce et une aisance que n'ont point connues les émulateurs novices de l'antiquité. C'est dans ces écrivains de lignée gauloise qu'il faut chercher l'originalité des tours et des mots propres à notre langue, pour restituer à notre idiome quelques traits de son antique physionomie. Fénelon donnait déjà, à la fin du dix-septième siècle, ce conseil qui n'a pas été écouté. Il est toujours temps, il est peut-être urgent de le suivre. C'est pour cela que nous osons le renouveler en terminant cette esquisse des phases principales, ce rapide inventaire des plus notables œuvres du génie français pendant le moyen âge. La langue doit reprendre son bien partout où elle le trouve, et rien n'est plus légitime ni plus honorable que de remettre en lumière des monuments, ou même de simples matériaux, trop longtemps enfouis ou dédaignés, et qui peuvent augmenter le trésor de la langue et de la littérature nationales.

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CHAPITRE I.

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La renaissance et la réforme.. Marot. Sa vie et ses œuvres. Rabelais. Gargantua et Pantagruel. Calvin. Caractère de sa doctrine et de sa polémique. Son style. Influence littéraire de Saint-Gelais.

François I. Herberay des Essarts.

Théodore de Beze.

Desperriers.

Le seizième siècle nous apparaît comme une époque de troubles et de confusion; mais c'est un chaos d'où devait sortir la civilisation moderne. La crise qui éclata alors était préparée de longue main. Deux grands faits historiques dominent cette époque, la renaissance des lettres et la réforme religieuse; le lien qui les unit est facile à reconnaître; quoique l'un n'ait pas engendré l'autre, il est clair qu'il lui a prêté une force nouvelle et préparé son triomphe. La renaissance littéraire, c'est-à-dire l'exhumation des trésors intellectuels de l'antiquité, en faisant briller, au milieu de la société formée par le catholicisme et la féodalité, les langues, la politique, la philosophie, les croyances religieuses de Rome et d'Athènes, devait porter un coup terrible à une organisation déjà épuisée par sa durée et par ses propres vices. Au reste, l'invasion des lettres anciennes ne fit pas naître l'idée de la réforme; cette idée n'était pas nouvelle, plusieurs fois elle avait fait explosion : le douzième siècle avait eu ses réformateurs, réprimés d'abord par l'autorité des conciles et plus tard par la rigueur des châtiments; plus forte au quatorzième et au quinzième siècles, elle avait eu pour apôtres Viclef en Angleterre, Jean Huss et Jérôme de Prague en Allemagne; animée par le ressenti

Histoire littéraire.

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ment d'un supplice odieux, elle avait failli triompher par la puissance d'un chef incomparable, de Zisca vainqueur des troupes impériales dans huit grandes batailles. La renaissance ne fut donc qu'un auxiliaire de la réforme. Bien des causes indépendantes du progrès des esprits avaient ébranlé l'édifice catholique; car, sans parler des luttes intérieures de l'Église si longtemps troublée et divisée par le grand schisme d'Occident, la papauté avait elle-même travaillé à sa ruine les désordres d'Alexandre VI, l'esprit guerrier de Jules II, la mollesse païenne, l'épicurisme de Léon X, avaient successivement affaibli le respect des peuples pour la tiare.

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La réforme, née en Allemagne, avait éclaté à l'occasion d'une rivalité entre deux ordres religieux qui se disputaient la vente des indulgences. Ce conflit détermina une explosion inévitable. Luther prêta sa voix puissante aux adversaires de la papauté, et le pouvoir politique, jaloux de s'affranchir sans retour de la tutelle de Rome, favorisa ses énergiques prédications. Le contre-coup de ce grand ébranlement se fit bientôt sentir en France. Les opinions nouvelles trouvèrent faveur parmi les savants, les poëtes et les courtisans; François Ier les toléra d'abord sans les adopter, comme il les persécuta plus tard sans les haïr. Parmi les beaux esprits de la cour qui prêtèrent tout d'abord une oreille favorable aux bruits venus de l'Allemagne, sans bien comprendre où tendaient ces terribles et séduisantes nouveautés, il faut placer au premier rang le poëte Clément Marot, fils d'un poëte qui n'était pas sans talent, Jean Marot, que Louis XII et François Ier eurent en grande considération. Le jeune Clément profita de la bonne volonté de son père,

Qui lui souloit une leçon donner,

Pour doucement la musette entonner;

il était à bonne école pour la poésie.

Les débuts de Marot furent singulièrement heureux; mais ses succès mêmes lui préparèrent une vie de combats.

Rien de plus orageux, de plus traversé, que cette carrière d'un poëte né avec une humeur joyeuse et qui avait souri à la vie avec tant d'ivresse et d'insouciance'! En effet, il eut à lutter contre une ligue de redoutables inimitiés; nous trouvons comme instigateurs de toutes les persécutions qu'il a subies, Diane de Poitiers, qui punit ses dédains par une haine implacable; Sagon, chef de ses ennemis poétiques; Jean Bouchard l'inquisiteur et la Sorbonne, ses ennemis religieux: la Sorbonne insensible aux charmes de la poésie et intraitable en matière de foi. Heureusement Marguerite de Valois, la sœur du roi de France, opposa sa tendresse aux ressentiments de Diane; Mellin de Saint-Gelais, Charles Fontaine, Bonaventure des Perriers, Rabelais, prirent en main la cause du poëte outragé par Sagon; enfin l'inimitié religieuse de l'inquisiteur Bouchard fut souvent mise en défaut par l'active protection de François Ier. Toutefois, les chances de la lutte ne tournèrent pas en faveur des défenseurs de Marot; car la haine se fatigue moins vite que l'amitié. Le poëte aimé du roi, le favori de Marguerite, eut à subir deux emprisonnements, autant de fuites, et ce drame, se termina douloureusement dans l'exil, l'isolement et la misère.

Marot a laissé un nom qui ne périra point et quelques œuvres durables. Il n'a pas été surpassé dans les genres où il a pleinement réussi, l'épigramme, le rondeau, le madrigal et l'épître badine. Il a tout le sel et toute la grâce de l'esprit gaulois, mais il manque d'élévation, et lorsqu'il a essayé la haute poésie sur les traces d'Ovide, de Virgile, ou de David, il a perdu sa naïveté sans atteindre la noblesse. Ce n'est pas que ce génie vif, alerte et délicat ait manqué de feu et d'énergie; il avait tout de l'abeille : le miel, l'ai

1. Il le disait avec regret, vers la fin de sa vie, dans ces vers pleins de grâce :

Sur le printemps de ma jeunesse folle,
Je ressemblois l'hirondelle qui vole
Puis çà, puis là; l'âge me conduisoit,
Sans peur ni soin, où le cœur me disoit.

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