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esprits, je veux dire les révérends Pères Jésuites, qui s'opposèrent aux hérétiques, et nous font chanter si glorieusement en notre siècle Misericordia Domini, quia non sumus consumpti1.

Le saint évêque faisait lui-même le catéchisme, et donna par écrit la manière de le faire, avec plusieurs instructions et avertissements pour la confession, la communion, la sainte messe, pour bien employer son temps, bien sanctifier la journée. Rien n'échappait à sa vigilance et à son zèle.

Les peuples du Chablais étaient obligés d'avoir recours aux villes de Genève et de Lausanne, soit pour le commerce des choses nécessaires à la vie, soit pour faire apprendre des métiers à leurs enfants ou leur procurer des établissements, soit enfin pour les faire élever dans les études des sciences. François, encore prévôt de la cathédrale, observa bien vite que cela portait un grand préjudice à leurs âmes et les éloignait de leur salut et de leur conversion. Le meilleur moyen, pour empêcher ce désordre, lui parut être d'établir une université ou maison dans laquelle on enseignât tous les arts et toutes les sciences, principalement la théologie scholastique, la controverse, les cas de conscience, les traditions des saints Pères et les saintes Écritures; cet établissement augmenterait la population et le commerce de la ville, qui n'aurait plus besoin de recourir aux hérétiques. Le projet ayant été mûrement examiné par l'évêque et un grand nombre de personnes de mérite, le pape Clément VIII érigea la sainte maison de Thonon, le 13 septembre 1599, avec tous les priviléges d'université, pour être gouvernée par un préfet et sept prêtres séculiers, qui seraient tenus d'observer la vie et l'institut de la congrégation de l'Oratoire de Rome. François de Sales en fut nommé le premier préfet, et Baronius le premier cardinal protecteur. François dressa les constitutions pour la nouvelle communauté. N'étant encore que sous-diacre, il avait établi dans Annecy même, avec des statuts convenables, une confrérie des Pénitents de la Sainte-Croix pour les personnes de l'un et de l'autre sexe 3.

Pendant son épiscopat, il donna des constitutions aux ermites de la montagne de Voiron, des règlements de réforme à plusieurs monastères d'hommes et de femmes. Voici les avis du saint évêque à l'abbesse d'une de ces maisons réformées :

« Voulez-vous que je vous dise ce qu'il m'en semble, madame? L'humilité, la simplicité de cœur et d'affection, et la soumission d'esprit sont les solides fondements de la vie religieuse. J'aimerais mieux

OEuvres complètes de S. Fr. de Sales, t. 2, p. 704. 2 Ibid., p. 667 et seqq. 3 Ibid., p. 662.

que les cloîtres fussent remplis de tous les vices que du péché d'orgueil et de vanité, parce que, avec les autres offenses, on peut se repentir et obtenir pardon; mais l'âme superbe a dans soi les principes de tous les vices et ne fait jamais pénitence, s'estimant en bon état et méprisant tous les avis qu'on lui donne. On ne saurait rien faire d'un esprit vain et plein de l'esprit de soi-même; il n'est bon ni à soi ni aux autres. Il faut encore, pour faire un bon gouvernement, que les supérieurs ressemblent aux pasteurs qui paissent les agneaux, et qu'ils ne négligent le moindre exemple pour édifier le prochain; parce que, tout ainsi qu'il n'y a si petit ruisseau qui ne mène à la mer, aussi n'y a-t-il trait qui ne conduise l'âme en ce grand océan des merveilles de la bonté de Dieu. Madame, le, soin que vous devez avoir de ce saint ouvrage doit être doux, gracienx, compatissant, simple et débonnaire. Et, croyez-moi, la conduite la plus parfaite est celle qui approche le plus près de l'ordre de Dieu sur nous, qui est plein de tranquillité, de quiétude et de repos, et qui, en sa grande activité, n'a pourtant aucune émotion et se fait tout à toutes choses

