Page images
PDF
EPUB

prépara à tout événement. Le 24 avril 1622, il se confessa à un de ses compagnons, dit la messe et prêcha dans le bourg de Gruch; il prononça son sermon avec encore plus de feu qu'à l'ordinaire. Il prédit sa mort à plusieurs personnes, et depuis il signa toutes ses lettres Frère Fidèle, qui doit être bientôt la pâture des vers. De Gruch, il alla prêcher à Sevis, où il exhorta fortement les catholiques à rester inviolablement attachés à leur foi. Un calviniste ayant tiré sur lui un coup de mousquet dans l'église, les fidèles le prièrent inutilement de se retirer; mais il leur répondit qu'il ne craignait point la mort, et qu'il était prêt à sacrifier sa vie pour la cause de Dieu.

Tandis que le saint retournait à Gruch, il tomba dans les mains d'une troupe de soldats calvinistes qui avaient un ministre à leur tête : ils le traitèrent de séducteur, et voulurent le forcer à embrasser leur secte. « Que me proposez-vous là? répondit le père Fidèle. Je suis venu parmi vous pour réfuter vos erreurs, et non pas pour les embrasser. La doctrine catholique est la foi de tous les siècles. Je n'ai donc garde d'y renoncer. Au reste, sachez que je ne crains point la mort. » Un de la troupe l'ayant renversé par terre d'un coup d'estramaçon, il se releva sur les genoux et fit cette prière : «Seigneur, pardonnez à mes ennemis; aveuglés par la passion, ils ne savent ce qu'ils font. Seigneur Jésus, ayez pitié de moi ! Sainte Marie, mère de Jésus, assistez-moi!» Cette prière finie, il reçut un second coup qui le jeta par terre baigné dans son sang. La fureur des soldats ne fut point encore satisfaite; on lui perça le corps avec des poignards et on lui coupa la jambe gauche. Sa bienheureuse mort arriva l'an 1622: il était dans la quarante-quatrième année de son âge et la dixième de sa profession. Les catholiques l'enterrèrent le lendemain. Quelque temps après, les impériaux défirent les calvinistes, conformément à une prédiction du saint. Le ministre qui s'était mis à la tête des soldats fut si frappé de cette circonstance, qu'il se convertit et abjura publiquement l'hérésie.

Le corps du saint missionnaire est dans l'église des Capucins de Weltkirch; pour la tête et la jambe gauche, qui avaient été séparées du tronc, elles sont dans la cathédrale de Coire. La translation s'en fit avec beaucoup de solennité. Il s'est opéré un grand nombre de miracles par l'intercession du serviteur de Dieu. Il fut béatifié par Benoît XIII en 1729, et canonisé par Benoît XIV en 1746. Son nom a été inséré dans le martyrologe romain sous le 24 avril 1.

L'ordre des Capucins fut gouverné par un des plus grands et des

1 Godescard, 24 avril.

plus saints hommes de son temps, le bienheureux Laurent de Brindes. Il naquit à Brindes même, le 22 juillet 1559, et reçut au baptême le nom de Jules-César. Ses parents, Guillaume de Rossi et Élisabeth Mafella, tous deux de familles distinguées, lui firent donner une éducation chrétienne et favorisèrent par tous les moyens l'attrait qu'il manifesta de bonne heure pour la vie religieuse. Conformément au désir qu'il lui en avait manifesté plusieurs fois, son père le revêtit de l'habit de Saint-François et le conduisit au monastère de Saint-Paul, de la ville de Brindes, où il le mit sous la direction du père Giacono, célèbre prédicateur de l'ordre.

C'était l'usage à Brindes et dans quelques autres villes d'Italie, que les enfants prononçassent dans les églises des discours pieux et édifiants, où assistaient un assez grand nombre de fidèles. Jules de Rossi s'acquitta de ce devoir avec tant de modestie, de gravité, et quelquefois de force et d'énergie, qu'il excita l'admiration générale et produisit souvent les effets les plus salutaires. Sur ces entrefaites, il perdit son père et fut obligé de quitter Brindes pour se retirer à Venise, chez un oncle qui voulait bien se charger de poursuivre son éducation. C'était un prêtre séculier d'une grande piété et d'un savoir profond, à qui l'on avait confié le soin de gouverner les jeunes gens qui fréquentaient le collége Saint-Marc. Ces étudiants portaient la soutanelle. Jules de Rossi adopta aussi ce costume et déposa l'habit de Saint-François; mais telle était déjà l'idée qu'on avait de sa sainteté, que quelques-uns de ses parents gardèrent son habit conventuel comme une relique. Venise connut bientôt le trésor qu'elle possédait dans cet excellent jeune homme, et l'on crut généralement que l'on devait à ses prières et à sa foi la cessation d'une tempête furieuse qui s'éleva sur l'Adriatique et qui pouvait occasionner les plus grands désastres.

