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bréviaire! n'est-ce donc pas le recueil des offices récités chaque jour par les religieux séculiers ou réguliers? Et un moine abuse de ce nom pour nous donner, comme Ovide, des leçons sur l'art d'aimer !... J'ai bien envie de renvoyer ces imprudents à certaine fable de Phèdre, sur le danger des jugements précipités.

D'abord, le terme de bréviaire n'a pas toujours eu le sens qui s'y attache aujourd'hui : dérivé du mot latin brevis, court, il était employé par les auteurs qui avaient la prétention de renfermer beaucoup de choses en un cadre étroit: l'historien de la vie des douze Césars, Suétone, s'en est servi. Tel est aussi le Breviarium historiæ romanæ composé par Eutrope; l'Epitome historiæ sacræ, l'Appendix de Diis, ves initiations aux études classiques, n'en sont que des synonymes.

Ensuite, ce vocable, l'amour, n'a pas toujours éveillé les idées actuelles chaste et pur dans le principe; il signifiait une affection spirituelle; c'est de l'amour de Dieu que les livres saints font sortir la création.

Il convenait de chasser les préventions, les préjugés, sorte de nuages amassés à l'horizon, avant de se mettre en route.

Loin donc de mériter un reproche soupçonneux de frivolité, le Breviari d'amor est un traité de haute philosophie, ou si l'on veut, la collection de toutes les connaissances possédées au XIIe et au XIIIe siècle. Bien que poème-roman écrit en vers, dans l'idiòme provençal, dans la langue d'oc, celle des troubadours, il nous fait constamment marcher en compagnie des grandes intelligences de l'époque saint Bernard, ce puissant adversaire d'Abeilard; saint Thomas d'Aquin, l'ange de l'école; saint Bonaventure, le docteur séraphique; Albert-le-Grand; Vincent de Beauvais; Alexandre de Hales; Pierre Lombard; Roger Bacon et surtout Dante et cette Béatrix qu'il a portée si haut dans la divine Comédie; indépendamment des grandes figures du passé : David, Salomon, saint Jean, saint Luc, saint Paul, saint Jacques, saint Mathieu, saint Grégoire, saint Ambroise, saint Augustin, saint Isidore, saint Methodius, saint Jean Damascène, Caton, Sénèque, Constantin, Hippocrate, Galien, Socrate, Platon, Aristote, etc.

Heureux d'être admis en pareille réunion, asseyons-nous avec confiance au pied de l'arbre d'amour, et cherchons à recueillir les fruits qui vont tomber de chacune de ses branches. Car tel est le titre symbolique et du corps de l'ouvrage et de ses divers chapitres.

Au-dessus plane le grand être, Dieu, avec ses attributs souverains, attributs absolus: l'éternité, l'immensité, l'infinité, l'immuabilité; attributs relatifs et moraux : la bonté, la justice, la prescience, et selon le

dognie chrétien, le sacré triangle, ainsi défini dans ce distique de Zaïre: La puissance et l'amour, avec l'intelligence,

Unis et divisés composent son essence.

La nature occupe le second cercle de l'arbre d'amour, la nature considérée dans le plan divin, natura naturans ; la nature envisagée dans l'œuvre de la création, natura naturata. D'elle naissent deux filles : la législation du droit naturel, d'où chez l'homme, comme chez l'animal, l'amour physique, l'attachement pour la progéniture qu'il engendre; la législation du droit des gens, d'où chez la créature raisonnable l'amour de Dieu et du prochain, et la culture des biens temporels. Le fruit de l'amour de Dieu et du prochain est la vie éternelle; le fruit de l'amour des biens temporels est le plaisir qu'ils procurent; les enfants sont les fruits de l'amour physique, et le bonheur est le fruit de l'amour des enfants.

Les feuilles et les fleurs ont aussi une signification particulière. Les fleurs, personnifiées dans l'ancien testament par Lia, et dans le nouveau par Marthe, représentent la vie active; d'un ordre supérieur et plus méritoire, les feuilles, figurées dans la Bible par Rachel, et dans l'Evangile par Marie, constituent l'emblême de la vie contemplative.

Des créatures, après Dieu, les plus excellentes sont les anges. Habitants de la cour céleste, où ils ont des attributions et des fonctions diverses, ils forment, sous des noms différents, trois hiérarchies composées chacune de trois ordres dans la première, les séraphins d'abord, comme étant doués d'un plus grand amour et d'une plus vive intelligence; dans la seconde, les chérubins; et dans la troisième, les thrones, suivis chacun des ordres dont ils sont la tête.

