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court, cependant, une sentinelle veillait nuit et jour sur le haut du clocher. Dès qu'elle aperçoit venir la troupe, on sonne le tocsin, l'église est barricadée de chaînes et se remplit de femmes; les hommes l'entourent. Les femmes crient vengeance contre l'emploi des armes; elles invoquent à leur secours leur bon père; elles perdront volontiers la vie, dans l'espoir de conserver son corps à leurs enfants. Les hommes, de leur côté, offrent aux chanoines leurs biens, leurs terres, leurs maisons, leurs personnes, pour leur bâtir dans la paroisse un beau monastère; ils consentent à dépendre d'eux, à être leurs serfs, pourvu qu'on leur laisse leur bon père. Au milieu de ces cris, de ces pleurs, de ces prières, le commandant de la troupe demanda s'il donnerait dans ce peuple. Mais qui l'aurait permis? On céda; et les pieux habitants de Mattaincourt conservèrent chez eux leur bon père, et après deux siècles il y est encore 1.

Il a été béatifié par Benoît XIII le 29 janvier 1730. De nos jours, on a repris le procès de sa canonisation et on agrandit l'église où il repose. En Lorraine, on célèbre sa fête au 7 de juillet.

Un autre instrument que le Saint-Esprit employait pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, était la compagnie de Jésus. Nous l'avons vue à l'œuvre à la Chine, au Japon et en Amérique. Elle n'était pas moins active pour le bien en Europe, malgré ses épreuves intérieures et extérieures. Car, si bonne que cette compagnie puisse être, elle n'est pas meilleure que les apôtres : Des combats au dehors, des craintes au dedans 2. Ainsi, vers la fin du seizième siècle, 1592, elle n'éprouvait en Espagne aucune persécution du dehors, mais une insurrection sérieuse au dedans. Un nombre considérable et trèsinfluent de Jésuites espagnols et portugais, parmi eux le célèbre Mariana, demandaient une section espagnole dans la compagnie, un changement dans les constitutions, la mise en jugement du supérieur général Aquaviva, une assemblée générale pour le juger en effet. Ils obtinrent, par leur crédit auprès du roi d'Espagne, que le supérieur général fût momentanément éloigné de Rome, ensuite qu'il parût devant l'assemblée générale. La conduite du supérieur y fut approuvée, et les constitutions maintenues. Mais cela montre toujours quels germes d'esprit séculier fermentaient dans la société des Jésuites. C'est ce qui fit écrire au même général Claude Aquaviva ses Industries pour guérir les maladies de la société, imprimées à Rome en 1616, où il dit entre autres : « La sécularité et la courtisanerie s'insinuant dans la familiarité et la faveur des étrangers, c'est dans la société une maladie dangereuse pour le dedans et pour le dehors;

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elle se glisse peu à peu, et presque sans qu'on s'en aperçoive, dans ceux qui l'éprouvent et dans nous (supérieurs). C'est en apparence pour gagner les princes, les prélats, les grands, concilier ces sortes de personnes à notre société pour le service de Dieu, aider le prochain, mais, en réalité, nous nous cherchons quelquefois nous-mêmes, et nous dévions vers les choses du siècle 1. » Par ces paroles et ces faits, l'on voit que dans l'institut des Jésuites, comme dans tous les ordres religieux, la règle est bonne, sainte, que l'esprit en est excellent, mais que les individus, étant hommes, ne l'observent pas toujours avec la même fidélité, qu'ils ont la pente commune au relâchement, et que tous et chacun, principalement les supérieurs, doivent veiller les uns sur les autres, particulièrement sur euxmêmes, afin de se maintenir dans la ferveur de l'esprit de Dieu, et fermer la porte de leur cœur et de leur institut à l'esprit du monde.

En France, où la compagnie de Jésus éprouvait quelquefois les persécutions du dehors, beaucoup plus à cause du bien qu'elle y faisait que pour d'autres motifs, deux de ses enfants renouvelaient des merveilles des apôtres, l'un dans la France méridionale, l'autre dans la Bretagne.

