Page images
PDF
EPUB

ministère de la parole. Ses premiers sermons lui attirèrent beaucoup de réputation et produisirent les plus grands fruits. Effectivement, il possédait toutes les qualités requises pour réussir en ce genre il avait l'air grave et modeste, la voix forte et agréable, l'action vive et animée, mais sans faste ni ostentation; il parlait avec une onction qui faisait bien voir qu'il donnait aux autres de l'abondance et de la plénitude de son cœur. Avant de prêcher, il avait soin de se renouveler devant Dieu par des gémissements secrets et des prières ferventes. Il étudiait aux pieds du crucifix encore plus que dans les livres, persuadé qu'un prédicateur ne saurait faire du fruit s'il n'est homme d'oraison.

Quand il vit approcher le jour où il allait être élevé au sacerdoce, il s'y prépara avec une ferveur toute céleste; aussi reçut-il, avec l'imposition des mains, la plénitude de l'esprit sacerdotal. Il se fit un devoir d'offrir tous les jours le saint sacrifice de la messe, et le faisait avec une piété vraiment angélique. On se sentait pénétré de la plus tendre dévotion en le voyant à l'autel; ses yeux et son visage s'enflammaient visiblement, tant était grande l'activité du feu divin qui embrasait son cœur. Après la messe, qu'il avait coutume de dire de grand matin, il entendait les confessions de toutes les personnes qui se présentaient. Il aimait à parcourir les villages, pour instruire cette portion du troupeau de Jésus-Christ qui vit d'ordinaire dans une profonde ignorance de ses devoirs; sa piété, son désintéressement, sa charité pour les malades et pour les pauvres le faisaient chérir dans tous les lieux où il passait, et lui attiraient la confiance du peuple. Ces pauvres villageois, dont la grossièreté rebute les âmes communes, il les regardait comme ses enfants; il vivait avec eux comme leur père; il compatissait à leurs besoins, et se faisait tout à tous. Mais rien ne lui gagnait les coeurs comme sa douceur inaltérable. Il était né vif et colère. A force d'étudier la douceur à l'école de Jésus-Christ, il devint le plus doux des hommes. Le remède le plus souverain que je connaisse contre les émotions subites d'impatience, dit-il, est un silence doux et sans fiel. Quelque peu de paroles que l'on dise, l'amour-propre s'y glisse, et il échappe des choses qui jettent le cœur dans l'amertume pour vingt-quatre heures. Lorsqu'on ne dit mot, et qu'on sourit de bon cœur, l'orage passe; on étonne la colère et l'indiscrétion, et l'on goûte une joie pure et durable. C'est particulièrement par cette douceur surnaturelle qu'il convertit soixante-douze mille hérétiques.

Un an après qu'il eut été ordonné prêtre, il érigea dans Annecy la confrérie de la Croix. Les confrères s'engageaient à instruire les ignorants, à consoler les malades et les prisonniers, à éviter tous les

procès. Un ministre calviniste en prit occasion d'écrire un libelle, sans nom d'auteur ni d'imprimeur, contre l'honneur que les catholiques rendent à la croix. François de Sales le réfuta par le premier de ses ouvrages, l'Étendard de la croix, divisé en quatre livres : De l'honneur et vertu de la croix; De l'honneur et vertu de l'image de la croix; De l'honneur et vertu du signe de la croix; De la qualité de l'honneur que l'on doit à la croix. Voici comment il termine l'ouvrage :

« Entre tous les novateurs et réformateurs, il n'en a point été, à mon avis, de si âpre, si hargneux et implacable que Jean Calvin. Il n'y en a point qui ait contredit à la sainte Église avec tant de véhémence et chagrin que celui-là, ni qui en ait recherché plus curieusement les occasions, et surtout touchant le point des images. C'est pourquoi, ayant rencontré en ses Commentaires sur Josué, une grande et claire confession en faveur du juste usage des images, je l'ai voulu mettre en ce bout de livre, afin qu'on connaisse combien la vérité de la créance catholique est puissante, qui s'est échappée et levée des mains de ce grand et violent ennemi, qui la détenait en injustice. »

