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cette prodigieuse diversité parmi les êtres.

Ici le canard du détroit de Magellan et la sarcelle de Chine avec son panache vert et pourpre; là l'oiseau royal du Cap-Vert, le cormoran des Philippines et l'ibis sacré du pays de Ptolémée. Plus loin le renne du Grænland, la chèvre aux oreilles pendantes de Madagascar et la gazelle antilope du Bengale; puis le chien de Laponie, qui hurle et grogue plutôt qu'il n'aboie, celui demi-sauvage du Kamschatka, se nourissant de poisson, et tirant des traîneaux; les béliers de Tunis et de Valachie; le zèbre à la robe rayée de rubans noirs et blancs, et le cheval d'Irlande, si petit quelquefois, qu'il ne peut servir de monture qu'à un enfant.

Visitez les serres, vous y trouverez des végétaux de toutes les latitudes, depuis la mousse qui croit au Spitzberg jusqu'au palmier du tropique; il n'est pas un coin de la terre qui n'ait son représentant dans cette magnifique collection.

L'aquarium surtout doit attirer notre attention; dans une chambre longue, demi obscure, des réservoirs de verre, garnis de rocailles moussues, dévoilent à l'œil surpris tous les secrets et toutes les merveilles de l'Océan. Ce sont les homards aux pinces dangereuses, les langoustes, les crevettes agiles et les huitres immobiles, et les moules qui vivent attachées aux rochers à fleur d'eau ; ce sont les arondes à coquille tapissée de nacre, des argonautes aux tentacules épanouis en éventail et leur servant à se diriger; c'est la méduse semblable à un champignon, couverte de nombreux filaments avec lesquels elle saisit sa proie; ce sont enfin des coraux aux branches rouges ou roses, gracieusement enlacées, puis des madrépores, des éponges

Mais le soleil baisse à l'horizon, les arbres agitent leur feuillage, les oiseaux ne chantent plus, voici la nuit, partons.

ÉCONOMIE RURALE.

De l'Ecrevisse.

SES USAGES; SA rareté toujours CROISSANTE; NÉCESSITÉ de la CONSERVER ET De LA MULTIPLIER DANS NOS COURS D'EAU; MESURES A PRENDRE,

Par M. le docteur A. ROUGET, d'Arbois, membre fondateur.

En Franche-Comté, chacun connaît et recherche l'écrevisse (cancer astacus fluviatilis), le plus délicat et, sans contredit, le

astacus;

meilleur de tous les crustacés. C'est à peine si dans les hameaux les plus reculés on rencontrerait encore quelques personnes qui n'en aient pas goûté ou qui la rejettent, de parti pris, de leur alimentation.

Ses usages culinaires sont nombreux. Le coulis rend les potages stimulants, réparateurs, analeptiques, et leur donnent une saveur incomparable; elle sert de garniture dans les pâtés chauds, les vol-au-vent, les fricassées de poulet, les matelottes, etc. Comme entremets, les buissons récréent la vue et ornent le service. C'est néanmoins une fort mauvaise méthode (1) que de trop viser à satisfaire les yeux par la vivacité de leur couleur en plaçant, comme on le fait souvent, les buissons longtemps d'avance sur la table. L'écrevisse refroidie est mauvaise; elle doit être servie chaude et brûlante: elle ranime alors le goût des convives et devient même un véritable digestif. Elle doit, au reste, au court-bouillon dans lequel elle a cuit et dans lequel sont prodigués d'ordinaire le vin blanc, le thym, la lavande, le sel, le poivre et la muscade, les propriétés stimulantes et même un peu aphrodisiaques qu'on lui attribue.

Quoique d'assez facile digestion, les écrevisses, comme bien d'autres matières alimentaires, provoquent quelquefois en été des indigestions. Celles-ci débutent souvent par une syncope et donnent lieu à des vomissements que précède ou suit l'apparition d'éruptions ortiées (2). Leur usage aurait même déterminé (3) des éternuements répétés et comme convulsifs.

Ces accidents ne dépendent pas exclusivement de la disposition particulière, de l'idiosyncrasie des sujets; aussi, serait-il prudent, avant de les livrer à la consommation, de les soumettre à un parcage de quelques jours. Non pas qu'à l'imitation de quelques Polonais (4), il soit nécessaire de les traiter par la diète lactée; mais, au moins, qu'on les laisse dégorger quelque temps dans une eau limpide. Ce procédé serait mille fois préférable au moyen barbare et si justement flétri (5), qui consiste à extraire, avant la cuisson, leur gros intestin, en l'arrachant avec la pièce médiane qui termine la queue.