Jules était trop parfait pour se plaire dans le monde; il lui fallait un état plus saint que les professions ordinaires, et il résolut d'embrasser l'institut des Capucins. Ce fut le 18 février 1575, à l'âge de seize ans, qu'il exécuta ce pieux dessein à Vérone. Son année de noviciat étant terminée, il prononça ses vœux et prit le nom de Laurent, sous lequel il fut connu depuis. Aussitôt après, on l'envoya finir ses études à Padoue, contre l'usage ordinaire, qui voulait que le jeune profès fût encore pendant deux ou trois ans sous la surveil lance d'un gardien, afin de se perfectionner et de s'affermir dans les vertus qu'il avait dû acquérir pendant son noviciat. Le latin, le grec et l'hébreu devinrent très-familiers à notre saint, par l'application extrême qu'il donnait à l'étude, et il relisait souvent dans l'original l'Ancien et le Nouveau Testament. Pendant cette lecture, il se tenait

constamment à genoux et découvert, comme si Dieu lui-même lui eût alors adressé directement la parole.

A peine était-il diacre, que ses supérieurs lui firent annoncer la parole de Dieu leurs espérances ne furent pas trompées. Le père Laurent s'attacha surtout à corriger les désordres qui régnaient parmi les jeunes gens qui fréquentaient l'université de Padoue, alors la plus célèbre de l'Europe pour le droit civil et la médecine. Après un an de prédication, la ville ne se reconnaissait plus, tant la réformation des mœurs y avait été prompte et générale. Le bienheureux Laurent fit tous ses efforts pour ne point recevoir la prêtrise, à l'exemple de saint François; mais ses supérieurs le voulurent, et il obéit.

Clément VIII, informé de sa vertu et de ses succès dans la chaire, le fit venir à Rome pour travailler à la conversion des Juifs, œuvre qu'il avait fortement à cœur, et dont il s'occupait avec zèle depuis longtemps. Il y a un proverbe, que le paradis des Juifs sur la terre, c'est Rome. Lorsqu'ils étaient poursuivis dans le reste de la chrétienté, ils vivaient tranquilles dans cette capitale. Habitant un quartier séparé, ils se livraient aux occupations de leur état, sans qu'ils fussent inquiétés d'aucune manière. La seule condition qu'on leur impose, c'est d'écouter, de temps à autre, une instruction sur la vérité de la religion chrétienne. Encore n'exige-t-on pas rigoureusement qu'ils y assistent; les jeunes filles en sont dispensées. Ceux qui veulent embrasser la religion chrétienne sont admis dans des maisons de catéchumènes des deux sexes, toujours ouvertes, et dans lesquelles ils sont nourris, logés et instruits pendant quarante jours. S'ils reçoivent le baptême, ils y restent huit jours de plus. Les jeunes gens qui montrent des dispositions pour l'étude sont placés au collége des néophytes. L'on donne une dot aux filles qui se marient. Celles qui désirent embrasser la vie religieuse sont reçues sans frais dans un couvent de Dominicaines, connu sous le nom de la petite Annonciation. Si elles veulent vivre dans le célibat, sans entrer en religion, elles trouvent dans une maison qui leur est destinée un logement pour le reste de leurs jours.

Clément VIII ayant donc communiqué au père Laurent son dessein pour la conversion des Juifs, le saint missionnaire s'y prépara par la prière, par la réflexion et en consultant des personnes expérimentées. Sa première démarche fut de se concilier l'affection de ceux qui allaient devenir les objets de son zèle. Il leur montrait beaucoup d'égards dans ses entretiens, et en même temps la plus grande politesse. Il s'efforçait de les convaincre que nul autre motif que le désir de leur salut et l'espoir de le procurer n'avait pu l'en

gager à se charger d'une pareille mission. Lorsqu'il montait en chaire, il portait avec lui une Bible hébraïque, d'où il tirait les textes qu'il traduisait ensuite en hébreu rabbinique et en italien. Il invitait alors les rabbins à examiner et à vérifier l'exactitude des citations et des traductions, et la justesse des conséquences qu'il tirait de ces passages. Nul mot offensant pour ses auditeurs ne lui échappa jamais. Ses instructions, entremêlées de petits épisodes, qui tout à la fois plaisaient et soutenaient l'attention, se terminaient d'ordinaire par une exhortation vive et affectueuse, et elles produisirent beaucoup de conversions.

Outre ses prédications apostoliques, qu'il fit entendre et devant le Pape, et à Mantoue, à Padoue, à Vérone et à Venise, le père Laurent de Brindes enseigna la théologie sur un plan que suivirent plus tard en France le père Thomassin de l'Oratoire et le père Pétau de la compagnie de Jésus. Il ne montra pas moins de talent et d'habileté dans des fonctions d'un autre genre. Il fut successivement gardien de plusieurs maisons, provincial de Toscane et des États de Venise, enfin définiteur général, en 1596, à l'âge de trente-neuf ans.

