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les vins rouges des effets désastreux. Non-seulement ils les rendent impropres à la consommation, mais ils affaiblissent sensiblement leur valeur alcoolique.

(Réforme agricole.)

VARIÉTÉS.

Une Cascade de la Vallée des Planches (Jura),

PAR M. BOUSSON DE MAIRET.

Au nombre des sites les plus pittoresques du Jura, doivent être placés en première ligne le vallon des Planches, près d'Arbois, et la double source de la Cuisance. Eloignés autrefois de toutes les grandes voies de communication, ces lieux ont offert l'image d'une riante et fraîche solitude, où, sur les bords d'une eau pure et transparente, sous des ombrages épais, dont le silence n'était troublé que par le bruit monotone des cascades et le chant varié des rossignols, les amis de la belle nature, de la poésie et du repos, pouvaient aller rêver en liberté. C'en est fait désormais de ces précieux avantages: ces beaux lieux ont changé de caractère et d'aspect. Sur les sommets qui les environnent, et où naguère ne s'élevaient, dans la belle saison, que les chants joyeux des citadins qui, échappés de la ville, venaient à leurs pieds se livrer au plaisir, retentissent les élégants équipages des touristes et les pesantes voitures du commerce. D'immenses quartiers de rochers, détachés avec fracas, ont roulé sur les verts gazons qui embellissent la vallée, et Paris et Genève sont unis par un lien nouveau qui abrége la distance qui les sépare.

A ces pentes ardues et sauvages ont succédé de magnifiques points de vue. Dans l'espace de six kilomètres, une pente insensible nous élève au premier plateau du Jura. Aprés avoir traversé, en quittant Arbois, les riches côteaux de Ferrières, faible partie de cet immense vignoble dont les produits renommés ont été chantés par Gresset, par Voltaire et par Delille, et qu'aima tant Henri IV, la vue se repose sur le populeux et beau village de Mesnay, que terminent au midi les vastes bâtiments d'une papeterie qui alimente tous les départements voisins. Les hauteurs qui dominent ce bel établissement sont sillonnées par la route de Dijon à Lausanne. Enfin l'œil s'abaisse sur une opulente et fertile vallée, qu'arrose une rivière aux caux toujours limpides, où se joue la truite au goût savoureux, et qui tantôt s'élance de cascade en

cascade, tantôt, véritable Méandre, se déroule en ruban argenté. Mais voici le grandiose; voici un de ces tableaux de la nature, qui, en rappelant à l'homme sa faiblesse, frappent son âme de stupeur et d'admiration!

Devant nous s'élève, à la hauteur d'environ deux cents mètres, un colossal amphithéâtre, formé d'une roche vive et perpendiculaire. De la base de ce monument auquel n'a point touché la main de l'homme, s'échappe avec fracas et en bouillonnant, dans la saison des pluies, à travers des roches amoncclées que l'art même de la mécanique pourrait ébranler à peine, un torrent dont les eaux vont arroser le village qui donne son nom à la vallée. Le sommet de cette masse gigantesque est couronné par les ruines d'un antique château, qui fut la demeure des souverains du pays. De toute la splendeur dont il brillait alors, il ne reste que des taillis, des pans de mur que les saisons et les orages dégradent tous les jours, et la modeste image en bois du signe auguste de la Rédemption. C'est là, si l'on en croit la tradition, que séjournait la comtesse de Bourgogne, la veuve d'Othon V, la mère de l'épouse du roi de France Philippe-le-Long. C'est là que Mahaut (c'était le nom de la princesse), désespérée de voir expirer autour d'elle des malheureux que dévorait une affreuse famine, et se voyant hors d'état de les nourrir, les fit rassembler dans un bâtiment du village de la Châtelaine, et ordonna qu'on y mit le feu. « Cruelle pitié! doulceur amaire! » s'écrie le vieil et naïf historien Gollut. Mais, hâtons-nous de le dire : cette tradition, dont Gollut lui-même ne garantit pas l'authenticité, nous semble démentie par les nombreuses fondations pieuses que le pays dut à la comtesse.

