Page images
PDF
EPUB

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE.

De la décentralisation intellectuelle et des progrès des arts, des sciences et des lettres en province, mémoire présenté au Congrès scientifique de France dans sa 31° session, tenue à Troyes du 1er au 10 août 1864, par M. Arsène Thevenot.

Ge sujet, de la décentralisation, rappelle involontairement l'allégorie proposée par Ménénius Agripa, au peuple romain, retiré sur une de ses collines, le Mont-Sacré ou le Mont-Aventin, sur lesquelles il avait l'habitude, avant l'institution du Tribunat, d'abriter son mécontentement, se bornant alors à opposer une force d'inertie, une simple résistance passive aux usurpations et aux envahissements du sénat. Je veux parler de la fable des membres et de l'estomac.

Il est certain que les membres, les pieds notamment, forcés de supporter toute la charge du corps, que les bras astreints à manier les plus lourds instruments scraient justement fondés à se plaindre de l'estomac, si cet organe, en réalité comme en apparence, restant étranger à toute espèce de travail, ne faisait qu'absorber à son profit toute la nourriture dont il est le récipient. Mais il en est tout autrement, et ses fonctions, au contraire, lorsqu'il est sain et dans son état normal, consistent précisément à digérer les aliments dont il est le dépôt, et en répandre les sucs dans toutes les parties de l'organisme. Indication vivante de ce que doit être la centralisation, dont le cercle doit tendre sans cesse à s'agrandir pour élargir de plus en plus les bienfaits de ses rayons.

Autre image ayant le même objectif et visant au même but.

Le corps humain, dont la tête est représentée par la capitale d'une nation, a son analogie dans le corps politique et social. Ici même enseignement il est de toute nécessité, sous peine d'une sorte de congestion cérébrale, que le sang circule à travers les veines et les artères de l'Etat, et du sommet s'étende à la base et aux dernières extrémités.

Cette similitude de rapports entre l'ordre physique et l'ordre moral, jette un reflet lumineux sur la matière en question, et cette perspective semble avoir présidé à la dissertation de l'auteur.

Loin de lui l'intention indiscrète et la prétention téméraire de vouloir découronner Paris de son auréole, de lui contester ses titres à la royauté de l'esprit, de lui disputer le sceptre du génie. La cité de Julien, l'ancienne Lutèce, sera toujours le puissant laboratoire de l'activité intellectuelle, le temple assuré du goût, le sanctuaire respecté du beau, en ses diverses manifestations. Dans les arts d'imagination surtout, ces

heureuses imitations de la nature, la peinture, le dessin, la sculpture, la statuaire, le grandiose des monuments, grâce aux ressources et aux moyens en sa disposition pour les encourager et les mettre en relief, la capitale de France ne peut avoir pour rivale qu'Athênes, Rome ou Florence, celle-ci destinée à servir à nouveau d'exemple, de modèle et d'école. Mais pour ce qui est de penser, de réfléchir, de méditer, d'écrire; pour ce qui regarde les sciences et les lettres, elles peuvent se cultiver aussi bien et mieux, dans le silence et la retraite, qu'au milieu du tumulte bruyant d'une grande agglomération d'habitants, et sur un théâtre exposé aux éclairs sinistres de l'orage, sur un sol trop souvent tourmenté par les tempêtes.

Qu'elle soit donc renvoyée à l'ex-hôtel Rambouillet, où elle s'est affichée pour la première fois, cette devise de camaraderie et d'exclusivisme, raillée par Boileau :

<< Nul n'aura de l'esprit hors nous et nos amis. >>

Qu'on renonce une bonne fois au préjugé injuste, à l'ostracisme aveugle qui, sans examen, à priori, rejette comme entachée de médiocrité, toute production née loin des bords de la Seine, comme si celle-ci, pour un grand nombre de talents, de ceux dont elle est le plus fière, avait fait autre chose, épanouis et formés ailleurs, que de leur imprimer le sceau de la renommée. Qu'une conception mathématique, qu'une composition littéraire, histoire, roman, drame ou poème, forte de sa valeur intrinsèque, soit autorisée à faire appel au jugement équitable d'une critique impartiale, sans être condamnée à attendre l'empreinte et l'estampille parisienne. Abus fâcheux, une des causes qui amènent la désertion du lieu de leur naissance de tant d'hommes d'étude, et l'abandon des champs par tant d'honnêtes ouvriers.