L'art de guérir utilise la grande quantité de gélatine que contient l'écrevisse, et à laquelle elle doit ses qualités émollientes; on en prescrit le bouillon dans la plupart des affections inflammatoires. Le meil

(1) Santé universelle, par le docteur Henri Cottin, tome VI, page 163. Paris, 1857.

(2) Hardy, en journal de médecine et de chirurgie pratique, juillet 1865. Paris.

(3) Ephémérides des curieux de la nature, citation de Mérat et de Lens, en Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique générale, tome II, art. Cancer. Paris, J.-B. Baillière, 1830. (4) Docteur Cottin, Loco citato.

(5) Union médicale de Paris.

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leur procédé pour faire cette tisane animale est celui du bain-marie, dans un vase clos, tel qu'une boule d'étain à bouillon les écrevisses, préalablement écrasées, sont soumises à l'ébullition durant environ trois heures; on passe ensuite le bouillon à froid (1).

Les pharmaciens continuent à recueillir les deux pierres que l'on trouve sur les côtés et entre les membranes de leur estomac, et que leur forme hémisphérique a fait appeler yeux. Ces concrétions ne sont point inertes; elles ne méritent certainement pas le dédain que professaient à leur endroit certains adeptes du système de Broussais (2). La thérapeutique moderne, par ses organes les plus autorisés, n'hésite pas à les employer pour combattre maints symptômes d'accscence (3). Suivant Desbois de Rochefort (4), les terres calcaires animales doivent être préférées aux minérales, parce qu'elles sont « plus atténuées et moins disposées à former des concrétions dans l'estomac. » On voit, d'ailleurs, dans une des meilleures et des plus récentes publications médicales (5) que les yeux d'écrevisses conservent honorablement leur place parmi les absorbants chimiques.

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La médecine populaire qui s'inspire plus particulièrement de la tradition, a précieusement conservé la notion de quelques prétendues propriétés de l'écrevisse. « Pour tuer les vers, les écrevisses cuites, appliquées sur le ventre, sont en grande réputation parmi nos mères » de familles. Il nous est (6) arrivé bien des fois de trouver un de >> nos petits malades affublé d'un cataplasme sur la partie souffrante. » Elles étaient, tantôt crues, tantôt cuites, quelquefois écrasées, d'au» tres fois entières; cela dépendait de l'imaginative plus ou moins capricieuse des commères. Dans les maladies cérébrales, par exemple, >> on avait enveloppé la tête de l'enfant dans un sac rempli d'écrevisses » vivantes, qui grouillaient autour du petit malheureux, et devaient » lui causer les plus étranges sensations. » Ce préjugé, que le digne président de l'Association médicale du Jura combat si justement, et dont il semble trouver l'origine dans la forme bizarre du crustacé, ne serait-il pas tout simplement la réminiscence de médications patronées

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(1) J.-J. Virey, Traité complet de pharmacie, tome I, page 206. Paris, 1840. (2) Mérat et de Lens, ouvrage cité.

(3) Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, tome 1, art. auscence, par M. Gubler. Paris, 1864, chez Victor Masson.

(4) Cours élémentaire de matière médicale, par Desbois de Rochefort, tome II, page 305, Paris, 1779, chez Méquignon l'aîné.

(5) Art. absorbant, par M. Gubler, en Dictionaire encyclopédique des sciences médicales. (6) Docteur Bergeret, d'Arbois, Maladies de l'enfance, etc. Paris, J.-B. Baillière, 1855.

jadis par des médecins autorisés? C'est ainsi qu'Albert-le-Grand (1) attribuait aux œufs d'écrevisses une grande efficacité dans la blessure des serpents venimeux, et que Galien les vantait en cataplasmes loco dolenti dans les affections calculeuses et les maladies cérébrales.

Quelques cultivateurs, pour préserver des ravages des taupes certaines parcelles de terres cultivées, déposent dans les orifices de leurs canaux souterrains des écrevisses crues qui les éloignent par l'odeur infecte dégagée par leur putréfaction.

Les gourmets de nos localités ne regrettent ni les écrevisses de la Russie d'Asie, célèbres par leurs prodigieuses dimensions, non plus que celles du Rhin, de la Thiberville (Normandie), de Beauvais, de Nogent-le-Rotrou, de Bar-le-Duc, etc. Celles du Doubs et de ses affluents leur suffisent. Ils distinguent avec soin les écrevisses qui proviennent des eaux vives de celles que l'on pêche dans les eaux stagnantes; ces dernières, dont le test est généralement plus foncé, conservent une saveur désagréable qui les fait ranger dans les catégories de qualité inférieure.