De ce spectacle si fécond en enseignements, le voyageur est bientôt amené à des pensées plus douces. La route que l'art, triomphant de tous les obstacles, a ouverte à travers des rochers contemporains du monde, fait un détour, et l'œil plonge sur le délicieux et frais vallon dont nous avons essayé plus haut d'esquisser la description. Du sein de la montagne on voit descendre à travers les rochers une source abondante, même pendant les grandes chaleurs. Après un court trajet dans la prairie, ses eaux se précipitent d'une hauteur d'environ quinze mètres, et éclairent la scène de leur blancheur éblouissante. C'est le point de vue que l'artiste a choisi le spectateur est au fond de la vallée, et la cascade le sépare des hauteurs que parcourt la route nouvelle. Au-delà de ces eaux qui tombent, et dont on croit entendre le retentissement, se dressent les rochers que la mine a séparés ou entr'ouverts; on voit les flancs de la montagne déchirés par les blocs de pierre qui en ont été précipités.

Ces gigantesques roches sont représentées avec la vérité la plus parfaite. Vers le centre supérieur du tableau, on aperçoit une sombre profondeur qui aboutit à une partie de la route, dont deux pyramides naturelles semblent former la limite : c'est le souterrain, le tunnel que la route traverse dans une longueur de près de trente mètres. De là elle contourne vers le couchant, pour passer non loin du cône que l'œil aperçoit à l'extrémité gauche du tableau.

Telle est la nouvelle avenue de la vaste chaîne de montagnes dont les cimes, couvertes de glaces que mille hivers ont accumulées, s'étendent entre la France et l'Helvétie. Le commerce y trouvera une source inépuisable de richesses et de prospérité. Mais c'est surtout dans ce rapide passage d'un climat tempéré à l'air vif et pur des positions élevées du globe, que le voyageur éprouvera les plus agréables sensations. Avant de le traverser, il aura promené ses regards sur de riantes et fertiles campagnes, sur des côteaux justement renommés, et bientôt sa vue se perdra dans les plaines immenses que bornent les éternelles barrières que la Providence a assises entre les nations. Bientôt il les aura franchies; le lac Léman déploiera devant lui la nappe transparente de ses caux azurées, et enfin il atteindra les brillantes et riches contrées du Milanais et de la Lombardie. (Jura pitt.)

Une Scène du passé,

PAR M. HECTOR BERGE, MEMBRE CORRESPONDANT.

La cloche de l'Hôtel-de-Ville venait de sonner neuf heures, les tambours battaient le rappel, et les militaires attardés se hâtaient de rentrer dans leurs casernes pour être présents à l'appel. Nous étions alors au milieu de l'été; la chaleur vraiment tropicale était montée ce jourlà à un degré très-élevé : pas un léger zéphir ne venait caresser amoureusement les feuilles des aulnes. Il semblait que l'air était de feu.

Je me promenais nonchalamment sur les fossés des Carmes, attendant avec impatience un ami qui m'avait donné rendez-vous. Lassé de faligue et d'attendre, j'allumai un cigare et m'assis sur un bane de pierre faisant face à la rue de Lalande. Il y avait près d'un quart d'heure que je savourais avec délices mon trabucos, quand je vis un monsieur, âgé d'environ une soixantaine d'années, se diriger vers moi et s'asseoir à mon côté. Une minute s'était à peine écoulée que ce monsieur m'adressa la parole.

Vous êtes comme moi, monsieur, vous avez l'air fatigué........

- Oui, monsieur, la chaleur a été si forte aujourd'hui et j'ai tellement marché, que je suis bien aise de me reposer un instant en attendant mon ami.

Monsieur demeure sans doute aux environs....

- Non, monsieur, j'habite le quartier Saint-Seurin.

Celui-ci est assez fréquenté : les maisons n'en sont pas neuves, mais elles sont élégantes et solides.

- C'est apparemment votre quartier, monsieur ?- Oui, monsieur, j'occupe une maison de la rue qui nous fait face.