Saint Jean-François Régis, né le 31 janvier 1597, d'une famille noble, au village de Foncouverte, diocèse de Narbonne, entra chez les Jésuites le 8 décembre 1616. Avant et pendant son noviciat, ce fut un autre Stanislas Kostka, un autre Louis de Gonzague. Devenu prêtre l'an 1630, il fut pour le Vivarais, le Velay et les Cévennes, ce que saint François-Xavier avait été pour l'Inde et le Japon: un vénérable apôtre, convertissant des milliers d'hérétiques et de pécheurs par ses prédications et ses miracles, mais surtout par la sainte austérité de sa vie. Il ne donnait chaque nuit que trois heures au sommeil, et souvent qu'une seule; le reste était employé à la prière. Une simple planche, ou la terre nue, lui servait de lit. Il s'était interdit l'usage de la viande, du poisson, des œufs et du vin. Sa nourriture consistait en des légumes cuits à l'eau, sans assaisonnement. Aussi, étant mort à Louvesc, en 1640, au milieu des travaux apostoliques, Dieu honora son tombeau par des miracles sans nombre. Vingt-deux prélats du Languedoc écrivaient à Clément XI: « Nous sommes témoins que devant le tombeau du père Jean-François Régis, les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les muets parlent, et le bruit de ces étonnantes merveilles est répandu chez toutes les nations. » Voici quelques traits de cette vie admirable.

1 Menzel, t. 4, p. 58.

- De 1605 Pendant son cours de philosophie à Tournon, il s'essayait déjà au ministère évangélique. Il obtint, comme une grâce, d'apprendre les vérités du salut aux domestiques de la maison et aux pauvres de la ville, qui, à certains jours, venaient recevoir les aumônes du collége. Les dimanches et les fêtes, il allait prêcher dans les villages d'alentour. Il rassemblait les enfants avec une clochette, puis il leur expliquait les premiers principes de la doctrine chrétienne. Après ces premiers essais de son zèle, il entreprit la sanctification du bourg d'Andace; il en eut bientôt renouvelé la face. L'ivrognerie, les jurements et l'impureté disparurent; le fréquent usage de la communion fut rétabli. Il y institua la confrérie du Saint-Sacrement, et dressa lui-même les règlements de cette sainte pratique, qui depuis s'est répandue partout, mais dont il doit être regardé comme l'instituteur. Il n'avait alors que vingt-deux ou vingt-trois ans. Par son zèle et sa prudence, il vint à bout de régler les familles, d'accommoder les différends, de réformer les divers abus. Telle était l'autorité que lui donnait dès lors sa sainteté.

Chargé d'enseigner les humanités à Billom, à Auch, et enfin au Puy, il n'épargna aucune peine pour inspirer à ses écoliers l'application à l'étude et l'amour de la vertu. Il les aimait comme une mère aime ses enfants, et eux, de leur côté, l'écoutaient et le révéraient comme un saint. Dans leurs maladies, il leur procurait tous les secours qui dépendaient de lui, et il obtint par ses prières la guérison de l'un d'entre eux dont la vie était désespérée; mais il était surtout extrêmement sensible à leurs infirmités spirituelles. Ayant appris qu'un de ses écoliers avait commis un péché grief, il en fut si vivement consterné, qu'il versa un torrent de larmes. Il se recueillit ensuite quelque temps, et il leur fit un discours si pathétique sur la sévérité des jugements de Dieu, qu'ils en furent saisis d'effroi ; et plusieurs ont avoué depuis qu'ils éprouvaient encore les mêmes sentiments lorsqu'ils se rappelaient ce qu'il leur avait dit en cette occasion. Il se fit toujours un devoir capital de les édifier par sa conduite. Un profond recueillement, un extérieur humble et modeste, un certain air de pénitence peint sur son visage inspiraient l'amour de la vertu aux âmes les plus insensibles, et l'on reconnaissait partout les jeunes gens qui avaient été formés par ses mains. Pour intéresser le ciel au succès de ses travaux, il passait toujours quelque temps au pied des autels avant que d'aller faire sa classe; il implorait aussi l'assistance des anges tutélaires de ses disciples, afin que, par leur secours, ses peines et ses soins ne fussent pas inutiles. Tant de vertus avaient principalement leur principe dans l'union continuelle que Régis avait avec Dieu.

L'an 1631, il fut obligé d'aller à Foncouverte pour y régler quelques affaires de famille. En arrivant dans sa patrie, son premier soin fut de visiter les pauvres et les malades. Voici le genre de vie qu'il y mena. Le matin, il faisait le catéchisme aux enfants et il prêchait au peuple deux fois par jour. Il recueillait les aumônes des riches, qu'il distribuait ensuite à ceux qui étaient dans le besoin. Dans les rues, il était toujours environné d'une troupe d'enfants et de pauvres. Il rendait à ces derniers les services les plus humiliants, ce qui lui attira une fois les insultes des soldats qui étaient en garnison à Foncouverte. Ses proches et ses amis lui firent à ce sujet de sévères réprimandes; mais Régis leur répondit que c'était par les humiliations de la croix qu'on devenait véritablement un ministre de l'Évangile, puisque Dieu s'était servi de ce moyen pour l'établir. Le mépris qu'on avait d'abord conçu pour sa personne se changea en admiration. Il vivait au milieu de ses proches dans un parfait détachement de toutes les choses sensibles, et il n'avait aucune ressemblance avec ces religieux qui, faute d'avoir l'esprit de leur vocation, cherchent des consolations terrestres dans le sein de leur famille.