Aux anges, et dans l'abime où ils ont été jetés, sont opposés les démons, devenus la personnification du mal par leur révolte contre Dieu et leur mépris du souverain bien. De là des dissertations sur la nature divine, la volonté de Dieu, la prédestination des élus, la révocation des réprouvés; l'accord de la grâce et de la liberté, de la prescience divine et du libre arbitre.

Vient ensuite une description de la nature du ciel et de la terre. C'est ici la partie scientifique du Breviari. Le système astronomique adopté est une reproduction de celui de Ptolémée, tel qu'il est expliqué dans l'almageste; à l'occasion des douze signes du zodiaque, et des saisons auxquelles ils président, nous voyons reparaître toutes les opinions superstitieuses du moyen-âge, toutes les croyances païennes relativement à l'astrologie judiciaire, et l'influence des astres sur la destinée des mortels.

La géographie physique se réduit à quelques donnécs vagues sur la forme du globe terrestre.

La minéralogie en est encore à l'ars magna, au grand œuvre de Raymond Lulle, et à la possibilité de convertir tous les métaux en or.

La botanique n'offre guère qu'un catalogue des plantes médicinales, oublieuse d'un nombre infini d'herbes sauvages et potagères, d'arbrisseaux, d'arbustes, d'arbres, etc.

La zoologie est pleine de naïvetés. L'on y voit que le corbeau nourrit pieusement ses vieux parents et les porte sur son cou quand ils ne peuvent plus voler; que l'hirondelle, au moyen de la fleur de la chelidoine, rend la vue à ses petits qui ont les yeux crevés. En vérité, on se prend à regretter que ces idées n'aient pas survécu, pour protéger les animaux contre les mauvais traitements de leurs cruels oppresseurs !

L'anthropologie ne comprend que des notions sur les facultés sensibles de l'âme, sans aborder celles qui caractérisent sa spiritualité, et par conséquent son immortalité.

Ce qui n'est pas moins incomplet, c'est la physiologie et l'anatomie du corps humain : aucune indication des fonctions du cerveau, du cœur, des poumons; en revanche, admission de quatre tempéraments, en rapport avec les quatre éléments: correspondant au feu, le tempérament bilieux, chaud et sec; à l'air, le sanguin, chaud et humide; à l'eau, le flegmatique, humide et froid; à la terre, le mélancolique, froid et sec. Ajoutez l'influence de ces tempéraments sur la constitution et le caractère des individus; sur la nature des songes, etc., et vous comprendrez aux lumières présentes, ce que la faulx du temps peut jeter à bas d'opinions erronées et crédules.

Mais l'ignorance de l'esprit n'est pas toujours un brevet de l'innocence du cœur, à en juger par le tableau que trace de la société contemporaine l'honnête et candide disciple de saint François. A commencer par les empereurs et les rois, tout passe sous ses verges, et les baronnets et seigneurs de châteaux, vassaux ou suzerains, et les comtes, barons et chevaliers.

Censeur sévère des castes privilégiées, il ne ménage pas davantage la bourgeoisie, dont il gourmande les défauts et les vices, citant de préférence à sa barre les avocats, les médecins, les marchands, et dans les deux sexes, celui des femmes, dont la satyre exerce toute sa verve mordante et caustique. Aussi cherche-t-il ou semble-t-il chercher, nouvel Ulysse, à nous mettre en garde contre les breuvages de Circé et le chant des sirènes, dans un chapitre à part intitulé: Du périlleux traité d'a

mour des dames, ainsi qu'en ont traité les anciens troubadours dans leurs chansons.

A moins que par l'attrait irrésistible du fruit défendu, ce ne fut là une réclame, comme depuis celle de Jean-Jacques s'écriant en tête de sa Nouvelle Héloïse: Malheur à la femme et à la fille honnête qui se permettra la lecture de ce livre.

Quoiqu'il en soit, si les fruits de l'arbre d'amour, sorte d'arbre de la science du bien et du mal, si ces fruits, comme on le voit, sont trèsmélangés, à côté, dans le Bréviari, image du paradis terrestre, se dresse l'arbre de vie, dont les fruits, au contraire, sont tous sains, salutaires et bienfaisants: ainsi les quatre vertus cardinales, les trois vertus théologales, les sept dons du Saint-Esprit, les articles du symbole des apôtres, la vie de Jésus, celle des évangélistes au milieu du cortège des docteurs et des pères de l'église.

