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couragés ou simplement tolérés que sous un roi populaire, de bonne volonté et de conscience nette. Ils ne durèrent pas longtemps.

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Il y aurait peu de chose à dire de la farce, où s'exerçaient les clercs de la basoche comme acteurs et comme poëtes, si ce genre n'avait produit un chef-d'œuvre. La farce n'est que le fabliau badin mis en action; elle procède des récits des conteurs, comme les mystères des livres saints, et les miracles de la légende. Mais ici la donnée est souvent licencieuse, et la forme dramatique met encore en relief les vices du sujet. Lorsqu'on jette les yeux sur la plupart de ces ouvrages, on se demande où et quand ils ont pu être représentés, quels regards ont pu soutenir ce spectacle, quelles oreilles entendre ce langage. Il faut bien l'avouer, car trop de témoignages le démontrent, la licence des mœurs et le cynisme du langage s'étalaient alors effrontément, et le déréglement avait atteint toutes les classes. Ce quinzième siècle avait ses plaies honteuses de corruption après les horreurs de l'âge précédent : on voulait se divertir, parce qu'on avait longtemps souffert de la guerre civile, de la guerre étrangère, de l'oppression intérieure; et on se divertissait grossièrement, parce que l'élégance manquait pour farder et déguiser la corruption. Ces saletés soulèvent le cœur, et il faut s'en détourner à la hâte après les avoir signalées.

Toutes les farces ne sont pas dans ce goût; mais les plus innocentes sont encore le triomphe de la fourberie et de la friponnerie elles montrent la ruse au service de l'improbité. On appelait cela de bons tours, comme les récits obscènes étaient de bons contes. Patelin, le célèbre et populaire Patelin, est un fourbe et un escroc; mais il est habile et il amuse cela suffit pour qu'on lui fasse fête. Au reste, parmi les œuvres du même genre, la farce de Maître Pathelin est un véritable joyau : elle n'est pas médiocrement comique; les caractères y sont d'une touche franche et fine, les scènes bien liées et bien conduites; le dialogue abonde en traits plaisants, et la langue en est excellente aussi bien que le style. On a fait honneur de ce chef-d'œuvre à

Pierre Blanchet, qui l'a peut-être retouché, comme Jean Michel a mis la main au mystère de la Passion; mais le primitif auteur est inconnu on ne sait pas et sans doute on ne saura jamais à qui nous devons le vivant portrait de ce personnage narquois, matois, à la mine prévenante et futée, à la langue mielleuse et traîtresse, à la main caressante et crochue, type complet de cette astuce de bas étage, bornée dans ses visées comme dans ses artifices, gagne-pain des pauvres diables doués de quelque esprit, totalement dépourvus de sens moral, et qu'on ne peut mieux définir que par le nom auquel elle a donné cours, le patelinage. Cet homme, quel qu'il soit, avait trouvé, deux siècles avant Molière, le secret de la bonne comédie, que Molière a longtemps cherché, l'étude de la vie réelle et la peinture des caractères. Patelin est la maîtresse figure de ce tableau, mais il n'est pas la seule qui laisse un souvenir. En effet, on n'oublie ni cette fine mouche qui s'appelle Guillemette, ni cette bonne face bourgeoise de M. Guillaume, qui sert presque d'excuse à Patelin, tant il paraît prédestiné à être dupe, ni cette tête de juge qui annonce de loin Bridoie et Bridoison, ni cet Agnelet, Patelin rustique, sitôt dressé et qui ne tarde pas à en remontrer à son maître.

Patelin nous conduit à Villon, qui a dû pendant le cours de sa jeunesse débauchée s'associer à la troupe des enfants Sans-Souci. On pense même qu'il s'est exercé dans le genre de la farce, et ce n'est pas sans vraisemblance qu'on lui attribue le Nouveau Pathelin ou Pathelin et le pelletier, qui met en scène un des meilleurs tours joués par Villon lui-même lorsqu'il vivait aux dépens d'autrui et qu'il exerçait avec tant de dextérité l'art du croc et de la pincée, comme dit Marot. Mais avant d'aborder Villon, nous devons nous arrêter un instant devant Charles d'Orléans. Ce sera pour nous un moyen de les juger tous deux plus sûrement, en les opposant l'un à l'autre.