Il ne tiendra pas au grand Ministre actuel de l'instruction publique d'opposer une digue efficace à ce courant, comme il l'appelle, qui entraîne vers la capitale tout ce qui a vie, force et intelligence. On sait tout ce que M. Duruy a déjà tenté en ce sens; et, tandis que ses collègues s'occupent de décentralisation administrative, tout ce qu'il a entrepris pour secouer la torpeur léthargique, le marasme somnolent qui pèse sur tant de petites villes et les ensevelit comme dans les ombres de la mort. Après avoir sollicité des municipalités et des conseils généraux des fonds en faveur de l'établissement des bibliothèques urbaines. et rurales, en nous communiquant la circulaire en date du 1er octobre, par laquelle il invitait MM. les recteurs à étudier la question relative à la propagation des lectures publiques le soir, à l'exemple de celles faites à la Sorbonne : « Je serais particulièrement heureux, nous disait Son

Excellence, d'apprendre que votre Société est disposée à apporter le concours de ses lumières à une propagande scientifique et littéraire, qui complèterait si utilement notre enseignement public, en répondant à des besoins intellectuels qu'il nous appartient de satisfaire. »

Quand verrons-nous s'ouvrir dans notre cité, à côté d'une bibliothèque fréquentée, cet autre banquet des sages, si propre à extirper des habitudes d'un caractère infiniment moins recommandable! Mais revenons au mémoire de M. Arsène Thevenot.

AVANT-PROPOS.

Sur le thème dont il s'agit, trois mémoires ont été présentés au Congrès l'un concluant à la fondation d'une Société de décentralisation littéraire; le second, à la création d'une Revue bibliographique; le troisième, celui de notre auteur, à la publication d'une Statistique intellectuelle de la France, à l'instar de la Statistique industrielle et agricole, conclusion qui, soumise à l'examen d'une commission et aux épreuves d'une discussion publique, a eu seule l'honneur d'être adoptée.

[ocr errors]

DE LA DÉCENTRALISATION INTELLECTUELLE.

Il y a trente ans, la province n'était qu'un nom, aujourd'hui, c'est un drapeau....>> (A. DE ROUVAIRE).

«En avant donc, semons fiers de notre grandeur,

« La lumière partout, et partout la splendeur....»
(J. LESGUILLON).

C'est à ce commandement en avant! que M. Thevenot se met en marche; c'est sous cette bannière déployée, qu'il entre en matière.

EXPOSE.

[ocr errors]

Dans un discours direct, l'auteur fait connaître à l'assemblée devant laquelle il parle, les motifs qui l'ont conduit à traiter une question non inscrite, il est vrai, sur son programme, mais qui a présidé à l'institution des Congrès scientifiques ambulants. La disproportion de ses moyens avec la grandeur de la tâche qu'il s'est imposée, il ne se la dissimule pas, déclare-t-il; pas plus qu'il n'a l'intention de la remplir dans toute son étendue; ce développement excéderait la mesure de ses forces, ainsi que celle du temps qu'il lui est permis de réclamer de la bienveillante attention de l'assistance. Il se bornera à jeter un rapide coupd'œil sur le mouvement intellectuel de la France, depuis l'origine de sa littérature au XIe siècle, jusqu'à nos jours, et à considérer quel a été le rôle de la Province au milieu de ce mouvement.

MOUVEMENT INTELLECTUEL DE LA FRANCE.

Qui dit mouvement, dit décentralisation, et cette diffusion des produits de l'intelligence remonte aux premiers littérateurs français, qui furent, comme on le sait, nos anciens trouvères. Habitant la campagne, où ils se trouvaient plus près de la nature pour la chanter, les poètes de la langue d'oil erraient souvent à l'aventure, en semant les vers, pour moissonner gloire et renommée; et quand eurent lieu les premières réunions littéraires, connues sous le nom de Puys-d'Amour, ce fut encore dans les villes de Province que se tinrent ces assises poétiques. Suit une énumération des principaux enfants du gay scavoir.Mais le XVIe siècle, témoin de la Renaissance, vit en même temps commencer la centralisation littéraire. François Ier et sa sœur, Marguerite de Navarre, surent attirer à leur cour les plus fameux poètes de l'époque, premier noyau d'où se forma la fameuse pleïade.