L'auteur de l'Introduction au Breviari considère ensuite l'œuvre d'Ermengaud, sous le rapport de la langue, du style et de la versification. Nous ne le suivrons pas dans ses doctes observations, nous bornant à féliciter l'Académie de Béziers de compter dans son sein des membres comme M. Gabriel Azaïs, et M. Soucaille, l'aimable voyageur.

H.-G. CLER, professeur émérite.

Le Mont-Blanc, journal d'Annecy, no du 31 mai :

CONCOURS RÉGIONAL. FÊTES PUBLIQUES. LAURÉATS DU CONCOURS

ARTISTIQUE.

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Discours prononcé à cette occasion par M. Francis Wey, de Besançon, ancien élève du collège de Poligny, aujourd'hui Inspecteur général des archives de l'Empire.

« Messieurs, l'Exposition des beaux-arts aurait réuni un plus grand nombre d'ouvrages, si l'on avait pu faire appel aux talents des pays éloignés, en leur donnant le temps nécessaire pour préparer leurs envois. Le public aurait sous les yeux une galerie plus considérable; mais, d'un autre côté, les éléments du concours y perdraient peut-être un trait de physionomie, ce caractère régional, en si parfait accord avec l'esprit de la présente solennité. Il est salutaire d'essayer ses forces, d'apprendre à se connaître ; il est instructif d'apprécier les ressources qu'un pays peut spontanément offrir à une pensée improvisée.

<< Votre Exposition, au bord du lac, devant un des plus beaux points

de vue du monde, au milieu d'une contrée qui prête à profusion, aux peintres, des motifs inépuisables, votre Exposition a été l'objet d'un empressement général. L'offrande de ce bouquet, assemblé à la hâte par nos artistes de la ville et du voisinage, est sympathiquement reçue, et cette faveur, dont l'amour des arts est le mobile, sera pour tous un encouragement précieux.

<< Des résultats si rapidement obtenus ont intéressé le Jury des récompenses, au nom duquel j'ai l'honneur de prendre la parole. Nous avons été surpris, en parcourant cette petite collection, de rencontrer un si grand nombre d'ouvrages estimables; tant de variété dans les genres et si peu d'imitation dans les procédés; enfin, de reconnaître que, dans une région bien limitée comme espace, l'art s'est manifesté sous toutes ses formes. L'architecture et la sculpture (celle-ci vigoureusement éclose d'une vocation naturelle), le dessin lithographique et l'aquarelle, se prêtant sous une main savante un mutuel concours; la gravure et la gouache rivalisent avec la peinture à l'huile : la peinture des émaux a donné d'heureux spécimens; l'émail-cru, sur faïence, a offert des pièces que se disputeront les amateurs : les nobles distractions d'une artiste qui croit s'essayer, auront transmis peut-être à Thonon, l'industrie de Faënza et d'Urbin.... Enfin, Messieurs, le pastel est réprésenté par des œuvres magistrales, d'un dessin large, d'un modelé ferme et d'un ton soutenu, qui, partout, auraient fait sensation.

<«< En examinant la provenance de ces objets d'art, au nombre de deux cents, nous avons constaté que la ville d'Annecy peut revendiquer les œuvres de quatorze artistes, chiffre qui s'élève à vingt-un pour le département, en tenant compte des envois de Thonon, Rumilly et Sévrier. Lyon, Chambéry, Lons-le-Saunier du Jura, sont représentés à votre salon mais Genève, à elle seule, députe à notre Concours presque autant d'artistes que les autres contrées. Cinquante-deux numéros du Livret de l'Exposition se répartissent entre vingt-un artistes résidant à Genève....

:

« N'est-il pas bien juste, Messieurs, que leur doyen et leur maître soit appelé à présider au milieu des siens, ce Jury de famille? Pourtant, sa présence parmi nous, avec une mission d'expert, a peut-être soustrait à notre admiration une de ces toiles inspirées des grands aspects de la montagne, que Diday a su, le premier, soumettre aux conditions de l'art.

« Nous devons à Genève des actions de grâce, et je suis particulièrement flatté d'en être l'interprête. On voulait que les beaux-arts fussent conviés à ces fêtes de l'agriculture: le temps pressait; il fallait orner

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