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tends donc, ma sœur, et comprends très clairement que vous êtes hérétique. Vous en fieriez-vous au concile de Trente? >> Puis, en s'interrompant lui-même : « Pour moi, j'admire comment de certaines gens, gâtés par leurs adulateurs et par leurs sectaires, se croyant plus fins ou plus profonds que le reste des fidèles, dédaignant par un fond d'orgueil de penser comme eux, et comme on a toujours pensé dans le christianisme, ne parviennent enfin, par tous les raffinements de leur esprit, et par une affectation de découverte et de nouveauté, qu'à imaginer une vieille erreur déjà condamnée par toute l'Église, qu'à devenir calvinistes ou luthériens, frappés d'anathème dans le concile de Trente. » Et passant dans son cabinet, qui est proche de la salle où nous mangeons, il en revint avec cette traduction du concile: « Si quelqu'un dit (vous voilà, « ma sœur), si quelqu'un dit que le libre arbitre de l'homme, « mû et attiré de Dieu, ne doit point prêter son consentement, << ni coopérer avec Dieu, qui l'excite et qui l'appelle, pour ob« tenir la grâce de sa justification, mais qu'il doit demeurer «< comme quelque chose d'inanimé (voilà le corps mort), sans << nulle action, et dans un état purement passif, qu'il soit ana<< thème". » Ce canon fut fait contre les luthériens, qui soutenoient que toute coopération étoit mauvaise, et qu'il falloit s'en abstenir; et contre les calvinistes, qui trouvoient de l'impureté dans les actions les plus saintes, et nioient le concours nécessaire de la volonté. Choisissez, ma sœur, de l'un ou de l'autre dogme, ou plutôt l'un et l'autre vous appartiennent. Et en effet, poursuivit-il, quand on croit une fois avec l'Église qu'il y a un péché originel, soit que Dieu ait regardé tous les hommes dans Adam, leur père, et qu'il lui ait plu d'im

rent. L'âme, sans qu'elle le sache et y pense, se trouve enlevée vers Dieu. » (La Combe, Analyse de l'oraison mentale *.)

a. Canon iv du Décret de la justification, daté du 13 janvier 1547 (be session du concile).

:

b. VAR. les plus saintes, à cause du concours de la volonté.

*

Contemplatio passiva seu infusa dicitur, quæ per simplicissimos quidem et unitissimos actus in divina erigitur, verum divinitus infusos, nec in hominis arbitrio relictos......... Sed ideo passivæ nomen obtinuit, quia summo divini luminis excessu, vel inscia anima, et incogitans, seu rapitur in divina, seu Deo adhæret. (Pages 84, 86 et 87.)

puter à tous son péché, comme il leur auroit imputé sa justice, soit que le venin de sa désobéissance coule, par la voie de la chair ou par quelque autre voie mystérieuse, dans toutes les générations qui sortent de lui; quand on est persuadé que le baptême est le remède spécifique que Dieu ap plique à cette maladie contagieuse; que le péché de ce premier homme est réellement, actuellement et formellement effacé par les eaux salutaires; quand on sait néanmoins, par sa propre expérience, qu'il ne laisse pas de rester de cette blessure une certaine foiblesse qu'on appelle concupiscence, qui sans être un péché, nous rend le mal plus facile à pratiquer que le bien; quand on admet ensuite la venue de JésusChrist, sa mission, sa grâce, de quel usage, de quel secours, je vous prie, peuvent-ils être à l'homme, s'ils ne fortifient sa foiblesse? si le trouvant incliné au vice, ils ne le redressent et ne le plient à la vertu? s'ils ne le rendent fort et persévérant dans les voies de la justice? Mais quand il est vrai qu'il y a eu de ces hommes foibles et fragiles, qui prenant le dessus de la concupiscence, ont tenu ferme contre toutes les tentations, ont résisté à leur naturel et à leur complexion, ont fait de continuels efforts pour vaincre leurs passions, et ont terminé un vie sainte par une mort plus sainte, où aller chercher la source de ces merveilles plus loin que la grâce qui justifie? que leur falloit-il davantage? dites, imaginez. Le dépouillement de la propriété? la vue distincte et indistincte de Dieu présent en tous lieux? des motions extraordinaires, sans fin, sans relâche? des voix de Dieu articulées à la fin de chaque oraison de simple regard? Ouvrez les yeux, ma chère sœur; consultez votre raison; souvenez-vous seulement de votre catéchisme : que vous faut-il davantage? Je vais vous l'apprendre notre consentement à la grâce, notre concours avec la grâce: c'est nous que Dieu récompense, c'est donc nous qui devons agir; notre coopération à la grâce, qui est encore une autre grâce, mais qui suppose et qui aide l'action, le mouvement et la détermination de notre volonté. »

Il disoit, mon père, toutes ces choses d'un ton fort pas

a. VAR.: nous rend plus faciles à faire le mal qu'à pratiquer le bien.

sionné, mais qui ne m'irritoit en aucune manière : mon frèer le docteur est le meilleur homme du monde, et qui m'a rendu auprès de ma belle-mère et de mon mari tous les bons offices dont il s'est pu aviser. Je sais qu'il est catholique de bonne foi; il passe d'ailleurs, comme vous savez, pour fort savant sur la religion, qu'il sait accommoder à la portée de ceux à qui il en parle. Tout cela, je l'avoue, me donnoit une grande attention pour tout ce qu'il me disoit; je n'en perdois pas une seule parole, et ayant, Dieu merci, de la mémoire....

Le directeur. Oh! prodigieuse.