Le sujet du commentaire de Calvin est l'autel que les tribus de Ruben et de Gad, et la demi-tribu de Manassé, retournant en leur pays au delà du Jourdain, bâtirent sur le bord de ce fleuve, non pour y offrir des holocaustes, mais comme un monument de leur communion religieuse avec les autres tribus et de leur droit à l'autel unique de l'Éternel, dont celui-ci n'était qu'un souvenir et une ressemblance. Les dix tribus, craignant que ce ne fût dans un esprit de schisme, leur firent des représentations par des députés; mais, ayant su leurs bonnes intentions, ils s'apaisèrent et louèrent Dieu. Or, sur l'excuse des deux tribus et demie, Calvin fait ce commentaire : « Néanmoins si semble-t-il qu'il y a eu encore quelque faute en eux, à cause que la loi défend de dresser des statues de quelque façon qu'elles soient; mais l'excuse est facile, que la loi ne défend nulles images, sinon celles qui servent de représenter Dieu. Cependant d'élever un monceau de pierres, en signe de trophée, ou pour témoignage d'un miracle qui aura été fait, ou pour réduire en mémoire quelque bénéfice de Dieu excellent, la loi ne l'a jamais défendu en passage quelconque; autrement, et Josué, et plusieurs saints, juges et rois, qui sont venus après lui, se fussent souillés en une nouveauté profane. >>

Saint François de Sales, ayant observé que ce commentaire de Calvin est le dernier de ses ouvrages, en tire les conclusions suivantes, qui terminent le sien :

« Donc les deux tribus et demie d'une part furent recherchées

comme suspectes de schisme, à cause de la ressemblance de l'autel de la loi qu'elles avaient érigé; et nous de l'autre côté sommes chargés d'idolâtrie et accusés de superstition, pour les images de l'autel de la croix, que nous dressons et élevons partout.

« Les accusations sont presque semblables. Mais, I. Les accusés et accusateurs, de part et d'autre, sont extrêmement différents; car les accusateurs des deux tribus et demie, ce furent les dix tribus d'Israël, lesquelles, à l'égard des deux et demie, étaient : 1° Le gros et le corps de l'Église; les deux et demie n'en étaient qu'un membre et portion. 2o Les dix étaient en vraie possession du tabernacle et autel; les deux et demie n'en avaient que la communication. 3o Les tribus avaient en elles, et de leur côté, la chaire de Moïse, la dignité sacerdotale, l'autorité pastorale, la succession aaronique ; les deux et demie n'étaient qu'un simple peuple, et parcelle de la bergerie. Tout cela était un grand droit apparent et solide aux tribus, pour entreprendre la correction du fait des deux tribus et demie, lesquelles, en multitude, dignité et prérogative, leur étaient de tout inférieures.

« Mais si nous considérons notre condition, de nous qui sommes catholiques, et celle des novateurs qui nous accusent si âprement, nous verrons que tout y va à contre-poids. Les catholiques qui sont les accusés, sont: 1o La tige et le corps de l'Église ; les novateurs ne sont que branches taillées et membres retranchés. 2o Les catholiques sont en ferme et indubitable possession du titre de vraie Église, tabernacle de Dieu avec les hommes, autel sur lequel seul l'odeur de suavité est agréable à Dieu; les novateurs qui ne font que naître de terre, comme potirons, n'en ont qu'une vaine et fade usurpation. 3o Les catholiques ont en eux et à leur faveur la chaire de saint Pierre, la dignité sacerdotale, l'autorité pastorale, la succession apostolique leurs accusateurs sont nouveaux venus, sans autre chaire que celle qu'ils se sont faite eux-mêmes, sans aucune dignité sacerdotale, sans autorité pastorale, sans aucun droit de succession, ambassadeurs sans être envoyés, délégués sans délégation, messagers sans mission, enfants sans père, exécuteurs sans commission. Ce sont des points qui rendent non-seulement suspecte, mais convaincue d'attentat, toute la procédure des censures que les réformateurs font contre nous qui sommes catholiques, auxquels ils sont inférieurs en tant et tant de façons, et si notoirement.

« II. Il y a encore une autre différence entre le sujet de l'accusation faite contre les deux tribus et demie, par le reste d'Israël, et celle que les novateurs font contre nous, laquelle est bien remarquable. L'érection des remembrances et similitudes servit d'occasion

à l'une et à l'autre accusation : à l'une, l'érection de la similitude de l'autel de la loi; à l'autre, l'élévation de la remembrance de l'autel de la croix. Mais il y a cela à dire entre l'une et l'autre érection, que l'érection de la similitude de l'autel de la loi était une œuvre notoirement nouvelle, qui partant méritait bien d'être considérée, comme elle fut, avec un peu de soupçon, et que l'approbation d'icelle fût précédée d'un bon examen. Mais l'érection de la similitude de l'autel de la croix, pratiquée de tout temps en l'Église, portait, par son antiquité, une autre exemption de toute censure et accusation.