Le groupe continua à se condenser et vint aboutir à ce cénacle de la marquise de Rambouillet, dont l'entrée était aussi vivement disputée que plus tard une admission à l'Académie française. Sous le souverain qui disait : « L'Etat, c'est moi, » la cité-reine ne pouvait qu'absorber davantage encore les talents qu'elle n'avait ni nourris, ni enfantés. Il était réservé au gouvernement consulaire et à son chef, le restaurateur de l'Université, de changer l'état moral de la France, et sans rien enlever à la métropole, de susciter le réveil de l'esprit en province. C'est lui qui a donné l'impulsion aux créations diverses, passées en revue par l'auteur.

---

1° ÉTABLISSEMENTS D'INSTRUCTION.

Il ne s'agissait guère que de renouer la chaîne des temps, d'y ajouter des anneaux, en perfectionnant les anciens. Les écoles fondées par Charlemagne, dans les principales villes de son empire, et dans son propre palais d'Aix-la-Chapelle, sous l'habile direction du savant moine anglais Alcuin, avaient été abandonnées sous ses faibles successeurs. Seulement, au XIIe siècle, quelques-unes commencèrent à se rétablir, et déjà vers cette époque, l'affluence était grande autour de la chaire du savant philosophe Abeilard. Enfin, au commencement du XIIIme siècle, Philippe-Auguste fonda cette fâmeusc Université de Paris, qui s'éleva si rapidement au plus haut degré de gloire et de puissance, à côté de trois grandes écoles publiques préexistantes, à Notre-Dame, au cloître Saint-Victor et sur la montagne Sainte-Geneviève. Bientôt, de 1250 à 1401, s'élevèrent successivement les collèges de la Sorbonne,

des Bons-Enfants, d'Harcourt, de Bayeux, de Navarre, de Montaigu, du Plessis, de Lizieux et de La Marche. Mais toutes ces écoles étaient des établissements d'instruction secondaire, et dès lors inaccessibles au peuple: Henri IV le comprit et créa, en 1598, les premières écoles gratuites et presque obligatoires. En 1680, l'abbé de La Salle, chanoine de Reims, institua les écoles chrétiennes, dites de charité, qui donnèrent également l'instruction primaire gratuite.

Avant 1789, la France comptait 23 Universités provinciales (suivent les noms de leurs sièges, avec la date de leur fondation), indépendamment des nombreux collèges des Jésuites, des Dominicains, des Franciscains, des Oratoriens et autres ordres religieux, toujours assez bien pourvue sous le rapport des moyennes études, mais s'inquiétant peu de laisser en souffrance les études élémentaires.

Sous le premier gouvernement républicain, plusieurs améliorations furent tentées en faveur de ces dernières, mais restèrent infructueuses, ou demeurèrent à l'état de projet, comme ce décret de la Convention, qui portait à 1,200 fr. le traitement des instituteurs. Les premiers résultats heureux furent obtenus par les lois des 5 février et 1er décembre 1798, qui placèrent les écoles primaires sous la surveillance de l'administration cantonale, et en confièrent l'administration aux communes. A l'autorité des chefs-lieux de canton, la loi consulaire du 1er mai 1802 substitua les sous-préfets, tout en laissant les instituteurs, — auparavant appelés recteurs des petites écoles,- au choix des administrations municipales.

En 1806, Napoléon créa l'Université de France, destinée à centraliser les anciennes Universités provinciales, supprimées par le décret de la Convention du 20 mars 1794. Par un décret postérieur, celui du 17 mars 1808, la France fut partagée en 27 Académies universitaires, dont les sièges furent les mêmes que ceux des Cours impériales. Enfin, plusieurs ordonnances de Louis XVIII et les autres lois d'instruction de 1833, 1850 et 1854, firent encore subir à l'enseignement diverses modifications pour lui donner les bases sur lesquelles il repose aujourd'hui.

La France est actuellement divisée en 17 Académies universitaires, dont les sièges sont placés dans les villes suivantes : Aix, Besançon, Bordeaux, Caen, Chambéry, Clermont-Ferrant, Dijon, Douai, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nancy, Paris, Poitiers, Rennes, Strasbourg et Toulouse.

Quant aux divisions, c'est dans l'œuvre même de M. Arsène Thevenot qu'il en faut prendre connaissance, surtout pour l'enseignement primaire, jadis si négligé et aujourd'hui sur le premier plan. D'après

« PreviousContinue »