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<< Les âmes du second ordre, je veux dire les saints et les saintes, paroissent plus grandes que les âmes du troisième ordre, qui sont nos parfaites abandonnées, à ceux qui n'ont pas ce discernement divin; car celles-là arrivent à une perfection éminente. Elles ont des unions admirables. Mais cependant ces personnes ne sont jamais véritablement anéanties, et Dieu ne les tire pas de leur être propre, pour l'ordinaire, pour les perdre en lui. Ces âmes font pourtant l'admiration et l'étonnement des hommes: elles sont les prodiges et les miracles de leur siècle. Dieu se sert d'elles pour en faire ses saints"; il semble qu'il prenne plaisir d'accomplir tous leurs desirs. Ces âmes sont dans une grande mortification. On les croira dans les mêmes voies des dernières et plus avancées: elles se servent des mêmes termes de mort, de perte, d'anéantissement, et il est bien vrai qu'elles meurent en leur manière, qu'elles s'anéantissent et se perdent; elles portent leur perfection où elle peut aller; elles sont détachées, elle aiment la pauvreté: cependant elles sont et seront toujours propriétaires de la vertu, mais d'une manière si délicate, que les seuls yeux divins le peuvent découvrir. La plupart des saints, dont la vie est si admirable, ont été conduits par cette voie. Ces âmes sont si chargées de marchandises, que leur marche est fort lente. Que faut-il donc faire? Ces âmes ne sortiront-elles jamais de cette voie? Non, sans un miracle et sans une conduite d'une direction toute divine, qui les porte à outre-passer toutes ces grâces. »

LE DOCTEUR. Vous devez être content, mon Père, de l'effort que vous venez de faire en faveur de vos âmes du parfait abandon et de l'union essentielle; car les voilà au-dessus des

quer dans les éditions des Dialogues, on passe à un autre chapitre des Torrents. La citation suivante, évidemment empruntée à l'Ordonnance de l'évêque de Chartres (no xLv), est composée de divers fragments du chapitre II de la partie I, nos 4, 6, 9 et 10 (p. 146149), qui ont été rapprochés les uns des autres. Elle devient textuelle trois lignes plus bas, aux mots : « A ceux qui n'ont pas le (et nom ce comme ici) discernement divin. »>

a. Les mots ses saints ne se trouvent pas dans le texte des Torrents ni dans l'extrait XLV de l'Ordonnance, et nous semblent une addition maladroite de l'éditeur des Dialogues.

b. C'est-à-dire, plus avancées que les âmes du troisième ordre.

martyrs et des confesseurs, des vierges, et de tous les saints que nous invoquons, qui sont nos intercesseurs auprès de Dieu, auxquels l'Église consacre des jours et des prières.

LE DIRECTEUR. Je n'ai rien dit sur cela qui ne soit extrait fidèlement de notre livre des Torrents, et nous sommes tous d'un même sentiment. Aussi est-il admirable de lire dans nos mêmes Torrents les mystérieuses, sublimes et magnifiques paroles qu'ils emploient pour exprimer l'état de l'âme unie à Dieu dans cette vie, et pour donner l'idée de l'union essentielle, qui est la béatitude: « L'âme, après bien des morts redoublées, expire enfin dans les bras de l'amour; mais elle n'aperçoit point ces mêmes bras. Elle n'est pas plus tôt expirée, qu'elle perd tout acte de vie, pour simple et délicat qu'il fût1: Ici toutes distinctions d'actions sont ôtées, n'ayant plus de vertu propre, mais tout étant Dieu à cette âme 2.

« L'âme, continue ce sublime livre, l'âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connoît plus; elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend rien, n'en distingue rien; il n'y a plus d'amour, de lumière, ni de connoissance 3. >>

LE DOCTEUR. Voilà en vérité, mon Père, une âme fort illuminée.

Le directeur. « L'âme, dit tout de suite le même auteur, a perdu toute volonté : ici l'âme n'en a plus de propre; et si vous lui demandiez ce qu'elle veut, elle ne le pourroit dire: elle ne peut plus choisir; tous ses desirs sont ôtés: parce qu'étant dans le centre et dans le tout, le cœur perd toute pensée",

I. Livre des Torrents, partie I, chapitre VIII, no 2, p. 219. a. Il y a dans notre édition des Torrents : « les actions n'ayant plus, etc. >>>

2. Livre des Torrents, partie I, chapitre Ix, no 7, p. 232 *.

3. Ibidem, no 6, p. 231.

4. Ibidem, no 9, p. 233.

b. Toute pente, dans les éditions des Torrents.

*

Ici, comme plus haut (p. 658, 661, 663, 667, etc.), ainsi qu'on peut le voir par les compléments de renvois que nous ajoutons, des extraits de passages différents des Torrents sont réunis sans que l'éditeur nous avertisse qu'ils ne se suivent point. Il se contente partout d'écrire à la marge: Livre des Torrents, en tête des citations composées de fragments divers.

tendance, et activité. Ce torrent n'a plus de pente ni de mouvement: il est dans le repos et dans la fin. »

LE DOCTEUR. Vous vous laissez insensiblement aller à nous entretenir du repos et de la félicité de l'autre vie, et vous en parlez même aussi affirmativement que si vous l'aviez vue.

