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sance des cercles de l'Allemagne, des divers collèges, de la chambre de Spire, du conseil aulique, et de tout ce qui regarde le gouvernement de l'Empire, dont j'essayerai de le rendre fort instruit; il a vu et écrit de Louis XII sa conquête de l'État de Milan, celle du royaume de Naples, et est ainsi précisément à la moitié de la vie de ce prince. Les maisons de Saxe, d'Holstein, de Stuart, de Lorraine, de Savoie, de Luxembourg, de Montmorency, sont celles à mon gré qui lui sont encore nécessaires à savoir, et auxquelles je m'appliquerai dès jeudi prochain. La fable va grand train à l'ordinaire, et l'application de Son Altesse est telle que je crois devoir vous assurer que j'en suis content; toutes les études commencent à marcher comme à l'ordinaire. J'assiste aux leçons de M. Sauveur, et il me semble que Monsieur le duc de Bourbon entendra fort bien la fortification: il en est encore aux principes.

Si j'assistois aux fêtes, je vous en rendrois un compte exact, et de la danse de Son Altesse et de tout le reste; je n'en ai vu aucune, et crois ainsi être disculpé, à l'égard de Votre Altesse, des plaintes que l'on me dit qu'elle fait sur cela1 je voudrois de tout mon cœur avoir mille en

1. Les fiançailles du duc de Bourbon et de Mademoiselle de Nantes s'étaient faites le 23 juillet; le mariage, le 24. Sans parler du divertissement qui eut lieu le 25 chez Condé, venu à Versailles pour plusieurs jours à l'occasion du mariage, il y avait eu le jeudi souper chez le Dauphin, le samedi 28 petit ballet à Marly, le dimanche 29 une grande fête à Saint-Cloud chez le duc d'Orléans, avec bal, comédie, etc. Mais ces fêtes ne sont peut-être pas celles dont parle la Bruyère, puisque Condé était à Versailles quand elles eurent lieu. S'il s'agit de fêtes données au mois d'août, la Bruyère, qui avait perdu sa mère le 3 août, n'avait pu y assister à cause de son deuil... · Le mariage du duc de Bourbon ne mit pas fin à ses leçons, et la duchesse de Bourbon prit aussi, mais à des heures différentes, des leçons auprès des maîtres de son mari. Les jeunes époux, en raison de leur âge, continuèrent d'ailleurs à vivre séparément jusqu'au 25 avril 1686.

droits par où marquer avec quel zèle, quel attachement et quel profond respect je suis,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble, très fidèle et très obéissant

serviteur,

Lundi 13. août [1685], à Versailles.

DELABRUYÈRE.

Au dos, d'une autre main: M. de la Bruyere, 13 août 1685

VII

LA BRUYÈRE A CONDÉ1.

MONSEIGNEUR,

Je viens de finir avec Monsieur le duc de Bourbon l'expédition de Louis XII à Naples et la conquête de tout ce royaume. Comme je sais que Votre Altesse Sérénissime veut que je l'instruise des motifs des guerres, des fautes des princes ou de leur bon conseil, et que sans cela même l'histoire n'est qu'une simple gazette, je lui ai fait voir aujourd'hui comment le parti que ce roi prit d'entreprendre cette guerre avec Ferdinand, roi des Espagnes, à frais communs, et de partager avec lui la conquête de Naples, où il pouvoit réussir lui seul, après celle de l'État de Milan, qu'il venoit de faire, et la ruine

1. Le texte de cette lettre, la seule que n'ait pas collationnée M. le duc d'Aumale, a été très obligeamment revisée par M. G. Macon, qui a bien voulu faire pour nous diverses recherches dans les archives du Musée Condé.

de Ludovic, qu'il tenoit prisonnier à Loches, a attiré les Espagnols dans l'Italie, et a fait dans la suite qu'ils en sont demeurés les maîtres et le sont encore, après en avoir chassé les François, Son Altesse a paru entrer dans ces raisons, qu'il a toujours aimées1 autant ou plus même que les simples faits. Son attention est toujours de manière à devoir vous écrire, Monseigneur, que j'en suis content et que vous devez l'être. Nous continuerons demain l'histoire avec la fable, où je suis d'avis de le faire beaucoup avancer parce que l'usage en est toujours présent et ordinaire. Les trois jours suivants nous verrons la géographie, et je suivrai inviolablement la méthode de lui faire apprendre les noms par cœur. Rien enfin ne sera oublié de ce que je sais que Votre Altesse exige de moi, n'ayant point à cette heure de passion en la tête plus violente que celle de la contenter.