Le prix de vente de l'écrevisse, dont la consommation s'est généralisée, a très-notablement augmenté. Sa pêche, devenue productive, s'est faite d'une manière effrénée, intempestive, désastreuse, et elle a, pour ainsi dire, dépeuplé nos cours d'eaux. Le mal est si grand qu'il a ému l'opinion publique. Divers journaux, parmi lesquels on distingue le journal de Pontarlier, dirigé par notre savant collègue, M. Ed. Girod, se sont fait les interprètes de ses doléances. Notre Société elle-même, par l'organe de M. Bel, d'Orgelet, l'un de ses membres les plus distingués (2), n'hésitait pas à recommander comme remède l'amodiation des cours d'eau.

La nouvelle loi sur la pêche, qui assimile ce crustacé au poisson,permet enfin d'en espérer la conservation; mais, en attendant que le but soit atteint, il appartient aux Sociétés agricoles de convier à l'œuvre réparatrice ceux de leurs membres qui peuvent y concourir par leur initiative, leurs conseils et leurs encouragements.

Déjà, et dès les premiers jours de sa fondation (3), la Societé de Poligny, sous l'habile impulsion de son vénérable et regretté Président, M. de Constant-Rebecque, avait fait venir des écrevisses de belle espèce dont elle préparait la multiplication dans un réservoir spécial. A la

(1) Mérat et de Lens, loco citato.

(2) Bulletin de la Société d'agriculture, etc., de Poligny, 3° année, page 80. Poligny, 1862, chez Mareschal.

(3) Même Recueil, 1861, page 222.

méme époque, des essais analogues étaient tentés par des propriétaires intelligents, à la tête desquels il faut citer M. Savaudon, de Clairfontaine, près Rambouillet. Malheureusement des circonstances particulières, parmi lesquelles se place en première ligne l'influence d'erreurs physiologiques relatives à ces astaciens, s'opposaient à leur réussite.

En ce qui concerne la physiologie de l'écrevisse, le public, en effet, ne connaît guère que deux singuliers phénomènes : la coloration rouge qu'elle prend par la cuisson et la propriété qu'ont les pattes, les antennes et les mâchoires, de repousser après leur amputation.

Pour prévenir le retour de semblables mécomptes, il est de toute nécessité de vulgariser quelques notions qui puissent se traduire immédiatement en applications pratiques. Empruntons-les au Dictionnaire de M. Guérin (1) et au récent travail de M. Léon Soubeiran (2).

L'écrevisse de nos eaux douces, qui peut vivre plus de vingt années, se tient sous des pierres ou dans des trous. Elle n'en sort que pour chercher sa nourriture: petits mollusques, petits poissons, larves d'insectes; chairs corrompues, cadavres d'animaux flottant dans l'eau.

Elle prospère dans les eaux calcaires et dans les bassins où poussent des végétaux aquatiques, et particulièrement les chara, dont elle est trèsfriande. Si parfois elle ronge la carapace qu'elle vient de quitter, ce n'est qu'exceptionnellement : soit que l'eau dans laquelle elle vit n'est pas assez calcaire, soit parce qu'elle ne lui fournit pas une nourriture appropriée.

Les måles grossissent un peu plus promptement que les femelles ; en trois ans ils gagnent pour la taille un an sur ces dernières. Ce n'est qu'à leur quatrième année qu'ils sont aptes à la reproduction. On les distingue en ce qu'ils portent au-dessous du premier anneau de l'abdomen (qu'on nomme improprement la queue) deux appendices ou filets dont la femelle est dépourvue. Ces filets, mobiles, articulés à leur base, s'appliquent dans l'inaction sur le sternum, entre les pattes. Ils ressemblent à des tiges un peu aplaties, droites, d'un blanc bleuatre; leur moitié antérieure est courbée et roulée sur elle-même longitudinalement, de manière à former une sorte de tuyau. Ils constituent probablement l'appareil de la copulation.

Tandis que les mâles atteignent et même dépassent le poids de 125 grammes, les femelles, toujours plus petites, n'atteignent que rarement celui de 80 à 90 grammes.

(1) Dictionnaire pittoresque d'histoire naturelle et des phénomènes de la nature, sous la direction de M. Guérin. Paris, 1835.

(2) Union pharmaceutique, page 182, 6 année, Paris, juin 1865.

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