LE DIRECTEUR. Je ne parle, Monsieur, que de ce que chacun de nous expérimente pendant sa vie, et autant qu'il lui plaît: cela est trivial. « Cette âme, dit-il ailleurs1, ne sent pas, n'est pas en peine de chercher", ni de rien faire ; elle demeure comme elle est, cela lui suffit. Mais que fait-elle? Rien, et toujours rien. » — « L'âme, dit le Moyen court et facile, ne peut être unie à Dieu, qu'elle ne soit dans un repos central, et dans la pureté de sa création. » Et dans notre Cantique des cantiques: « Il y a des personnes qui disent qu'une telle union ne se peut faire en cette vie; mais je tiens pour certain qu'elle se peut faire en celle-ci. » Les Torrents enseignent aussi << que c'est par une perte de volonté en Dieu » que l'union arrive jusques à «< un état de déification, où tout est Dieu, sans savoir que cela est ainsi : l'âme est établie par cet état dans son bien souverain, sans changement; elle est dans la béatitude foncière, où rien ne peut traverser ce bonheur parfait, lorsqu'il est par état permanent: Dieu donne l'état d'une manière permanente, y établit l'âme pour toujours. » Mais voulez-vous rien voir de plus précis, et en même temps de plus glorieux pour cette âme du parfait abandon? C'est dans l'Explication de notre Cantique des cantiques; retenez ces parolesci: « L'âme ne doit plus faire de distinction de Dieu et d'elle Dieu est elle, et elle est Dieu. »

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1. Livre des Torrents, partie I, chapitre 1x, no 9, p. 233.

a. Dans le texte imprimé des Torrents : « Cette âme ne se met pas en peine de chercher. » Il y a sans doute, dans nos Dialogues, une erreur de lecture, accompagnée d'une interprétation erronée. b. § xxiv, p. 125.

c. Chapitre 1, verset 1, p. 4 et 5. Voici le texte exact : « Il y a des personnes qui disent que cette union ne peut se faire que dans l'autre vie, etc. »

d. Partie II, chapitre IV, e. Page 145.

n° 7, p. 270.

LE DOCTEUR. Vraiment, mon Père, elles sont d'une nature à ne pouvoir pas sortir de la mémoire; et comme je l'espère, Madame, qui l'a si excellente, ne les oubliera pas.

LA PÉNITENTE. Je compte bien, mon frère, de ne les pas oublier; mais souvenez-vous aussi que nous sommes entrés ici à près de quatre heures; le Révérend Père a parlé longtemps, et a besoin de repos.

LE DOCTEUR. Je ne saurois me repentir sérieusement des peines que je lui ai attirées, quand je lui dois les découvertes qu'il m'a fait faire sur l'union essentielle, dont j'avoue que je n'avois eu jusqu'à présent qu'une connoissance assez imparfaite; et véritablement il y a des notions sur cette matière qui ne se peuvent pas deviner.

Le directeur. Oui, oui, il y a quelque chose d'abstrait, d'impliqué, et qui n'entre pas d'abord sous les sens. Les choses fort mystiques sont comme cela.

LE DOCTEUR. Je ne vous quitte pas au reste, mon Révérend Père, de la conversation que vous m'avez promise sur l'amour de Dieu, car il est étonnant que vous ne l'admettiez pas dans votre béatitude.

LA PÉNITENTE. Vous allez, mon frère, recommencer, si vous n'y prenez garde. Je vous prie, laissons le Père; je vous promets de vous ramener ici quand il vous plaira, pourvu qu'il veuille y consentir.

LE DIRECTEUR. Vous ne sauriez trop tôt dégager votre parole.

.

LE DOCTEUR. J'aurai soin de l'en faire souvenir.

La pénitente. Je ne me ferai pas beaucoup prier d'une chose où j'ai plus d'intérêt que vous, et que je souhaite de même.

DIALOGUE VIII.

Acte permanent et perpétuel d'amour de Dieu selon les nouveaux mystiques. Essence de Dieu considérée sous l'idée la plus abstraite, objet de cet acte. Exclusion de tous les autres motifs d'amour et de charité. Contrariété de cette doctrine à l'Évangile et aux maximes fondamentales de la religion.

LA PÉNITENTE. Voilà, mon Père, un homme que j'ai sur les bras depuis notre dernière entrevue, qui ne m'a donné ni repos ni trève, jusqu'à ce que je l'aie amené ici une troisième fois. La curiosité qu'il a de vous voir, ou de vous entendre, augmente tous les jours; et comme la mienne n'est pas moindre, il n'est pas étonnant que vous nous revoyiez l'un et l'autre, plus tôt que vous ne l'aviez peut-être espéré.

LE DOCTEUR. Je vous ai entendu dire, mon Père, des choses si nouvelles la dernière fois que je vous vis, que je ne suis pas encore sorti de l'étonnement qu'elles m'ont causé; mais sur ce que vous me promites de m'expliquer votre sentiment sur l'amour de Dieu, je vous avoue que je brûle d'impatience que vous me teniez parole. Ma sœur, je crois, sera ravie de profiter de notre conversation; et puisqu'elle veut bien, toute instruite qu'elle est sur ces matières, me laisser parler pour moi et pour elle, il faut encore qu'elle me permette de vous rendre compte des choses qui me sont venues dans l'esprit sur ce qui vous échappa de dire, qu'il n'y avoit point d'amour de Dieu parmi vous, et que vous ne le considériez pas comme une chose qui fût aux hommes de quelque utilité. J'avoue que cette maxime m'a paru si étrange et si contraire aux premiers principes de la morale chrétienne, qu'à peine aurois-je pu me persuader que vous l'eussiez avancée, si vous ne me l'aviez fait bien remarquer, en m'avertissant de vous engager à parler sur cet article en quelque autre occasion. L'Écriture sainte ne nous recommande partout que la charité ou l'amour de Dieu: c'est en cela que consistent la vertu, la religion, l'accomplissement de la loi, la fin de l'Évangile, la perfection de la sainteté, le bonheur souverain. Comment donc un homme qui fait profession de conduire les âmes à un état

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