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Pourrais-tu rester, ô poète,
Ingrat devant ce bienfaiteur?
Non, ta lyre n'est pas muette
Et l'oubli n'est pas dans ton cœur.
Rends donc hommage à sa justice :
Dis-lui, Seigneur, sois-moi propice;
A toi mon invocation!

Atôme perdu dans l'espace,
Que puis-je faire sans ta grâce
Et sans ton inspiration?

Tu tiens la clef de tout mystère;
L'univers tressaille à ta voix;
D'un souffle tu fais sur la terre
Ecrouler les trônes des rois.
Les cieux célèbrent ta puissance :
Les Chérubins en ta présence
Sont éblouis de tes rayons.
La splendeur de ton diadême
Fait pâlir la voûte suprême,
Riche de constellations.

Quel mortel pourrait, divin Maitre,

Ici-bas ne pas t'honorer?

Eh! qui pourrait te méconnaître,
Seigneur, et ne point t'adorer?
Quand arrive le sombre automne
Et que la feuille tourbillonne,
L'homme voit terminer son sort:
Le corps retourne à la poussière;
Mais notre âme, divin mystère,
Triomphe seule de la mort.

Donne à l'insecte sa pâture,
Le brin d'herbe pour l'abriter;
Donne encore à ta créature
Le pain du jour pour subsister.
Mais donne-nous de préférence
Un rayon brillant d'espérance,
De foi, d'amour, de charité.
Inonde-nous de ta sagesse,
Et donne-nous avec largesse
La gloire et l'immortalité.

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE.

Enlèvement de Proserpine,

Poème de Claudien, traduit en vers français, par M. Jules LEON, membre correspondant.

On se demande jusqu'où l'humanité doit pousser l'amour du surnaturel et du merveilleux, pour qu'elle ait pu, et dans un temps qui n'est déjà pas si éloigné du nôtre, admettre sérieusement des faits de la nature de celui que chante le poète latin, et des divinités à la façon de celles de Jupiter, Vénus et consors. Il s'élevait bien, par intervalle, des voix généreuses, enhardies à réclamer les droits de la vérité et du bon sens; mais perdues dans le désert, ces réclamations arrivaient à peine à percer les rangs de la foule, étouffées qu'elles étaient par la complicité du sacerdoce officiel, intéressé au maintien de ses prérogatives, et de l'autorité civile, assez portée à faire des cultes un instrument de gouvernement, autorisée et soutenue dans cette tendance par. l'opinion commune, qu'en matière religieuse l'erreur est moins funeste que l'absence de croyance, et plus capable d'opposer un frein salutaire aux passions des masses et de les protéger ainsi contre leurs propres excès. ARGUMENT.

A jamais séparé de sa chère Euridice, Orphée laissait reposer sa lyre en deuil, et les hôtes des forêts qu'il apprivoisait au charme divin de ses accords, étaient revenues à leurs instincts féroces. Heureusement, apparut Hercule. Le vaillant fils de Jupiter et d'Alcmène, aux prises avec les douze travaux imposés à sa valeur par son frère aîné, Eurysthée, de connivence et à l'instigation de Junon, leur marâtre, avait mis son bras invincible au service de l'humanité. Les exploits du héros réveillèrent les accents harmonieux du chantre de la Thrace; et, tandis que les cordes vibrant sous les doigts de l'imcomparable artiste, pacifiaient de nouveau les bêtes aux appétits carnassiers, par l'extermination des tyrans, plus cruels encore, Alcide rendait le repos aux humains et s'ouvrait à lui-même les portes de l'Empyrée.

CHANT II.

C'est alors que Proserpine, la fille de Cérès, de la bonne, de la bienfaisante déesse des moissons, de son nom appelées encore aujourd'hui les céréales, c'est alors que Proserpine eut l'idée de quitter momentanément les splendeurs de l'Olympe. En compagnie de quelques déesses de son rang, et malgré les avis de Cérès, trop avertie, hélas! par sa

tendresse maternelle des dangers auxquels l'éclatante beauté de sa fille allait inévitablement l'exposer, elle descendit sur terre, et dans cette région bénie entre toutes, l'Italie, et dans cette partie féconde entre toutes les autres, la Sicile, afin, au retour du printemps qui approchait, de s'y livrer aux douceurs ineffables du plaisir des champs.

Description des merveilles de cette contrée.

Mais ici-bas le mal est sans cesse à cotoyer le bien. Naples est au pied d'un volcan toujours menaçant; Venise est sous la gueule toujours béante d'un autre cratère, prêt à consumer dans ses laves villes et habitants.

Un bruit formidable a retenti. C'est Pluton qui, d'un coup de son sceptre puissant, vient de s'ouvrir un passage à travers les flancs d'un de ces monts sulfureux. Il arrive, traîné sur un char d'ébène, aux coursiers de même couleur, et surprenant Proserpine au milieu de ses jeux, il l'enlève et l'entraîne aux sombres bords. Appel de ses compagnes à la vengeance de Jupiter; mais un éclair sinistre déchire la nue; un effroyant coup de tonnerre annonce que le souverain des dieux approuve le rapt de son frère; tout se soumet, tout se résigne, Proserpine ellemême, a la promesse du pouvoir suprême qu'elle était appelée à exercer sur tous les mortels, successivement soumis à ses arrêts de haute justice, et dont Minos ne serait que l'interprète, avec pleine et entière jouissance du droit royal de grâce et d'amnistie.