«De plus, la diligence des supérieurs doit être grande pour remédier aux plus petits murmures, de la communauté. Car, comme les grands orages se forment des vapeurs invisibles, de même, aux religions, les plus grands troubles viennent de causes-fort légères. Rien non plus ne perd tant les ordres que le peu de soin qu'on apporte à examiner les esprits de ceux qui se jettent aux cloîtres. On dit : Il est de bonne niaison, c'est un grand esprit; mais on oublie qu'il ne se soumettra qu'avec grande difficulté à la discipline roligieuse. — Avant que de les admettre, on doit leur représenter la vraie mortification et la soumission que la religion demandes et ne leur point figurer si avantageusement tant de consolations spirituelles. Car, tout ainsi que la pierre, encore que vous la jetièr en haut, retombe en bas de son propre mouvement, aussi plus une me que Dieu veut à son service sera repoussée, plus elle s'élancéra à ce que Dieu voudra d'elle. D'ailleurs, ceux qui prennent ce parti comme par dépit d'avoir un courage haut avec une basse fortune, apportent d'ordinaire bien plus de désordre dans aloitres que de bon ordre en - eux 1. » ·

Outre son diocèse et des communautés religieuses, le saint évêque dirigeait plusieurs personnes du monde: Parmi elles était une dame de ses parentes. Ne pouvant toujours l'entretenir de vive voix, il lui écrivit plusieurs lettres. Elle en fit une collection et les montra au

1 OEuvres complètes de S. Fr. de Sales, t. 2, p. 695.

père Jésuite qui la dirigeait, le même qui avait dirigé François dans sa retraite pour son sacre. Le père Fourier (c'était son nom) en fut émerveillé, et pressa l'auteur de revoir son travail et de le rendre public, pour la plus grande gloire de Dieu et l'utilité de tant d'ames qui voudraient pratiquer la dévotion au milieu du monde, mais ne savaient comment. François hésitait encore, quand il reçut une lettre de son ami Deshayes, qui lui demandait la même chose de la part du roi Henri IV. Ce prince déplorait un jour devant cet ami le libertinage qui régnait à la cour, et dont il trouvait deux causes parmi les gens du monde, les uns se persuadaient que Dieu ne faisait nulle attention aux actions des hommes; les autres, que le service de Dieu était trop difficile et la piété impossible. Il lui sembla que, pour remédier à un si grand mal, il faudrait faire peur aux premiers, mais rassurer les seconds, en leur montrant le service de Dieu facile et la piété aimable, et que l'évêque de Genève était l'homme pour faire ce livre 1. Sur quoi le saint n'hésita plus, et fit l'Introduction à la vie dévote. Voici comment il en parle lui-même dans la préface:

« La bouquetière. Glycera savait si proprement diversifier la disposition et le mélange des fleurs, qu'avec les mêmes fleurs elle faisait une grande variété de bouquets; de sorte que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire à l'envi cette diversité d'ouvrages; car il ne sut changer sa peinture en tant de peintures, comme Glycera faisait ses bouquets. Ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété les enseignements de dévotion qu'il donne par les langues et les plumes de ses serviteurs, que la doctrine étant toujours une même, les discours néanmoins qui s'en font sont bien différents selon les diverses façons desquelles ils sont composés. Je ne puis, certes, ni veux, ni dois écrire en cette Introduction, que ce qui a déjà été publié par nos prédécesseurs sur ce sujet. Ce sont les mêmes fleurs que je te présente, mon lecteur; mais le bouquet que j'en ai fait sera différent des leurs, à raison de la diversité de l'agencement dont il est façonné.;.

« Ceux qui ont traité de la dévotion ont presque. tous regardé l'instruction des personnes fort retirées du commerce du monde, ou au moins ont enseigné une sorte de dévotion qui conduit à cette en-: tière retraite. Mon intention est d'instruire ceux qui vivent às villes, ès ménages, à la cour, et qui par leur condition sont.obligés de faire une vie commune, quant à l'extérieur... J'adresse mes paroles à Philothée, parce que, voulant réduire à l'utilité commune de plusieurs âmes ce que j'avais premièrement écrit pour une seule, je

Vie de S. Fr. de Sales, 1. 6. Auguste de Sales, 1. 7.

XXV.

.12

De 1605 l'appelle du nom commun à toutes celles qui veulent être dévotes; car Philothée veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu.