Ah! dans la rue de Lalande?....

C'est ça même.... Cette rue et celle qui lui est proche, la rue de Labirat, rappellent aux Bordelais une piquante et singulière histoire. Si je ne craignais de vous ennuyer, je pourrais vous la conter; je crois l'avoir lue dans les vieilles chroniques Bordelaises. — Je serais fort aise, monsieur, de vous écouter et de m'instruire en même temps. Il est agréable de connaître les évènements qui se sont passés dans une grande ville comme celle-ci. Ce monsieur mit la main à sa poche, en tira une tabatière d'écaille, et après m'avoir offert une prise de tabac, il commença ce récit.

« Le nom de ces deux rues qui se croisent vient d'un évènement singulier dont on dit qu'elles furent le théâtre. En 1206, une armée Espagnole vint assiéger Bordeaux au nom du roi de Castille, qui revendiquait les droits sur cette ville, à l'occasion du mariage d'un de ses ancêtres avec une fille de Henri II, roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine. Les assiégeants et les assiégés souffrant également de la disette des vivres, convinrent de remettre le sort de la campagne au hasard d'un combat singulier entre un champion de chaque armée. Si celui des Bordelais était vaincu, ceux-ci promettaient d'ouvrir les portes de leur ville aux assiégeants, et si le représentant de ces derniers succombait, ils devaient lever le siège.

« Les Espagnols envoyèrent au lieu du combat un de leurs guerriers que sa taille gigantesque avait fait surnommer Goliath. Le Chevalier de Lalande, jeune Bordelais, s'offrit pour se mesurer avec ce redoutable adversaire, et fit vœu de bâtir un couvent en l'honneur de Notre-Damedu-Mont-Carmel, s'il sortait victorieux de ce combat. Ayant tué le champion qui lui était opposé et délivré sa patrie des ennemis qui l'assaillaient, il fonda, dit-on, le couvent des Grands-Carmes sur le terrain même où il avait remporté la victoire.

« Cette tradition avait pour autorité l'inscription suivante, qu'on a lue sur un pillier de l'église des Carmes, et qui était placée entre une

vieille lance et un grand collier de fer qu'on disait avoir appartenu au susdit Goliath.

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« Fonda premier ung Seigneur de Lalande
« Au Carme Vielh ceste église et couvent
« Pource qu'au lieu obtient victoire grande
« Contre ung géant, qui conduisait la bande
« Des Espaignols, pour Bordeaulx assaillir.
<< Le dessus dict luy fit payer l'amende,
« Car il luy fist la teste à bas saillir.

« L'orsqu'on bátît autour de ce couvent, la première rue ouverte sur le terrain du prétendu combat reçut le nom de rue de Lalande, qu'elle porte encore; celle qui la traverse fut appelée rue Labirat, dénomination dont voici, dit-on l'origine.

« Les Bordelais examinaient du haut de leurs murailles l'issue du combat entre leur champion et celui d'Espagne. Voyant ce dernier tomber mort sous les coups de leur compatriote, ils s'écrièrent simultanément dans le transport de leur joie : La birat! qui signifiait dans la langue d'oc : il l'a tué! ce cri devint le nom de la seconde rue qui fut ouverte sur le champ de ce beau fait d'armes. »

— Voici, monsieur, tout ce que je sais concernant ces deux rues. Trouvez-vous cette historiette de votre goût? me dit mon narrateur. - Elle est fort intéressante, et je serais fort heureux que vous m'en contassiez une autre.

— Il se fait tard, et j'ai besoin de rentrer; mais si vous voulez bien vous trouver à la même place, je tâcherai de satisfaire votre curiosité. A demain done!....

- A demain, répondis-je, et j'espère bien que vous ne manquerez pas au rendez-vous comme le fait mon ami.

Mon monsieur sourit, se leva, me salua amicalement et se dirigea à petits pas vers la rue dont il venait de me conter avec simplicité l'intéressante histoire.

Je pris un autre chemin en songeant encore au Goliath Espagnol et à son terrible adversaire : le chevalier de Lalande.

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