Ses supérieurs, voyant en lui une vocation marquée pour la vie apostolique, résolurent de l'appliquer uniquement aux missions, et il y consacra les dix dernières années de sa vie. Il les commença dans le Languedoc ; il les continua dans le Vivarais, et les termina dans le Velay, dont le Puy est la capitale. Il passait l'été dans les villes, parce que les habitants des campagnes sont alors occupés de leurs travaux. Pendant l'hiver, il prêchait dans les villages.

La ville de Montpellier fut le premier théâtre de son zèle. C'était au commencement de l'été 1631. Il s'attacha d'abord à l'instruction des enfants, et il prêchait au peuple les dimanches et les fêtes dans l'église du collége. Ses discours étaient simples et familiers. Après l'exposition claire et précise d'une vérité chrétienne qu'il avait prise pour son sujet, il en tirait des conséquences morales et pratiques sur lesquelles il insistait fortement. Il finissait par des mouvements vifs et tendres, toujours proportionnés à la portée de ses auditeurs et appropriés à la qualité du sujet qu'il avait entrepris de traiter. Il parlait avec tant de véhémence, que souvent la voix lui manquait avec les forces; et avec tant d'onction, que d'ordinaire le prédicateur et les auditeurs fondaient en larmes. Les personnes les plus qualifiées couraient à ses sermons, ainsi que les pauvres, et les pécheurs les plus endurcis en sortaient tout pénétrés des sentiments d'une vive componction.

Quoique le saint missionnaire ne refusât pas son ministère aux

personnes riches, il avait pourtant une sorte de prédilection pour les pauvres, et son confessionnal était toujours environné de ceux-ci. Les gens de qualité, disait-il, ne manqueront pas de confesseurs; les pauvres, cette portion la plus abandonnée du troupeau de JésusChrist, doivent être mon partage. Il croyait ne devoir vivre que pour eux. Le matin, il prêchait et entendait les confessions; il employait l'après-midi à la visite des prisons et des hôpitaux. Souvent il oubliait ses propres besoins; et comme on lui demandait un soir pourquoi il n'avait pris aucune nourriture de tout le jour, il répondit avec simplicité qu'il n'y avait pas pensé. On le voyait aller de porte en porte pour solliciter des aumônes en faveur des pauvres; il leur procurait des médecins dans leurs maladies et les assistait en toutes les manières qui dépendaient de lui. Un jour il traversa la rue chargé de bottes de paille qu'il avait mendiées, pour coucher un malade dépourvu de tout. A ce spectacle, les enfants s'attroupèrent autour de lui pour se divertir. Quelqu'un ayant voulu lui représenter qu'il s'était rendu ridicule en agissant de la sorte, il répondit: A la bonne heure! on gagne doublement lorsqu'on soulage ses frères au prix de sa propre humiliation. Il forma une association de trente dames des plus distinguées de la ville, dont la fin était d'assister les prisonniers et de les consoler dans leurs peines. Il convertit plusieurs hérétiques et retira du désordre un grand nombre de femmes de mauvaise vie. Quand on lui disait qu'il était rare que ces femmes se convertissent sincèrement, il avait coutume de répondre que ses travaux lui paraîtraient utilement employés s'il pouvait seulement empêcher un péché mortel.

En 1633, l'évêque de Viviers appela Régis dans son diocèse, qui, depuis cinquante ans, était le centre du calvinisme, le siége de la guerre et le théâtre des plus cruelles révolutions. Il le reçut avec de grandes marques de vénération et voulut qu'il l'accompagnât dans ses visites. Le Père fit partout des missions qui produisirent des fruits surprenants. Le comte de la Mothe-Brion, qui avait vécu jusque-là comme les sages du monde, fut singulièrement touché de l'onction avec laquelle le saint homme annonçait la parole de Dieu; il entra dans la carrière de la pénitence et se dévoua tout entier à la pratique des bonnes œuvres. Par son zèle et ses aumônes, il contribua beaucoup à la réussite des pieuses entreprises du saint missionnaire. Un autre gentilhomme, nommé de la Suchère, qui autrefois avait été disciple de Régis, fut aussi d'une grande utilité à l'homme apostolique, qu'il révérait comme un saint. Le père Régis tourna ses principaux soins du côté de la réformation des curés qui ne remplissaient pas fidèlement leurs devoirs. L'expérience lui avait appris qu'il ne se

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