On sait que toutes les fables de la mythologie renferment un sens allégorique. Quelle peut être la signification du mythe dont il s'agit? Est-ce une allusion à la puissance sans borne de l'amour, alliant ensemble le ciel et l'enfer? ou à l'union nécessaire de la chaleur et de l'humidité dans la nature, pour la production et la conservation des êtres? Ou bien faut-il y voir une pensée plus haute, une inspiration chrétienne? Est-ce déjà l'annonce qu'une femme écraserait de son pied la tête du dragon, et fermant l'abîme où il règne, lui arracherait sa proie? Il est de fait qu'à l'entrée de Proserpine dans les enfers, tous les supplices sont suspendus. Voici une partie de ce passage. N'oublions pas que le latin de Claudien est assez difficile; rappelonsnous, en outre, que le vers français a bien de la peine, avec son bagage de pronoms, de contenir, sans un tour de force, la matière du vers latin correspondant, et nous aurons une idée du travail de la traduction.

Minos a suspendu son jugement sévère.
Le siflement aigu des serpents en torpeur

N'exhale plus au loin son souffle corrupteur.
Ixion sur sa roue et le voleur Sisyphe,
L'oiseau de Prométhée et sa poignante griffe
Ont cessé leurs cruels et torturants travaux,
Et Tantale abreuvé trouve quelque repos.
Les vautours dévorants frustrés par l'amnistie,
Abandonnent les flancs du malheureux Tytie,
Lequel se relevant au gré de ses efforts,
Sur neuf arpents empreint la trace de son corps.

Le Styx n'exhale plus cette odeur sulfureuse,
Où vous trouvez la mort pantelante et hideuse.
L'Achéron radouci ralentit sa fureur,

Et fait couler du lait la suave blancheur, etc.

Ainsi déjà le paganisme espérait que la miséricorde dans Dieu ferait fléchir sa justice; déjà il adoptait la croyance orientale du triomphe futur du génie du bien sur le génie du mal, d'Oromase sur Ahriman. Dans tous les temps et dans tous les lieux s'est donc élevé et perpétué ce défi: 0 mort! quel est ton dard? Enfer, où est ta victoire? H.-G. CLER, professeur émérite.

Le Patois des Fourgs,

Par M. J. TISSOT, doyen de la Faculté des lettres de Dijon (4).

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A tous les degrés de l'échelle des connaissances humaines, une découverte utile, d'une application étendue, peut, au moment où l'on s'y attend le moins, résulter d'une bonne observation.— Cui bono? à quoi bon? n'est que la devise des ignorants, a dit Linné, dont le génie sut embrasser les productions de la nature, à la fois dans leur ensemble et dans leur détail. Nous n'aurons pas la mauvaise grâce d'appliquer brutalement ce jugement à qui que ce soit de nos lecteurs. Toutefois, plusieurs personnes en voyant l'annonce que nous avons faite de ce nouvel ouvrage du savant professeur de philosophie, notre compatriote, ont été quelque peu surprises qu'un esprit sérieux et profond comme le sien s'appliquât à une étude en apparence aussi futile que

(1) Le Palois des Fourgs, arrondissement de Pontarlier, département du Doubs. Paris A. Durand, libraire-éditeur, rue de Grès.; Besançon : Dodivers et Cie, et Baudin-Bintot. Prix : 4 fr.

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celle du patois d'une obscure localité de notre arrondissement, pays natal de l'auteur. Qu'on se détrompe. Des recherches du genre de celles qu'il a entreprises ne sont pas des revues puériles et d'un intérêt essentiellement très-restreint. Ce sont au contraire des données nécessaires pour des travaux ultérieurs qui, entrepris sur une échelle suffisamment étendue pour qu'on puisse procéder à un travail de comparaison et de généralisation, et déterminer, par exemple, ce qu'il y a de commun dans tous les patois d'un arrondissement, d'un département, d'une province, d'un pays, doivent jeter le plus grand jour sur les origines et la formation de la langue française.

C'est aussi un des moyens les plus propres à donner l'intelligence de notre ancienne langue, à montrer les changements d'acception qu'elle a subis successivement dans le matériel de ses mots, à signaler des usages perdus, des mœurs abandonnées, ou conservées mais modifiées. — Si chaque siècle avait rédigé son vocabulaire, des mots bien définis, mais aujourd'hui oubliés, nous retraçeraient des usages qui n'existent plus. M. Tissot en donne un exemple palpable :

« Le mot solagnon, dit-il, que je crois encore avoir entendu dans mon enfance sans en avoir vu l'objet, indiquait primitivement un pain de sel. Le sel, en Franche-Comté, se livrait donc au commerce à une certaine époque sous forme de pain, et non en poudre comme aujourd'hui. Ce n'était pas là, du reste, un usage propre à cette province, puisque l'ancienne langue française a les termes correspondants: saleignon, salignon, salaignon, botte de saulx, etc., pour indiquer un pain de sel blanc. On voit, du reste, dans la dernière de ces expressions, le mot saulx, qui est encore usité aujourd'hui dans le patois et qui signifie sel. »

Les patois étant des images fidèles des mœurs naïves des populations qui les parlent, indiquent dans leurs nuances, d'une localité à une autre, les diversités de goût, de jugement, de raisonnement, des qualités intellectuelles et morales qui peuvent servir à caractériser, à différencier des populations plus rapprochées quelquefois par les lieux que par les sentiments et les idées. - Ils peuvent servir aussi à déterminer l'origine de populations souvent fort diverses, malgré le rapprochement de leurs patois actuels. Ecoutons encore l'auteur à ce sujet :

« Encore bien que l'histoire gardât le silence sur le mélange des populations transjurane et cisjurane, sur l'émigration d'un grand nombre de nos montagnards comtois dans la Haute-Savoie, la grande ressemblance du patois des deux pays ne ferait-elle pas présumer à elle seule quelque chose de semblable, sans parler encore de l'identité des types

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