« Regardant donc en tout ceci une âme qui, par le désir de la dévotion, aspire à l'amour de Dieu, j'ai fait cette introduction de cinq parties, en la première desquelles, je m'essaye, par quelques remontrances et exercices, de convertir le simple désir de Philothée en une entière résolution, qu'elle fait à la parfin, après sa confession générale, par une solide protestation suivie de la très-sainte communion, en laquelle se donnant à son Sauveur et le recevant, elle entre heureusement en son saint amour. Cela fait, pour la conduire plus avant, je lui montre deux grands moyens de s'unir de plus en plus à sa divine majesté : l'usage des sacrements, par lesquels ce bon Dieu vient à nous, et la sainte oraison, par laquelle il nous tire à soi. Et en ceci j'emploie la seconde partie. En la troisième, je lui fais voir comme elle se doit exercer en plusieurs vertus propres à son avancement, ne m'amusant pas, sinon à certains avis particuliers, qu'elle n'eût pas su aisément prendre ailleurs ni d'elle-même. En la quatrième, je lui fais découvrir quelques embûches de ses ennemis, et lui montre comme elle doit s'en démêler et passer outre. Et finalement, en la cinquième partie, je la fais retirer un peu à part soi, pour se rafraîchir, reprendre haleine et réparer ses forces, afin qu'elle puisse par après plus heureusement gagner pays et s'avancer en la vie dévote. »

Au commencement de la première partie, le saint évêque traite ces questions principales: Qu'est-ce que la dévotion? Quelle en est l'excellence? A quelle profession convient-elle? Questions importantes, sur lesquelles aujourd'hui même les Chrétiens du monde n'ont pas toujours des idées nettes.

« La vraie et vivante dévotion, répond le saint évêque de Genève, présuppose l'amour : même elle n'est autre chose qu'un vrai amour de Dieu, mais non pas toutefois un amour tel quel. Car en tant que l'amour divin embellit notre âme, il s'appelle grâce, nous rendant agréables à sa divine majesté; en tant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité; mais quand il est parvenu jusqu'au degré de perfection, auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, mais nous fait opérer soigneusement, fréquemment et promptement, alors il s'appelle dévotion... Bref, la dévotion n'est autre chose qu'une agilité et vivacité spirituelle, par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnément; et comme il appartient à la charité de nous faire généralement et universellement pratiquer tous les commandements de Dieu, il appartient aussi à la dévotion de nous les faire faire promptement et diligemment. C'est pourquoi celui qui n'observe tous

les commandements de Dieu ne peut être estimé ni bon ni dévot, puisque, pour être bon, il faut avoir la charité, et, pour être dévot, il faut avoir, outre la charité, une grande vivacité et promptitude aux actions charitables.

« Croyez-moi, chère Philothée, la dévotion est la douceur des douceurs et la reine des vertus, c'est la perfection de la charité. Si la charité est un lait, la dévotion en est la crème; si elle est une plante, la dévotion en est la fleur; si elle est une pierre précieuse, la dévotion en est l'éclat; si elle est un baume précieux, la dévotion en est l'odeur, et l'odeur de suavité qui conforte les hommes et réjouit les anges.

« Dieu commanda en la création aux plantes de porter leurs fruits chacune selon son genre ; ainsi commande-t-il aux Chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu'ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et sa vocation. La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée: et nonseulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier.

« C'est une erreur, même une hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est vrai que la dévotion purement contemplative, monastique et religieuse, ne peut être exercée en ces vocations-là; mais aussi, outre ces trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner ceux qui vivent ès états séculiers. Abraham, Isaac et Jacob, David, Job, Tobie, Sara, Rébecca et Judith en font foi par l'Ancien Testament; et quant au Nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Crépin furent parfaitement dévots en leurs boutiques; sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscilla, en leurs ménages; Cornélius, saint Sébastien, saint Maurice, parmi les armes; Constantin, Hélène, saint Louis, le bienheureux Amé, saint Édouard, en leurs trônes.»

Dès le premier moment de sa publication, en 1608, l'Introduction à la vie dévote fut reçue avec un applaudissement universel; on la traduisit dans toutes les langues de l'Europe. Henri IV avouait que l'auteur avait surpassé son attente. Son épouse, Marie de Médicis, en envoya un exemplaire magnifiquement relié et enrichi de pierreries à Jacques Stuart, roi d'Angleterre. Ce prince, tout ennemi qu'il était de l'Église romaine, éprouvait en le lisant une grande satisfaction; il ne s'en cachait pas, jusque-là qu'il demandait aux évêques protestants pourquoi ils n'écrivaient pas avec la même onction. « Votre livre m'enchante, mandait à notre saint l'archevêque de

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