Je n'ai pu entendre l'oraison funèbre de Monsieur de Meaux, à cause de l'enterrement de ma mère, qui se rencontra le jour même de cette cérémonie2. Je vous fais, Monseigneur, mes remerciements très humbles, et avec un très grand respect, des bontés que Votre Altesse daigne me marquer sur cette perte dans sa dernière lettre. Pour l'action de Monsieur de Meaux, elle a passé ici et à Paris pour l'une des plus belles qu'il ait faites

1. Le participe est écrit sans accord dans l'autographe.

2. L'oraison funèbre dont parle la Bruyère est celle de la princesse Palatine, prononcée le jeudi 9 août 1685 par Bossuet, dans l'église des Carmélites du grand couvent du faubourg Saint-Jacques : l'unanimité des témoignages contemporains ne permet aucun doute sur cette date. Or d'après le registre de la paroisse Saint-Nicolas des Champs, la mère de la Bruyère fut inhumée dans l'église Saint-Nicolas le samedi 4 août. Comment concilier cette seconde date avec la déclaration de la Bruyère? Le corps fut peut-être déposé le 3 dans un caveau provisoire, et transporté le 9 dans un autre lieu de sépulture. Nulle mention toutefois d'une seconde cérémonie dans le registre de la paroisse.

et même que l'on puisse faire. Il y eut de très beaux traits, fort hardis, et le sublime y régna en bien des endroits; elle fut prononcée en maître et avec beaucoup de dignité'. Elle sera imprimée : c'est Monsieur le Duc et Madame la Duchesse qui l'ont souhaité. J'ai marqué à Monsieur de Meaux l'endroit de votre lettre où vous vous y intéressez3. J'ai mené un vrai deuil d'avoir échappé au plaisir d'entendre une si belle pièce, faite d'ailleurs sur un sujet où j'entre si fort par devoir et par inclination. Les Révérends Pères sont très satisfaits de cette action de Monsieur de Meaux, et personne ici et ailleurs ne m'en a parlé avec plus d'éloge qu'ils ont fait je le lui ai dit comme cela, et il a été fort aise de leur approbation.

Je suis,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble, très fidèle et très obéissant

serviteur,

DELABRUYÈRE.

Ce samedi 18. août [1685], à Versailles.

Au dos, d'une autre main : M. de la Bruyère, 18 août 1685.

1. Gourville, de son côté, écrit à Condé, le 10 août 1685 : « Monsieur de Meaux fit hier une fort belle oraison funèbre, et tout ce qu'il dit de lui me parut extrêmement beau et touchant; mais les mémoires qu'on lui avoit donnés ne m'édifièrent pas tant peut-être est-ce ma faute. » (Archives du Musée Condé.)

2, Elle a été imprimée en effet chez Mabre-Cramoisy en 1693. 3. Ce dernier mot a été écrit à la place d'un autre, que la Bruyère a gratté.

4. Les Révérends Pères jésuites du Rosel et Alleaume, chargés avec la Bruyère de l'éducation du duc de Bourbon. Ici la Bruyère écrit : « les R. P. » ; plus loin (lettre x, p. 496) il écrira : « les RR. Pères. »

VIII

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

Ce 2 octobre [1685]. à Fontainebleau.

Hier lundi, le matin et le soir, je fis étudier Monsieur le duc de Bourbon; j'ai fait la même chose aujourd'hui. Ainsi depuis dimanche au soir j'ai eu avec Son Altesse quatre longs entretiens sur l'histoire de Louis XII, qui s'achemine par là vers sa fin. Elle m'envoie querir dès qu'elle a le moindre intervalle qu'elle peut donner à ses études, et me tient fidèlement la parole que j'ai eue1 d'elle à Chambord, qu'elle remplaceroit ici le temps perdu à la chasse et aux divertissements, en m'accordant toutes les heures qu'elle auroit de libres à Fontainebleau2. Je

le

1. Il y a « que j'ai eu d'elle, » sans accord, dans l'autographe. 2. La cour avait passé vingt jours du mois de septembre à Chambord, du 7 au 27. La Bruyère y suivit son élève; mais la plupart des journées étaient données à la chasse, et les leçons étaient rares. Aussi Condé, qui, le 13 septembre, avait écrit de Chantilly à son fils pour féliciter d'avoir réglé les études de son petit-fils et lui dire son contentement de l'application de ce dernier, écrivait-il, trois jours plus tard, à Monsieur le Duc : « Je ne puis m'empêcher de vous témoigner qu'il me revient de tous les côtés que votre fils va tous les jours à la chasse. J'appréhende que ce violent exercice, et particulièrement la chasse du loup, qui est la plus violente du monde, ne le fasse malade. Prenez-y garde, cela l'empêche d'étudier. Il deviendra un fort bon veneur, mais ignorant dans tout ce qu'il faut qu'il sache. C'est à vous à y remédier et à songer à sa vie, à sa santé et à sa bonne éducation. Je vous prie de n'attendre pas à y remédier quand il ne sera plus temps. » Puis le 23 septembre : « J'ai reçu votre lettre du 20. septembre.... Je vois bien que ce qu'on vous mande sur votre fils ne vous plaît pas. Je me dispenserai à l'avenir de vous en rien mander, jusqu'à ce que vous le trouviez bon. Vous me mandez qu'il n'a été

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