Sur ces entrefaites, Clément VIII, qui, de concert avec l'empereur Rodolphe II, s'occupait de l'établissement des Capucins dans les États impériaux de l'Allemagne et de la Bohême, jeta les yeux sur Laurent pour l'exécution de cette affaire. Onze prêtres de son ordre et deux frères lais se mirent en route sous sa direction, et furent accueillis à Vienne avec la plus grande distinction par l'archiduc Mathias, frère de l'empereur. Ils éprouvèrent bien quelque opposition de la part d'un petit nombre de courtisans qui étaient protestants; mais cela n'eut pas de suite, et le premier couvent de l'ordre en Allemagne fut fondé dans la capitale de l'Autriche avec beaucoup de solennité. Il y eut plus d'obstacles pour établir le couvent de Prague, capitale de la Bohême, et moins pour celui de Gratz, capitale de la Styrie.

L'empereur, ayant vu l'habileté du père Laurent, l'employa dans une affaire bien différente et non moins difficile. Mahomet III, s'étant avancé vers le Danube, annonçait le projet d'envahir la Hongrie. Rodolphe leva une armée et invita tous les princes de l'Allemagne, tant catholiques que protestants, à venir se joindre à lui pour la défense de la chrétienté. Mais, craignant que ses invitations ne fussent point assez efficaces, il leur envoya de plus le père Laurent. Le succès du pieux Capucin fut complet: tous les secours demandés furent envoyés avec célérité, et l'archiduc Mathias fut choisi pour généralissime de l'armée chrétienne. Mais là ne se devait point terminer encore la mission du bienheureux Laurent : le Seigneur lui réservait un triomphe d'un autre genre. A la demande de Mathias, du nonce

et de plusieurs des princes confédérés, le Pape lui ordonna de se rendre à l'armée, afin de contribuer au succès de la campagne par ses conseils et par ses prières. Il obéit sans résistance. Sitôt qu'il fut arrivé, on rangea devant lui l'armée en bataille. Le saint religieux, la croix à la main, harangua les soldats et les assura formellement d'une victoire certaine; ensuite il les prépara au combat par la prière et par la pénitence. Le jour de l'engagement, le chef des Turcs présenta quatre-vingt mille hommes en bataille rangée; le général des Chrétiens n'en avait que dix-huit mille. Frappés de cette différence, quelques officiers de l'empereur, même des plus intrépides, conseillaient d'agir avec prudence et de se retirer dans l'intérieur du pays. L'archiduc ayant appelé le père Laurent au conseil, il s'y rendit, prit connaissance de l'objet de la délibération, opina pour l'attaque; et, pour la seconde fois, il donna à l'assemblée l'assurance d'une victoire complète. Cette réponse ayant diminué les craintes, on résolut de commencer le combat sur-le-champ, et on rangea les soldats en bataille. Le père Laurent, à cheval, se plaça à la première ligne, revêtu de son habit religieux. Alors, élevant un crucifix qu'il tenait à la main, il se tourna vers les troupes et leur parla avec tant de force, qu'elles ne voulurent pas attendre l'attaque des Turcs. Sur-le-champ elles s'élancèrent contre l'ennemi avec une valeur incroyable. Les Turcs, de leur côté, les reçurent avec fermeté, et le choc fut terrible. Le père Laurent fut un moment entouré par les infidèles; mais les colonels Rosbourg et Altain, accourus pour le défendre, l'arrachèrent au péril et le conjurèrent de se retirer, lui disant que ce n'était pas là sa place. Vous vous tronpez, leur répondit-il à haute voix; c'est ici que je dois être : avançons, avançons, et la victoire est à nous! Les Chrétiens recommencent la charge, et l'ennemi, frappé de terreur, s'enfuit dans toutes les directions.

Cette bataille se donna le 11 octobre 1611. Une seconde eut lieu le 14 du même mois, et fut suivie du même succès. Les Turcs se retirèrent au delà du Danube, après avoir perdu trente mille hommes. On ne saurait exprimer les sentiments d'admiration que le père Laurent avait inspirés aux généraux et aux soldats. Le duc de Mercœur, qui commandait sous l'archiduc, déclara que ce saint religieux avait plus fait lui seul dans cette guerre que toutes les troupes ensemble, et qu'après Dieu et la sainte Vierge, c'était à lui qu'il fallait attribuer les deux victoires remportées sur les ennemis du nom chrétien. Lors de la cérémonie de la béatification du père Laurent, cet événement mémorable fut représenté dans un tableau placé audessus de la principale porte du Vatican. Au-dessous, on lisait en lettres d'or une inscription latine, dont voici la traduction: « L'Au

« PreviousContinue »