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Louis XI nous servira de lien entre Charles d'Orléans, François Villon et Philippe de Comines: en effet, il outrage le premier, il protége le second, et il admet dans sa confidence le troisième, qui doit être son témoin devant la postérité. Le rapprochement que nous faisons entre Charles, duc d'Orléans, petit-fils et neveu de rois, père d'un roi, et cet enfant de Paris, nommé Corbueil, surnommé Villon pour ses méfaits, n'est pas un jeu d'esprit. Le temps les réunit. Charles meurt vers le temps où Villon écrit son Grand Testament, et dans ce double fait intervient la sombre figure de Louis XI, qui influe en sens opposé sur la destinée des deux poëtes. Les dures paroles du monarque conduisent au tombeau le fils chevaleresque de Valentine, et sa clémence dérobe au gibet l'enfant du peuple. Au même moment la voix du même homme tue et sauve : elle tue le représentant du passé poétique, elle sauve le précurseur de l'avenir. Est-ce effet du hasard? peut-être; mais c'est au moins un accident curieux et significatif. Nous reconnaissons là le roi qui fait tomber la tête des Armagnacs, et qui transforme son barbier en favori tout-puissant. Quant à Philippe de Comines, il a sa place marquée à côté de ce roi que la France a flétri comme tyran, tout en recueillant le bénéfice des services qu'il lui a rendus par l'abaissement de l'aristocratie féodale. Louis XI, comme Philippe le Bel, est un de ces bienfaiteurs involontaires que la politique peut absoudre, mais que la conscience doit condamner, et qui dispensent de reconnaissance le peuple dont ils ont servi indirectement les intérêts, sans autre vue que leur propre agrandissement. Mais laissons de côté Louis XI; Comines

nous y ramènera, lorsque nous aurons apprécié Charles d'Orléans et Villon.

La poésie de Charles d'Orléans est la dernière et la plus délicate fleur de l'esprit chevaleresque; c'est d'ailleurs, pourrait-on dire en style de moissonneur, un regain, car le quatorzième siècle a passé, et l'on sait que ce fut pour les sentiments tendres et délicats une saison morte. Aussi cette seconde floraison, accidentelle et isolée, est-elle due à un rayon détourné du soleil d'Italie; car le gracieux génie de Charles d'Orléans se compose de l'âme et de l'esprit de Valentine de Milan, transmis à son fils, heureux si l'influence de Guillaume de Lorris ne s'y fût pas mêlée. Pour Villon, il tourne le dos au passé et salue l'avenir; il donne pour berceau et pour palais à la poésie moderne la rue et les halles : et ce n'est pas sa faute si elle n'a pas été suspendue, dans sa personne, aux fourches patibulaires de Montfaucon. Au reste, Villon s'est avili sans se dépraver; le fond généreux de sa nature subsiste sous les souillures: il sent vivement les bienfaits, il aime sa mère, il aime son pays; de sorte qu'on est tenté de lui faire l'application des vers si connus de Marot:

Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur fils du monde.

Charles d'Orléans n'était pas trempé pour le rôle héroïque que sa naissance et les événements de son temps l'appelaient à remplir. Il eut cela de commun avec Thibaut de Champagne, moins favorisé que Charles d'Anjou et Richard d'Angleterre, qui, pour faire de beaux vers, n'en furent pas moins de terribles champions, le casque en tête, et qui portèrent fièrement leurs couronnes de rois. Ce n'est pas la pieuse et généreuse intention de venger son père, Louis d'Orléans, sur son meurtrier Jean Sans-Peur, duc de Bourgogne, ni le désir de faire triompher les Armagnacs, dont il devint le chef, qui manquèrent à Charles d'Orléans, mais les fortes qualités qui assurent le succès de l'homme poli

mais

tique et du soldat. Sans doute il paya de sa personne, sa personne n'était pas taillée à vaincre et à dominer. Il était doué pour vivre heureusement dans un temps paisible, pour cultiver de douces affections et les chanter d'une voix molle et pure, comme ce bon roi René son contemporain, moins poëte que lui avec plus de naturel et de bonhomie. Aussi, dès que la captivité lui aura fait des loisirs, il charmera les ennuis de sa longue prison par les souvenirs de ses amours et par l'attente de plaisirs nouveaux; mais qu'on ne cherche dans ses vers ni un cri de douleur sur le meurtre de son père, ni une larme sur la mort de sa mère Valentine, ni un gémissement patriotique au souvenir d'Azincourt, ni un mouvement de pitié pour le supplice de Jeanne d'Arc. Il faut en prendre son parti, le prisonnier des Anglais sera surtout l'esclave de Beauté, l'homme lige d'Amour; il aimera à deviser avec son cœur, quoiqu'il l'ait laissé en dépôt dans une cassette dont Cupido garde la clef; il se promènera dans la forêt de Longue-Attente où souffle le vent de Mélancolie, et où il a compagnie de Deuil et de Tristesse; enfin nous le verrons trop souvent escorté de ces froides allégories sorties de l'alambic de Guillaume de Lorris : Bel-Accueil, Liesse, Danger, et le reste. C'est un malheur pour Charles d'Orléans de n'avoir pas conjuré tous ces fantômes métaphysiques; car son esprit, qui a des saillies piquantes, et son âme, capable de sentiments vrais, et sa riante imagination, auraient eu plus de vivacité, plus de grâce, plus d'éclat. En effet, il annonçait de la franchise et quelque chose de leste et de sémillant, celui qui faisait le serment d'aimer par cette boutade cavalière :

Tienne soy d'amer qui pourra,
Plus ne m'en pourroye tenir,
Amoureux me faut devenir.
Je ne scay qu'il m'en avendra.
Combien que j'ay oy, pieça,

Qu'en amours fault mains maulx souffrir,

Tienne soy d'amer qui pourra,

Plus ne m'en pourroye tenir.

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