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III

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

J'ai été présent aux trois dernières leçons de M. Sauveur1, et je puis assurer Votre Altesse Sérénissime qu'elles se passèrent avec assez d'application de la part de Monsieur le duc de Bourbon, et qu'il me parut entrer aisément dans toutes les choses dont il s'agissoit : il entendra toujours sans peine tout ce qui est de pure pratique, ou du moins ce où il y a plus de pratique que de spéculation. Il étoit question la dernière fois de la proportion des figures planes entre elles prise de leur hauteur et de leur base, et il verra la première fois quelle est la mesure des figures planes. Il me paroît que la méthode de M. Sauveur est la bonne, qu'il n'y a rien de superflu, et que tout y tend à une connoissance exacte de tout ce qui prépare à la fortification. Sur mon fait, je suis content de l'attention de Son Altesse; la distraction diminue de jour à autre, et elle m'a promis aujourd'hui de s'en corriger entièrement et de ne pas perdre le moindre moment destiné à nos études : c'est sur quoi je m'opiniâtre et ne me rends point. Nous lûmes hier les Principes de M. Descartes, où nous marchons lentement. Je n'oublie point la fable, ni les gouvernements, que je mêle toujours avec la géographie, et ne rêve du matin au soir

1. Joseph Sauveur, célèbre géomètre, né en 1653, mort en 1716. Condé, qui l'avait vu en 1681, à Chantilly, où il était venu pour assister Mariotte dans ses expériences hydrostatiques, l'avait pris en affection. Sauveur devint en 1686 professeur au Collége royal, et entra en 1696 à l'Académie des sciences.

qu'aux moyens de lui être utile, et à lui rendre ses études moins amères, prévenu d'ailleurs que ce sont là vos intentions; car je suis avec toute la soumission et la déférence que je vous dois,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur,

Ce 6. avril [1685], à Versailles.

DELABRUYÈRE.

Au dos A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince; et de la main d'un secrétaire: M. de la Bruyère.

IV

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

Je continue, selon vos ordres, de vous écrire des études de Monsieur le duc de Bourbon: elles vont de manière que Votre Altesse peut en être contente; je le suis assez de son application, surtout à l'histoire, où il me semble qu'il prend quelque goût et s'intéresse plus que jamais aux évènements. Il en est, sur Charles VIII, à ses guerres d'Italie, que nous finirons bientôt; je lui fais redire de suite les choses qu'il a écrites et que je lui ai expliquées, comme vous faisiez les soirs à Chantilly. J'espère qu'il vous rendra aussi bon compte des vies de ce roi et de Louis XII son successeur, comme il a fait de celle de Louis onzième, et que vous serez encore satisfait de lui

sur ce qui concerne la géographie et ses autres études; car son esprit s'ouvre et se forme de jour à autre, comme sa taille, qui s'embellit extraordinairement il croît beaucoup, et tout le monde le remarque1.

Je viens de trouver une méprise dans l'exemplaire de la traduction dont j'ai envoyé une copie à Votre Altesse, qui a dû l'y apercevoir mieux que personne du monde ; car c'est dans l'article de Ferdinand III, où par une transposition de mots qui est échappée2 à ma plume, je fais la bataille de Nortlingue que ce prince gagna, en 1634, contre les Suédois et les princes protestants, postérieure à une autre qui est de votre connoissance3. Je demande mille pardons à Votre Altesse de cette négligence qui lui convient si peu, et vous proteste que je ne laisse pas d'être avec toute l'attention et tout le respect imaginable,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur,

Ce 14 avril [1685], à Versailles.

DELABRUYÈRE.

1. Le duc de Bourbon était alors très petit, et il devait rester << très considérablement plus petit que les plus petits hommes,» suivant l'expression de Saint-Simon (Mémoires, édition Boislisle, tome XIX, p. 58). On savait faire plaisir à Condé en lui annonçant que son petitfils grandissait, ou encore en lui faisant un compliment sur sa taille. Le P. Alleaume, lui rendant compte, le 7 janvier 1685, de la visite qu'avait faite le P. la Chaise au duc de Bourbon, n'oubliait pas de lui répéter ce que ce Père avait dit à ce sujet en l'emmenant dîner avec lui: «< Pendant tout le chemin, il ne nous parla (le P. du Roset était de la partie) que des bonnes qualités de M. le duc de Bourbon, disant qu'il le trouvoit crû, bien fait, honnête et judicieux. » (Archives du Musée Condé.)

2. La Bruyère a écrit : « qui est échappé, » sans accord. 3. C'est sous le règne de son père Ferdinand II que Ferdinand III,

Au dos A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince, à Chantilly, et de la main d'un secrétaire : M. de la Bruyère, 14 avril 1685.

V

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

Nous sommes tout à fait hors de l'Italie, que Monsieur le duc de Bourbon a vue' fort en détail et sait par cœur, ainsi que j'ai eu l'honneur de le mander à Votre Altesse Sérénissime. Il verra lundi, mardi et mercredi❜ prochain, les États du duc de Savoie avec une pareille exactitude, et de là nous irons en Hongrie par les pays héréditaires, qu'il saura parfaitement comme tout ce qui est géographie: c'est dont je réponds à Votre Altesse. La vie de Louis XII peut être présentement à la moitié. Les autres études ne sont pas aussi négligées. Je lui ferai bientôt apprendre les maisons de Saxe, d'Holstein, de Lorraine, de Savoie, de Médicis, de Stuart et de Montmorency. Je ménage avec soin tout le temps qui m'est accordé sans en rien perdre, et profite le mieux que je puis de l'application de Monsieur le duc de Bourbon, dont je suis assez content. Quand je le serai moins, je ne vous le dissimulerai pas je le lui ai déclaré nettement et cela fait un

futur empereur d'Allemagne et déjà roi de Bohême et de Hongrie, gagna la bataille de Nordlingue. La victoire de Condé est postérieure de onze ans à celle de Ferdinand III.

1. Dans l'autographe de la Bruyère, il y a vu, sans accord.
2. Ici, et ci-après, lettre vi, p. 487, la Bruyère écrit mecredi.

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très bon effet. Je suis avec tout l'attachement et tout le

respect que je dois,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur,

DELABRUYÈRE.

Ce samedi 7. juillet [1685], à Versailles.

Au dos A Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Prince; et d'une autre main: M. de la Bruyère, 7 juillet 1685.

VI

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

Conformément au dernier projet de Votre Altesse Sérénissime, je fais voir à Monsieur le duc de Bourbon, les lundi, mardi et mercredi, la géographie jointe aux gouvernements; le jeudi, vendredi et samedi, l'histoire avec les généalogies; le dimanche, l'histoire encore et la fable. Je lui ferai connoître, aujourd'hui lundi, les pays héréditaires de la maison d'Autriche, que nous avions laissés pour passer plus vite au royaume d'Hongrie, dont vous m'aviez commandé de l'instruire préférablement à tout le reste il le sait assez bien; il est capable d'entendre parler des nouvelles de ce pays-là et d'en parler luimême. Je lui ferai lire encore ces trois premiers jours-ci tout ce qui concerne la maison du Roi dans le petit livre de l'État de la France, pour passer ensuite à la connois

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