LA PÉNITENTE. Avec ce que j'avois envie de vous rendre un fidèle compte de tout l'entretien, pour avoir sur cela des éclaircissements avec vous qui me pussent affermir dans notre doctrine, il ne faut pas s'étonner qu'il ne me soit presque rien échappé : jusque-là, mon cher Père, qu'il m'en reste des scrupules et bien de petites peines sur la plupart des choses qui m'ont été dites. Je ne sais, mon Père, si ma mémoire me les pourra fournir sans un nouveau recueillement qui m'en rappelle l'idée.

Le directeur. C'est bien dit, Madame: remettons le reste à demain, s'il vous plaît, à la même heure qu'aujourd'hui ; car il n'y a rien à perdre d'une conversation aussi curieuse.

LA PÉNITENTE. A demain, puisque vous le voulez ainsi, et je serai exacte au rendez-vous.

DIALOGUE IV.

Vie et actions d'un saint opposées aux maximes et aux pratiques des quiétistes. Qu'il n'attend point des motions et des inspirations extraordinaires pour faire le bien. Examen de conscience devient un péché de propriété selon les quiétistes. Célébration des fêtes, prières, assistance à la messe. Réception des sacrements et autres pratiques de piété commandées par l'Église, indifférentes ou nuisibles selon les mêmes principes.

LE DIRECTEUR. J'ai renvoyé le comte de***, et Mme la marquise de ***, et Mme la présidente de ***, , pour vous tenir ma parole. Je vous avoue que je souffre beaucoup dans leurs fades conversations: ce sont des gens ennuyeux qui ne font que des questions grossières et embarrassées. Si je leur propose quelques-unes de nos maximes, ils me répondent avec un froid et une insipidité qui marquent le peu de progrès qu'ils font dans nos mystères. Croiriez-vous que la présidente, depuis un an, ne peut comprendre l'évacuation de l'esprit d'Adam? Cependant on veut dans le monde qu'elle ait de l'esprit.

LA PÉNITENTE. De l'esprit! ce sont des gens qui jugent bien légèrement, et qui ne la voient guère: pour moi, je vous avoue qu'en trois différentes visites, elle m'a paru fort bornée. Convenez d'ailleurs, mon Père, qu'elle n'a ni vivacité ni mémoire.

LE DIRECTEUR. Il vous est fort aisé, ma fille, de trouver qu'on manque de mémoire, vous qui en êtes un prodige: il faut vous l'avouer, j'ai repassé toute la nuit avec admiration le récit fidèle que vous me fìtes hier de la longue et docte conversation de Monsieur votre beau-frère.

La pénitente. Il est vrai, mon Père, que j'ai la mémoire assez heureuse; je n'en ai jamais tant senti le besoin que dans ce qui me reste à vous dire de tout notre entretien.

LE DIRECTEUR. Je serai ravi d'en apprendre la suite. La pénitente. La suite est qu'après y avoir un peu pensé, j'ai dit à mon beau-frère que quelque homme saint qu'il voulût choisir à sa fantaisie, il n'auroit pu être tel sans le dépouillement de toute propriété, c'est-à-dire de propre ac

tion, et sans motion divine qu'il auroit sentie en soi en conséquence de l'oraison de simple regard, et qui l'auroit réglé dans toute sa conduite. Il me dit sur cela que j'avançois cette proposition en l'air et sans preuve, et ajouta qu'il m'alloit convaincre que les mouvements extraordinaires n'étoient pas plus nécessaires à un homme né dans le christianisme, qu'à moi une motion divine pour me faire rendre mon pain bénit: en un mot, qu'il feroit vivre et mourir son saint, sans qu'on pût, avec le moindre fondement, relever aucune circonstance de sa vie où il eût besoin des conditions que je proposois : ni de dépouillement de propre action, ni de ce que j'appelois contemplation acquise, ni de motion divine, et continua de cette manière: «< Je suppose seulement que mon saint est baptisé; je n'appréhende pas, dit-il, que vous me souteniez d'abord qu'il eût besoin, quelques heures après sa naissance, de simple regard et de motion divine, pour se préparer à recevoir ce sacrement: peut-être me direz-vous que le simple regard a été nécessaire à ses parrain et marraine, avant qu'ils aient répondu pour lui de sa foi au prêtre et à l'Église? Cet enfant, dis-je, à peine a l'usage de raison, qu'il entend parler de Dieu, d'Église, de religion. Dans l'âge de l'adolescence, et ensuite dans sa jeunesse, il apprend de ses parents et de ses maîtres les cérémonies, les mystères, les maximes de cette religion; il sait ce que Dieu ordonne et ce qu'il défend, ce qui lui plaît et ce qui lui déplaît; bientôt il sent, il goûte les preuves de cette religion; l'y voilà confirmé par la lecture de l'Evangile, qu'il trouve dans une Église qui porte en soi les caractères de vérité et de sainteté, par la doctrine unanime de tous les fidèles, par la tradition; il est plein de la connoissance de ses devoirs; il est prévenu qu'il faut. éviter le péché; il sait où est le péché et où il n'est pas; il connoît la grâce, son efficacité; il n'ignore pas qu'elle lui est nécessaire pour fuir le péché et pratiquer la vertu, qu'il faut vouloir cette grâce, la desirer, la demander, y acquiescer, y coopérer. - Prenez garde, lui dis-je, mon frère, que pour la coopération, vous la supposez, et elle est en question entre nous.

a. Dans l'ancienne édition : «< ses parrains et marraines; » et sept lignes plus loin: «< ce qu'il lui plaît et ce qu'il lui déplaît. »

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