« III. De plus, il y eut encore une grande différence en la manière de procéder en l'accusation. 1° Les dix tribus, quoique supérieures aux deux et demie, ne se ruent pas de première volée à la guerre, mais envoient premièrement une honorable légation aux accusés, pour savoir leur intention touchant l'édification de leur autel nouveau; et à cet effet, 2° ils emploient l'autorité sacrée de leur grand prêtre et pasteur, et la civile de leurs principaux chefs; 3° ne demandent pas absolument que l'autel, dont il était question, fût rasé et renversé, mais simplement que les deux tribus et demie, en édifiant un autre autel, ne fissent aucun schisme ou division en la religion, 4o et n'allèguent point d'autre auteur de leur correction que l'Église Voici ce que dit toute la congrégation de l'Éternel 1. O sainte et saine procédure!

« Tout au contraire, les réformateurs qui sont nos accusateurs, quoique notoirement inférieurs, 1° se sont de plein saut jetés aux foudres, tempêtes et grêles de calomnies, injures, reproches, diffamations, et ont armé leurs langues et leurs plumes de tous leurs plus poignants traits qu'ils ont su rencontrer entre les dépouilles de tous les anciens ennemis de l'Église, et tout aussitôt les ont dardés avec telle furie, que nous serions déjà perdus si la vérité divine ne nous eût tenus à couvert sous son impénétrable écu. Je laisse à part la guerre temporelle suscitée par ces évangélistes empistolės partout où ils ont eu accès. 2o Et à leur prétendue réformation n'ont employé que la profane audace des brebis contre leurs pasteurs, des sujets contre leurs supérieurs, et le mépris de l'autorité du grand prêtre évangélique, lieutenant de Jésus-Christ. 30 Renversant, brisant et rompant de leur propre autorité les croix dressées, sans autre examen de la droite prétention, ni du droit prétendu de ceux qui les avaient élevées. 4° Contre le manifeste consentement de toute l'Église, contredisant ouvertement à toute la congrégation de l'Éternel, aux conciles généraux, au perpétuel usage des Chrétiens.

1 Josué, 22, 16.

« Ces si grandes différences entre nos accusateurs, leur sujet et manière de procéder d'une part, et les accusateurs, ou plutôt correcteurs des deux tribus et demie, leur sujet et manière de procéder d'autre part, présupposent une autre quatrième différence, et en produisent une cinquième.

« IV. Elles présupposent une grande différence dans l'intention des uns et des autres, et les dix tribus n'avaient autre projet que d'empêcher le schisme et la division; ce fut la charité qui les poussa à cet office de correction. Qui pourra assez louer le zèle qu'ils font paraître en l'offre qu'ils font à ceux qu'ils veulent corriger? « Que si la terre de votre possession est immonde, passez en la terre de la possession de l'Éternel, en laquelle le tabernacle a sa résidence, et ayez vos possessions entre nous, etc. 1. » C'est une offre digne de la congrégation de Dieu.

« Au contraire, toutes les poursuites des réformateurs contre nous ne respirent que sédition, haine et division; leurs offres ne sont que de leur quitter le gouvernement de l'Église, les laisser régenter et maîtriser, passer sous le bon plaisir de leur constitution; et quant au point particulier dont il est question, ils ont fait voir clairement qu'ils n'ont été portés d'autre affection au brisement et destruction. des croix de pierre et de bois que pour ravir celles d'or et d'argent, renversant l'ancienne discipline chrétienne, qui ne donne prix à la croix que pour la figure, puisqu'ils ne la prisent que pour la matière.

<< Mais enfin que s'est-il ensuivi de tant de diversités ? Certes, ce qu'on en devait attendre. De différentes causes différents effets. Les dix tribus, lesquelles par tant de prérogatives et raisons avaient le droit de correction, n'eurent pas sitôt ouï la déclaration de l'intention des deux tribus et demie, qu'ils la reçoivent amiablement, et, sans presser d'aucune réplique ni recharge la réponse et excuse des accusés, se reposent tout entièrement sur leur parole. La charité les pousse également à se formaliser sur l'érection de l'autel nouveau, et à recevoir l'excuse de ceux qui l'avaient érigé; le cas néanmoins était extrêmement chatouilleux en fait de religion. La séparation des habitations rendait le soupçon du schisme fort juste. Mais la charité est toute patiente, elle est bénigne, elle ne pense point au mal, elle ne se plaît point sur l'iniquité, mais se complaît à la vérité, elle croit tout, elle espère tout 2.

«< Au rebours, l'Église catholique, avec tant de signalés avantages et de si claires marques de son autorité et sainteté, ne peut trouver

1 Josué, 5, 19.2 I Cor., 13.

« PreviousContinue »